JURISPRUDENCE Maryse Deguergue Presses Universitaires de France | « Droits » 20
JURISPRUDENCE Maryse Deguergue Presses Universitaires de France | « Droits » 2001/2 n° 34 | pages 95 à 104 ISSN 0766-3838 ISBN 9782130523153 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-droits-2001-2-page-95.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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C’est encore cette acception qui prévaut dans les pays anglo-saxons, où la jurisprudence est assimilée à la science du droit, à la prudence du juriste à la recherche du bon droit. Au terme d’un pro- cessus d’appauvrissement de son sens, la jurisprudence désigne aujourd’hui dans les pays romano-germaniques l’ensemble des règles de droit qui émanent des juges, voire l’ensemble des décisions juridic- tionnelles des seules Cours suprêmes, ou encore l’ensemble des solu- tions apportées par les tribunaux dans une branche du droit déter- minée. Il est vrai que dire le droit pour les juges les conduit parfois à créer du droit, soit en interprétant la loi qu’ils doivent appliquer, soit en dissipant son obscurité ou en comblant ses lacunes, réelles ou suppo- sées. Le pouvoir normatif du juge, unanimement reconnu quand il n’est pas sollicité, amène par conséquent les juristes à s’interroger sur la formation de la jurisprudence et sur sa légitimité à être érigée en source du droit, au même titre que la loi ou la coutume. L’acception sociolo- gique de la jurisprudence aboutit aux mêmes questionnements. Si « c’est l’autorité de ce qui a été jugé constamment dans le même sens » (J. Carbonnier), la jurisprudence se caractérise par la répétition et la contrainte, lesquelles renvoient à la formation du phénomène de la jurisprudence et à son statut éventuel de source du droit. Dans une perspective sociologique, il est courant de parler du « pouvoir normatif de la jurisprudence », mais dans la théorie formelle des sources du droit, seul le « pouvoir normatif du juge » est concevable (J. Roche). Le pouvoir de créer des normes ne peut en effet qu’appartenir au juge, en tant qu’autorité constituée, et c’est ce pouvoir qui « se déploie dans la jurisprudence » (S. Rials). L’hypothèse fondamentale de la sociologie juridique, selon laquelle le droit est plus grand que la règle de droit, est Droits — 34, 2001 © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 19/06/2021 sur www.cairn.info via Université Sultan Moulay Slimane (IP: 196.92.242.93) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 19/06/2021 sur www.cairn.info via Université Sultan Moulay Slimane (IP: 196.92.242.93) transposable à la jurisprudence qui est certainement plus grande que la règle jurisprudentielle. L’étude du phénomène de la jurisprudence pré- cédera donc celle de son appartenance aux sources du droit. LE PHÉNOMÈNE DE LA JURISPRUDENCE Historiquement, le phénomène de la jurisprudence est apparu en France au XIXe siècle grâce à la conjonction de trois facteurs : la sup- pression du référé législatif qui permit aux juges d’interpréter les lois, la motivation obligatoire des décisions de justice qui força le juge à dévoi- ler son raisonnement et la publication de recueils d’arrêts qui assura la diffusion des décisions juridictionnelles. Dans une conception élargie au système judiciaire, la jurisprudence peut être considérée, non seule- ment comme un ensemble de règles prétoriennes, mais aussi comme l’ensemble des pratiques judiciaires, telles que la méthode du syllo- gisme, l’appel à l’équité ou le recours aux fictions et présomptions. Dans cette perspective, la jurisprudence n’est pas réduite au normati- visme, elle est située socialement à une époque donnée dans un lieu déterminé, où les juges prennent en considération les faits et les mœurs et tendent à faire prévaloir une certaine morale sociale (J. Carbonnier ; M. Saluden). Dans une conception restreinte à la production de nor- mes juridiques, la formation de la jurisprudence pose des difficultés d’appréhension matérielle dans le temps. La question se pose de savoir si toutes les décisions juridictionnelles sont créatrices de droit ou seule- ment certaines. À cet égard, il est convenu de distinguer les arrêts d’espèce, « qui ne font pas jurisprudence » et les arrêts de principe qui recèlent dans leur motivation une règle de droit, édictée de façon