CONSEIL DE L’EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EUR
CONSEIL DE L’EUROPE COUNCIL OF EUROPE COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS AFFAIRE LEYLA ŞAHİN c. TURQUIE (Requête no 44774/98) ARRÊT STRASBOURG 10 novembre 2005 ARRÊT LEYLA ŞAHİN c. TURQUIE 1 En l’affaire Leyla Şahin c. Turquie, La Cour européenne des Droits de l’Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de : MM. L. WILDHABER, président, C.L. ROZAKIS, J.-P. COSTA, MM. B. ZUPANČIČ, R. TÜRMEN, Mme F. TULKENS, MM. C. BÎRSAN, K. JUNGWIERT, V. BUTKEVYCH, Mme N. VAJIĆ, M. M. UGREKHELIDZE, Mme A. MULARONI, M. J. BORREGO BORREGO, Mmes E. FURA-SANDSTRÖM, A. GYULUMYAN, MM. E. MYJER, S.E. JEBENS, juges, et de M. T.L. EARLY, greffier adjoint de la Grande Chambre, Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 18 mai et 5 octobre 2005, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date : PROCÉDURE 1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44774/98) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mlle Leyla Şahin (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 21 juillet 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). 2. La requérante est représentée par Me X. Magnée, avocat à Bruxelles, et Me K. Berzeg, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par M. M. Özmen, coagent. 3. La requérante alléguait que la réglementation concernant le port du foulard islamique dans les établissements de l’enseignement supérieur a constitué une violation des droits et libertés énoncés aux articles 8, 9, 10 et 14 de la Convention, ainsi qu’à l’article 2 du Protocole no 1. 2 ARRÊT LEYLA ŞAHİN c. TURQUIE 4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 dudit Protocole). 5. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). 6. Par une décision du 2 juillet 2002, la requête a été déclarée recevable par une chambre de ladite section, composée de Sir Nicolas Bratza, président, M. M. Pellonpää, Mme E. Palm, M. R. Türmen, M. M. Fischbach, M. J. Casadevall et M. S. Pavlovschi, juges, et de M. M. O’Boyle, greffier de section. 7. Une audience portant sur les questions de fond (article 54 § 3 du règlement) s’est déroulée en public le 19 novembre 2002 au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg. 8. Dans son arrêt du 29 juin 2004 (« l’arrêt de la chambre »), la chambre a dit, à l’unanimité, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 9 de la Convention du fait de l’interdiction incriminée, et que nulle question distincte ne se posait sous l’angle des articles 8 et 10, de l’article 14 combiné avec l’article 9 de la Convention, et de l’article 2 du Protocole no 1. 9. Le 27 septembre 2004, la requérante a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (article 43 de la Convention). 10. Le 10 novembre 2004, un collège de la Grande Chambre a décidé d’accueillir la demande de renvoi (article 73 du règlement). 11. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. 12. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire. 13. Une audience s’est déroulée en public au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 18 mai 2005 (article 59 § 3 du règlement). Ont comparu : – pour le Gouvernement MM.M. ÖZMEN, coagent, E. İŞCAN, conseil, Mmes A. EMÜLER, G. AKYÜZ, D. KILISLIOĞLU, conseillères ; – pour la requérante Mes X. MAGNÉE, K. BERZEG, conseils. La Cour a entendu en leurs déclarations Me Berzeg et M. Özmen, puis Me Magnée. ARRÊT LEYLA ŞAHİN c. TURQUIE 3 EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 14. La requérante est née en 1973 et vit à Vienne (Autriche) depuis 1999, année où elle a quitté Istanbul pour poursuivre ses études de médecine à la faculté de médecine de l’université de cette ville. Elle est issue d’une famille traditionnelle pratiquant la religion musulmane et porte le foulard islamique afin de respecter un précepte religieux. A. La circulaire du 23 février 1998 15. Le 26 août 1997, la requérante, alors étudiante en cinquième année à la faculté de médecine de l’université de Bursa, s’inscrivit à la faculté de médecine de Cerrahpaşa de l’université d’Istanbul. Elle affirme avoir porté le foulard islamique pendant ses quatre années d’études de médecine à l’université de Bursa ainsi que pendant la période qui s’ensuivit et jusqu’en février 1998. 