Annuaire français de droit international L'affaire de la Barcelona Traction dev
Annuaire français de droit international L'affaire de la Barcelona Traction devant la Cour internationale de Justice (arrêt du 5 février 1970) M. le Professeur Jean Charpentier Citer ce document / Cite this document : Charpentier Jean. L'affaire de la Barcelona Traction devant la Cour internationale de Justice (arrêt du 5 février 1970). In: Annuaire français de droit international, volume 16, 1970. pp. 307-328; doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1970.1596 https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1970_num_16_1_1596 Fichier pdf généré le 04/04/2018 JURISPRUDENCE ET JURIDICTIONS INTERNATIONALES COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE. AFFAIRE DE LA BARCELONA TRACTION ARRÊT DU 5 FÉVRIER 1970 Jean CHARPENTIER 1. — Le 5 février 1970, la Cour Internationale de Justice a rejeté la demande du gouvernement belge dans l'affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Ltd, -considérant que la qualité pour agir du requérant devant la Cour n'avait pas été démontrée. 2. — Ainsi s'achève, sans avoir été menée à son terme, une interminable procédure (1) qui avait en fait débuté le 23 septembre 1958 par le dépôt d'une première requête belge, avait été interrompue le 10 avril 1961 à la suite d'un désistement du requérant, et avait repris le 19 juin 1962 avec le dépôt d'une seconde requête demandant « réparation du préjudice qu'auraient subi des ressortissants belges actionnaires de la société Barcelona Traction, du fait d'actes prétendument contraires au droit international commis à l'égard de la société par des organes de l'Etat espagnol ». 3. — Le 15 mars 1963, le gouvernement espagnol avait soulevé quatre exceptions préliminaires. Par son arrêt du 24 juillet 1964 (2) , la Cour devait en rejeter deux, reconnaissant ainsi à la Belgique le droit de réintroduire une instance après désistement et celui de substituer la C.I.J. à la C.P.J.I. dans (*) Jean Charpentier, Professeur à l'Université des Sciences sociales de Grenoble. (1) La Cour elle-même a déploré c la longueur inusitée de la présente instance » {CM. Rec, 1970, p. 30, § 27) due aux délais demandés par les Parties et qu'elle n'a pas cru pouvoir refuser. (2) Cf. notre commentaire, in : A.F.D.I., 1964, p. 327 et s. 308 JURISPRUDENCE INTERNATIONALE l'application d'un traité de règlement judiciaire et d'arbitrage datant de 1927; elle décidait de joindre au fond les deux autres exceptions préliminaires portant, l'une sur la qualité pour agir du requérant, l'autre sur le non-épuisement des recours internes. C'est la première de ces deux exceptions jointes au fond, donc la troisième exception espagnole, que la Cour a finalement retenue par le présent arrêt. 4. — Rendu à la quasi-unanimité de quinze voix contre une, celle du juge ad hoc belge, l'arrêt voit cependant son autorité morale affaiblie par le nombre et la longueur des opinions individuelles (plus de trois cents pages). On ne peut s'empêcher à cet égard de déplorer l'excessif individualisme des juges : est-il normal, alors que douze des voix de la majorité sont censées se fonder sur les motifs énoncés dans le présent arrêt, que huit opinions individuelles s'expriment, sans parler de trois déclarations de portée plus limitée ? C'est donc que cinq juges n'ont pu s'empêcher de disserter longuement sur des motifs secondaires de dissentiment. Ce n'est là, sans doute, que le moindre inconvénient de l'hétérogénéité, par ailleurs nécessaire, du personnel de la Cour. 5. — On ne saura donc sans doute jamais si, en acculant à la faillite la Société holding canadienne Barcelona Traction, le gouvernement espagnol, cédant aux pressions d'un groupe financier espagnol qui allait être le bénéficiaire de l'opération, a voulu procéder à la nationalisation déguisée, du réseau de production et de distribution de l'énergie électrique en Catalogne dont la Barcelona Traction exerçait le contrôle, ou si, en refusant à cette société les attributions de devises qu'elle réclamait pour assurer le paiement d'obligations émises en livres sterling, ledit gouvernement a déjoué les plans de capitalistes sans scrupules cherchant à frauder le fisc espagnol en jouant sur la personnalité distincte de sociétés parentes de nationalité différente. 6. — On ne saura surtout pas si un tribunal espagnol avait le droit de prononcer la faillite d'une société de droit canadien — la Barcelona Traction — n'exerçant aucune activité en Espagne, si ce n'est d'y financer ses filiales, elles-mêmes de droit canadien — notamment Ebro Irrigation and Power Cy Ltd — et de procéder, à défaut de la saisie matérielle des actions de ses filiales, détenues au Canada, à une prise de possession fictive ayant abouti en définitive à leur dissolution. 