solen- nelle, et susceptible d’être transposée au règlement de différends sem- blables. L’identification des arrêts de principe n’est pas toujours aisée et requiert l’office de la doctrine qui contribue ainsi à révéler la juris- prudence. La question de savoir si une accumulation d’arrêts jugeant dans le même sens est nécessaire pour former une « jurisprudence cons- tante » est résolue de manière sensiblement différente selon les auteurs. Alors que les auteurs privatistes s’accordent sur l’intervention de plu- sieurs arrêts pour stabiliser une jurisprudence et sur la périodicité de son rappel, « les grands arrêts de la jurisprudence administrative » témoignent de « l’instantanéité » de l’œuvre créatrice du juge adminis- tratif (H. Le Berre). Enfin, une jurisprudence se forme à tous les éche- lons de la hiérarchie judiciaire, les tribunaux inférieurs faisant souvent 96 Maryse Deguergue © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 19/06/2021 sur www.cairn.info via Université Sultan Moulay Slimane (IP: 196.92.242.93) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 19/06/2021 sur www.cairn.info via Université Sultan Moulay Slimane (IP: 196.92.242.93) preuve d’une hardiesse dont les Cours suprêmes se départissent de peur de se lier pour l’avenir. La volonté « de ne pas faire jurisprudence » peut être tout aussi forte que la volonté de faire œuvre de jurislateur. Certes, le poids de la hiérarchie judiciaire conduira souvent à ne consi- dérer comme jurisprudence que les prises de position du sommet, d’autant plus que la résistance de la base est assimilée à la violation de la loi par les juges de cassation. De fait, la jurisprudence ne lie pour l’avenir, ni les tribunaux inférieurs, ni les Cours suprêmes qui l’ont établie. La règle du précédent obligatoire en vigueur dans les pays de common law est inconcevable pour la jurisprudence continentale, où la liberté de modifier sa jurisprudence appartient à tout juge. Si l’étude de terrain révèle une certaine force du précédent, au moins dans la phase de la recherche d’une solution au litige, « le revirement de jurispru- dence » est toujours théoriquement passible. Mais, sur ce point, le spec- taculaire occulte la rareté du phénomène, et tous les ordres de juridic- tions semblent préférer en réalité la maturité des évolutions à la brutalité des revirements (Ph. Jestaz ; H. Le Berre). Non seulement le juge tend à les éviter, mais encore il atténue l’ampleur du changement qu’ils apportent et les inconvénients de la rétroactivité de la règle juris- prudentielle, en les formalisant dans un arrêt de rejet. En tout état de cause, l’unité de la jurisprudence et la sécurité juridique sont assurées essentiellement par la fonction régulatrice des Cours suprêmes et accessoirement par leur fonction disciplinaire et pédagogique. Tant et si bien que la stabilité de la jurisprudence est célébrée par comparaison avec le foisonnement éphémère de la législation. L’inflation législative et réglementaire a justement nourri la thèse du déclin de la jurispru- dence depuis une trentaine d’années. D’un côté, les textes auraient « ravi » à la jurisprudence la première place dans l’innovation en droit administratif (M. Waline). D’un autre côté, « ce déclin du pouvoir jurisprudentiel » s’accompagnerait de « l’ascension d’un pouvoir juri- dictionnel », du juge administratif tout au moins, lequel pouvoir tend davantage au règlement des litiges au cas par cas qu’à la formulation d’une règle générale applicable à d’autres espèces (D. Linotte). Mais on n’a pas manqué de faire remarquer que le fond du droit est difficile à distinguer de l’administration du droit et que toutes les décisions juri- dictionnelles révèlent forcément l’exercice d’un pouvoir normatif par le juge même si elles ne font pas toutes « jurisprudence » (S. Rials). En outre, des décisions dites d’espèce peuvent poser les prémisses d’une future règle jurisprudentielle et annoncer un revirement en amorçant une évolution, de loin préféré à un renversement soudain de la règle. À la thèse du déclin, s’est ajoutée la suspicion pesant sur la jurisprudence qui uploads/S4/ droit-034-0095.pdf
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- Publié le Aoû 06, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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