http://lamyline.lamy.fr Numéro 98 I Novembre 2013 RLDI I 29 Actualités | Éclai
http://lamyline.lamy.fr Numéro 98 I Novembre 2013 RLDI I 29 Actualités | Éclairage ACTIVITÉS DE L'IMMATÉRIEL I l est des décisions dont la portée dépasse largement la lettre et le contexte. L’arrêt de la chambre commerciale en date du 25 juin 2013 en donne une illustration : en apparence circonscrite au droit des données à caractère personnel, la solution qu’il consacre conduit à s’interroger sur le régime de la nullité contractuelle attachée à l’article 1128 du Code civil mais aussi sur les frontières entre com- mercialité et patrimonialité. Une société ayant une activité de négoce de vins auprès des par- ticuliers cédait son fi chier de clientèle (6 000 clients), manuscrit et informatisé. Le fi chier vendu pour un prix de 46 000 € constituait vraisemblablement l’élément essentiel du fonds de commerce qui avait été valorisé à environ 60 000 € deux ans plus tôt. Après quelques semaines d’exploitation, apparemment déçu par les résultats de ce fi chier de clients très partiellement « actifs » (moins de un tiers selon le demandeur), le cessionnaire saisissait le Tribunal de commerce de Saint-Nazaire afi n, notamment, de voir requalifi er la vente du fi chier clients en vente de fonds de com- merce, annuler la vente pour dol ou en prononcer la résolution pour non-conformité du fi chier. Débouté de l’ensemble de ses demandes, le cessionnaire interje- tait appel de ce jugement rendu le 15 septembre 2010. Par arrêt en date du 17 janvier 2012, la Cour d’appel de Rennes a confi rmé la décision des premiers juges considérant, premièrement, que la vente n’étant intervenue que sur certains éléments du fonds de commerce, essentiellement le fi chier, la qualifi cation de vente de fonds de commerce devait être exclue eu égard à son universa- lité ; deuxièmement, que le défaut de déclaration auprès de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) n’était pas sanctionné par une illicéité qui aurait exposé la transaction à la nullité ; troisièmement, que ce même défaut de déclaration pou- vait d’autant moins constituer un vice caché le rendant impropre à sa destination que la déclaration simplifi ée requise pouvait être réalisée à tout moment ; quatrièmement, que le fi chier ayant été remis à l’acquéreur, la venderesse avait satisfait à son obligation de délivrance ; cinquièmement et, enfi n, que l’intention de tromper l’acquéreur n’étant pas démontrée, le dol de la venderesse devait être écarté. Par arrêt en date du 25 juin 2013, publié au Bulletin civil(1), la chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’ar- rêt de Cour d’appel pour violation de la loi au double visa de l’ar- ticle 1128 du Code civil et de l’article 22 de la loi n° 78-17 du 6 jan- vier 1978 au motif que la vente « d’un tel fi chier qui, n’ayant pas été (1) Cass. com., 25 juin 2013, n° 12-17.037, F-P+B, qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des commentateurs et observateurs : Beausso- nie G., D. 2013, p. 1867 ; Costes L., RLDI 2013/96, n° 3194 ; Debet A., JCP G 2013, 930 ; Dondero B., Gaz. Pal., 17 sept. 2013, p. 3 ; Haou- lia N., RLDA, sept. 2013, p. 22 ; Houtcieff D., Gaz. Pal., 10 oct. 2013, p. 16 ; Loiseau G., Comm. com. électr., sept. 2013, comm. 90 ; Men- doza-Caminade A., RLDI 2013/96, n° 3189 ; Seube J.-B., JCP E, 1422 ; Pillet G., L’essentiel – Droit des contrats, 4 sept. 2013, p. 7 ; Storrer P., D. 2013, p. 1844 ; Varet É., RLDI 2013/96, n° 3188. L ’étrange extracommercialité du fi chier non déclaré à la Cnil Un fi chier incluant des données à caractère personnel non déclaré à la Cnil constitue, aux termes d’un arrêt rendu le 25 juin 2013 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, une « chose hors du commerce » au sens de l’article 1128 du Code civil, dont la cession est frappée de nullité. La solution, inspirée par la logique protectrice du droit des données à caractère personnel, laisse interrogatif, voire perplexe, à l’aune des fondamentaux du droit des contrats et des biens. Cass. com., 25 juin 2013, RLDI 2013/96, n°3194 Et Laurent SOUBELET Consultant SSC Avocats Enseignant et formateur en droit privé RLDI 3248 Par Sophie SOUBELET-CAROIT Avocat SSC Avocats http://lamyline.lamy.fr 30 I RLDI Numéro 98 I Novembre 2013 L ’étrange extracommercialité du fi chier non déclaré à la Cnil déclaré, n’était pas dans le commerce, avait un objet illicite » alors que « tout fi chier informatisé contenant des données à caractère personnel doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la Cnil ». personnel doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la Cnil ». personnel doit faire l’objet d’une déclaration auprès de la Cnil L’extracommercialité instaurée par