7. — Muet sur le fond du droit, l'arrêt du 5 février 1970 ne concerne donc que la mise en mouvement d'une action internationale. Sur cette question unique, il apporte cependant un enseignement divers dont les éléments doivent être réunis à partir de raisonnements épars. Aussi, avant de les dégager, nous apparaît-il nécessaire de résumer rapidement la construction générale de l'arrêt. L'AFFAIRE DE LA BARCELONA TRACTION 309 8. — Après un rappel de la procédure, un exposé des faits (3) et l'énoncé des conclusions des Parties (4) la Cour résume la demande, telle qu'elle est formulée par le Gouvernement belge (5). Elle examinera logiquement pour commencer le droit de la Belgique à exercer la protection diplomatique d'actionnaires belges d'une société canadienne victime d'agissements imputés au Gouvernement espagnol. Mais, un droit d'action implique l'existence d'un droit substantiel à faire respecter : en l'occurrence « un droit de la Belgique a-t-il été violé du fait que des droits appartenant à des ressortissants belges actionnaires d'une société n'ayant pas la nationalité belge, auraient été enfreints ?» (6) . Le contenu de ce droit étant déterminé par la situation respective de la société anonyme et de ses actionnaires, c'est au droit interne qu'il faut se référer; l'analogie du droit interne permet de poser le principe de « l'hégémonie de la société » (7) dont une des manifestations est le droit d'action exclusif de la société, à l'exclusion des actionnaires, pour toute question de caractère social. Existe-t-il une raison de ne pas transposer ce principe dans le domaine du droit international ? La Cour ne le pense pas, en l'absence d'une règle établie conférant expressément un droit de protection diplomatique à l'Etat national des actionnaires pour la défense des droits de la société. Mais ce qui est vrai du principe doit l'être aussi des exceptions. Cependant, les deux « situations particulières » qui pourraient exceptionnellement justifier un droit d'action de l'Etat national des actionnaires — la disparition juridique de la société et le défaut de qualité de l'Etat national de la société — ne sont pas réalisées en l'espèce : la Barcelona Traction n'a pas, en droit, cessé d'exister, et le Canada a non seulement qualité pour la protéger, mais a effectivement agi en sa faveur. Faute d'avoir prouvé l'existence de son droit à agir pour le compte de ses ressortissants, le demandeur peut-il introduire une réclamation pour son propre compte, faisant abstraction du droit interne ? Peut-il demander réparation du préjudice qu'aurait subi son économie à travers la perte des investissements belges ? Non, car, en l'état actuel du droit international, les investissements étrangers, ' en l'absence d'accord spécial, ne sont protégés qu'à travers la technique de la protection diplomatique. La Cour se tourne enfin vers l'équité, mais pour conclure qu'elle « n'est pas d'avis que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, des (3) L'ébauche qui en est faite ci-dessus aux §§ 5 et 6 nous parait suffisante à la compréhension de l'Arrêt. (4) Les quatorze pages des conclusions finales belges ne constituent pas le moindre abus d'une procédure exagérément développée : on est loin de c l'énoncé précis et direct d'une demande », par quoi la Cour définissait les conclusions dans l'arrêt des Pêcheries (Cf. Rec, 1951, p. 126. Voir sur ce sujet l'article de Basdevanx aux Mélanges Perassi, 1957, p. 175). (5) Voir ci-dessus, § 2. (6) C.I.J., Recueil, 1970, p. 32, § 35. (7) L'expression, inemployée par la Cour, est volontiers utilisée par le juge Fitzmaurice dans son opinion individuelle. 310 JURISPRUDENCE INTERNATIONALE considérations d'équité soient de nature à conférer qualité pour agir au Gouvernement belge » (8). 9. — Pour ne pas déformer la cohérence de l'arrêt, nous avons cru nécessaire d'en présenter ce rapide schéma. Il nous est maintenant possible d'en rompre éventuellement l'unité pour tenter de dégager son enseignement sur trois séries de questions : la qualité pour agir selon les recours, le droit applicable, les méthodes de raisonnement de la Cour. I. — La qualité pour agir selon les recours 10. — C'est sur le défaut de qualité pour agir de la Belgique que la Cour s'est fondée pour rejeter la demande du gouvernement belge. L'arrêt apporte donc une contribution à la notion de qualité pour agir. 11. — La qualité pour agir devant une instance internationale a été définie comme « le pouvoir en vertu duquel un Etat est admis à figurer à une instance » (9) . Elle n'est pas facile à distinguer de la notion voisine d'intérêt pour agir. Disons seulement que la notion de qualité est plus large que celle d'intérêt et que le problème important est précisément de savoir si uploads/S4/ afdi-0066-3085-1970-num-16-1-1596.pdf
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- Publié le Sep 02, 2022
- Catégorie Law / Droit
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