16. Le 23 février 1998, le recteur de l’université d’Istanbul adopta une circulaire. La partie pertinente de celle-ci est libellée comme suit : « En vertu de la Constitution, de la loi, des règlements, et conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat, de la Commission européenne des droits de l’homme et aux décisions adoptées par les comités administratifs des universités, les étudiantes ayant la « tête couverte » (portant le foulard islamique) et les étudiants portant la barbe (y compris les étudiants étrangers) ne doivent pas être acceptés aux cours, stages et travaux pratiques. En conséquence, le nom et le numéro des étudiantes revêtues du foulard islamique ou des étudiants barbus ne doivent pas être portés sur les listes de recensement des étudiants. Toutefois, si des étudiants dont le nom et le numéro ne figurent pas sur ces listes insistent pour assister aux travaux pratiques et entrer dans les salles de cours, il faut les avertir de la situation et, s’ils ne veulent pas sortir, il faut relever leurs noms et numéros et les informer qu’ils ne peuvent assister aux cours. S’ils persistent à ne pas vouloir sortir de la salle de cours, l’enseignant dresse un procès-verbal constatant la situation et son impossibilité de faire cours et il porte aussi d’urgence la situation à la connaissance des autorités de l’université pour sanction. » 17. Conformément à la circulaire précitée, le 12 mars 1998, l’accès aux épreuves écrites du cours d’oncologie fut refusé à la requérante par les surveillants au motif qu’elle portait le foulard islamique. Par ailleurs, le 20 mars 1998, Mlle Şahin s’adressa au secrétariat de la chaire de traumatologie orthopédique pour son inscription administrative, qui lui fut refusée pour cause de port du foulard. De même, les 16 avril et 10 juin 1998, toujours pour la même raison, elle ne fut pas admise au cours de neurologie et aux épreuves écrites du cours de santé populaire. 4 ARRÊT LEYLA ŞAHİN c. TURQUIE B. Le recours en annulation introduit par la requérante contre la circulaire du 23 février 1998 18. Le 29 juillet 1998, la requérante introduisit un recours en annulation contre la circulaire du 23 février 1998. Dans son mémoire, elle soutenait que la circulaire en question et son application constituaient une atteinte à ses droits garantis par les articles 8, 9 et 14 de la Convention ainsi que par l’article 2 du Protocole no 1 dans la mesure où, d’une part, la circulaire n’avait pas de base légale et, d’autre part, le rectorat ne disposait pas de pouvoir de réglementation en la matière. 19. Par un jugement rendu le 19 mars 1999, le tribunal administratif d’Istanbul débouta la requérante, considérant qu’en vertu de l’article 13 b) de la loi no 2547 relative à l’enseignement supérieur (« la loi no 2547 ») (paragraphe 52 ci-dessous), le recteur d’une université, en tant qu’organe exécutif d’un tel établissement, disposait d’un pouvoir réglementaire en matière de tenue vestimentaire des étudiants en vue d’assurer le maintien de l’ordre. Ce pouvoir réglementaire devait être exercé conformément à la législation pertinente ainsi qu’aux arrêts rendus par la Cour constitutionnelle et le Conseil d’Etat. Se référant à la jurisprudence constante de ces derniers, le tribunal administratif conclut que ni la réglementation litigieuse ni les mesures individuelles ne pouvaient être considérées comme illégales. 20. Le 19 avril 2001, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi de la requérante. C. Les sanctions disciplinaires infligées à la requérante 21. En mai 1998, une procédure disciplinaire fut engagée contre la requérante au titre de l’article 6 a) du règlement sur la procédure disciplinaire des étudiants (paragraphe 50 ci-dessous) en raison de l’inobservation par celle-ci des règles portant sur la tenue vestimentaire. 22. Le 26 mai 1998, eu égard au fait que Mlle Şahin manifestait par son comportement la volonté de continuer à participer aux cours et/ou aux travaux pratiques en portant le foulard, le doyen de la faculté déclara que l’attitude de la requérante et le non-respect par celle-ci des règles portant sur la tenue vestimentaire ne seyaient pas à la dignité que nécessite la qualité d’étudiant. Il décida en conséquence de lui infliger un avertissement. 23. Le 15 février 1999, un rassemblement non autorisé tendant à protester contre les règles portant sur uploads/S4/ affaire-leyla-sahin-c-turquie-1.pdf
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- Publié le Sep 04, 2022
- Catégorie Law / Droit
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