29 AVANT-PROPOS Au seuil de ce cours, j'aimerais clarifier deux points de carac

29 AVANT-PROPOS Au seuil de ce cours, j'aimerais clarifier deux points de caractère personnel. En premier lieu, bien que conscient de l'honneur que me fait l'Académie en étant le premier juriste afro-asiatique appelé à donner le cours général et que plusieurs de mes premiers écrits portent sur la position des pays du tiers monde en droit international, ce n'est pas là l'objet de ce cours. Ce que je m'efforcerai de faire, c'est de présenter l'ordre juridique international comme je le perçois et le comprends personnellement, en procédant non pas de l'optique d'un participant ou d'un groupe de participants dans le système mais de celle d'un observateur intéressé à l'ensemble, qui essaie de le décrire et de l'expliquer aussi objectivement que possible. Mais que veut dire «objectivité» dans ce contexte? Car il est vrai que nous voyageons toujours avec nos bagages et que nous véhicu- lons avec nous, consciemment ou inconsciemment, notre vision du monde, notre Weltanschauung, avec nos valeurs et nos priorités. De sorte que même quand nous nous efforçons subjectivement d'être objectifs, nous restons objectivement un peu subjectifs. Dans ces conditions, je partage le point de vue de Gunnar Myrdal, pour qui le maximum d'objectivité auquel peut atteindre le chercheur en sciences sociales (parmi lesquelles je place le droit) est de révéler ses propres subjectivités ' — ou ce que nous appelons volontiers de nos jours sa «sensibilité» —, qui est dans mon cas la ferme convic- tion que les choses sont perfectibles, que le sentiment de justice ou plutôt d'injustice est un moteur puissant de la dynamique sociale et que le droit international — comme le droit tout court — n'est pas totalement étranger à cette finalité ni totalement absent de cette dynamique. Mon second point concerne la langue. Certains des auditeurs pourraient être surpris queje donne ce cours en français alors qu'une bonne partie de mes écrits, y inclus un premier cours ici même, sont en anglais. Cependant aucune de ces deux langues n'est ma langue 1. Voir Gunnar Myrdal, An International Economy, New York, Harper Bros, 1956, surtout 1'« Appendix» intitulé «Methodological Note on the Concepts and the Value Premises», pp. 336-340, et en général Value in Social Theory, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1958. 30 Georges Abi-Saab maternelle, ni même la langue de mes premières études universi- taires. Je les utilise toutes les deux de manière également imparfaite, et je m'excuse d'avance auprès des auditeurs des entorses que je pourrais faire à la langue française au cours de ces leçons. Mais il s'agit là d'un problème qui va au-delà de la forme. Déjà chez les grecs le mot logos désignait à la fois la «parole» (le lan- gage) et la «raison» (la pensée). Il ne nous a donc pas fallu attendre la révolution du XXe siècle dans la linguistique et les sciences du langage pour nous apercevoir que la langue sculpte et moule notre pensée et qu'elle n'est pas un simple reflet mais une composante agissante et un facteur déterminant de cette pensée. Par conséquent, et sans vouloir ériger en vertu ce qui n'est que nécessité, le décalage linguistique que l'auditeur ne manquera pas de relever, le choix parfois laborieux des mots ou l'utilisation de plu- sieurs synonymes ou adjectifs pour cerner au plus près une idée mar- quent une certaine distanciation — voulue, mais hélas ! obligée — par rapport aux structures mentales qui sont véhiculées par la langue utilisée. Et s'il y a conflit entre l'effort d'aller le plus loin possible dans ma pensée et les contraintes de l'élégance linguistique, c'est le premier que je privilégierai, non sans regret. * J'aimerais préciser à l'intention du lecteur du cours imprimé qu'il s'agit là simplement de la transcription du cours oral, qui préserve sa structure «parlée» et didactique, en y ajoutant le strict minimum d'appareil scientifique en termes de notes et de références, bien que je me sois permis ici et là de mettre à jour le texte à la lumière des développements subséquents et de lui surimposer des titres pour rendre sa trame plus évidente. J'ajouterais qu'il ne s'agit pas d'une présentation systématique du champ couvert par le droit international ni de son contenu et surtout pas de la littérature proliférante en la matière; mais plutôt d'un éclairage sélectif et rapide de certains aspects de ce droit qui permet- tent, à mon avis, d'accéder à une vue d'ensemble. Je ne saurais conclure cette digression rétrospective sans mention- ner l'intense plaisir que m'a procuré l'enseignement de ce cours à un auditoire très attentif et chaleureux et remercier les auditeurs de la session de 1987 de la stimulation intellectuelle qu'ils m'ont commu- niquée par leur intérêt et leur enthousiasme, ainsi que les générations Cours general de droit international public 31 successives de mes étudiants à l'Institut universitaire de hautes études internationales de Genève pour les idées que mon ensei- gnement et mes échanges avec eux m'ont inspirées et qui jalonnent ce cours. Cours que je dédie à la mémoire de celui qui m'a initié au droit international à l'Université du Caire, il y a fort longtemps, et qui aurait été amusé à l'idée de l'entendre à La Haye, sa dernière escale. uploads/S4/ 02-avant-propos.pdf

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  • Publié le Nov 18, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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