cet arrêt (I) apparaît, de par son intransigeance, inappropriée (II). I. – L ’EXTRACOMMERCIALITÉ DU FICHIER NON DÉCLARÉ L’extracommercialité du fi chier informatisé non déclaré (A) doit se comprendre, au regard de l’article 1128 du Code civil, comme une « extracontractualité » (B). A. – L ’affi rmation d’une extracommercialité La censure opérée par la chambre commerciale de la Cour de cas- sation, au double visa des articles 1128 du Code civil et 22 de la loi du 6 janvier 1978, fait entrer le fi chier contenant des données à caractère personnel non déclaré à la Cnil dans la catégorie des fameuses mais énigmatiques « choses hors du commerce ». D’un point de vue technique, l’on comprend que la chambre com- merciale de la Cour de cassation, faisant application d’une condi- tion « objective » de validité (la licéité de l’objet), situe le débat juri- dique sur le seul terrain de la formation de la vente, à la différence des juges du fond qui avaient été amenés à l’appréhender tant au stade de sa formation (dol, écarté en l’absence de toute démonstration d’une intention de tromper) qu’à celui de son exécution (obligation de délivrance et garantie contre les vices cachés, également exclus). Cette option en faveur de l’application de l’article 1128 du Code civil contribue à alimenter le débat relatif à la cohérence de la ca- tégorie des choses hors du commerce. L’on sait que l’article 1128 du Code civil recouvre une série de « choses », fort disparates, que l’on assimile, non pas en consi- dération d’une quelconque similitude de nature ou de substance, mais parce que la norme juridique, telle que l’interprète la jurispru- dence, impose de les extraire de la sphère marchande. Traditionnellement, la catégorie des choses hors du commerce recouvre des biens dont le commerce juridique pourrait offenser la morale, de telle manière que l’on peut voir dans cette caté- gorie l’expression des « tabous »(2) sociaux fondamentaux, voire fondateurs. L’on songe alors au corps humain, aux tombeaux et sépultures, aux substances et choses dangereuses (drogues, armes lourdes, produits périmés)… Cette première énumération, non limita- tive, intrigue tant les interrogations relatives à ces quelques illus- trations classiques diffèrent : l’on comprend aisément que le corps, attribut essentiel et charnel de la personne humaine, ne puisse être ravalé au rang de simple « chose », sauf à défi nitivement brouiller, voire abolir, la frontière entre la personne et la chose… Quant à notre fi chier non déclaré à la Cnil, il ne semble pas aisé de le rattacher à ces tabous sociaux fondamentaux. Il faut donc perce- voir dans l’extracommercialité du fi chier non déclaré affi rmée par la chambre commerciale de la Cour de cassation l’illustration d’une conception élargie de la catégorie des choses hors du commerce (2) Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, De- frénois, 6e éd., 2013, n° 601. qui engloberait diverses hypothèses d’illicéité atteignant la chose, objet de la prestation ou, plus exactement, la prestation objet de l’obligation(3), sans qu’il soit néanmoins possible de conclure à la coïncidence entre l’illicéité et l’extracommercialité(4). Le droit po- sitif s’ordonnerait alors, schématiquement, autour d’hypothèses d’extracommercialité de l’objet pour des raisons afférentes à la santé, à l’hygiène et à l’environnement, pour des motifs liés à l’éthique ou à la morale, en considération de la nécessaire défense des libertés fondamentales ou, encore, en considération d’exi- gences inhérentes à l’organisation de l’État et de l’économie(5). Cette approche plus souple permet notamment d’intégrer à la catégorie des choses hors du commerce des biens fort divers tels les attributs de la souveraineté (droits civiques et politiques), les biens du domaine public, les marchandises contrefaites, les souvenirs de famille, les droits attachés à la personne… étant précisé que ce qui se trouve hors du commerce juridique un temps ne l’est pas nécessairement pour toujours(6). S’il fallait intégrer, plus par souci pédagogique que par nécessité conceptuelle ou technique, la solution rapportée à l’une de ces quatre catégories, l’on pourrait évidemment songer à la défense des libertés fondamentales qui semble ici justifi er la censure ; l’« extra- contractualité » du fi chier non déclaré ayant évidemment pour ob- jectif de renforcer l’effi cacité du régime de protection des données à caractère personnel porté par la loi « Informatique et libertés uploads/S4/ cass-com-25-juin-2013-commentaire-rldi-novembre-2013-pdf 1 .pdf
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- Publié le Jui 17, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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