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Date : Octobre 2021 Pays : FR Périodicité : Mensuel OJD : 58906 Page de l'article : p.76-84 Journaliste : Emmanuelle Lequeux Page 1/9 FLAMMARION 6856961600506 Tous droits réservés à l'éditeur L’HISTOIRE DU MOIS Francis Picabia, photographié dans son atelier au 32, avenue Charles Floquet, à Paris, le 9 juillet 1911. Adroite Autoportrait Homme duel, homme à femmes, bourgeois «rastaquouère»... Picabia a mille visages, que dévoile avec gourmandise son biographe Bernard Marcadé. 1940, huile sur panneau, 48 x 58 cm. Picabia, provocateur, fumeur d’opium et «artiste en tous genres» «Je suis païen et immoral, j’ai toujours besoin de plusieurs femmes suspendues à mes lèvres», fanfaronnait Francis Picabia (1879-1953), l’artiste qui électrisa Paris et le reste du monde par son goût immodéré pour le scandale, la vitesse et les excès de toute sorte. L'historien de l’art Bernard Marcadé consacre à l’irrésistible «loustic» une biographie ultradocumentée, fruit de dix ans de travail. À lire comme un roman ! Par Emmanuelle Lequeux Date : Octobre 2021 Pays : FR Périodicité : Mensuel OJD : 58906 Page de l'article : p.76-84 Journaliste : Emmanuelle Lequeux Page 2/9 FLAMMARION 6856961600506 Tous droits réservés à l'éditeur Date : Octobre 2021 Pays : FR Périodicité : Mensuel OJD : 58906 Page de l'article : p.76-84 Journaliste : Emmanuelle Lequeux Page 3/9 FLAMMARION 6856961600506 Tous droits réservés à l'éditeur « 1 faut être inassouvi comme le feu, qui veut se brûler, il est le combustible de lui-même.» Voilà la seule règle que Francis Picabia se fixa jamais à lui- même. Pour le reste, toute contrainte, tout dogme, toute loi, il les refusa. Liberté incarnée, il épousa toutes les contradictions du siècle, et ne se priva de leur être infidèle. Cela explique-t-il le purga toire dans lequel nombre de ses œuvres furent long temps reléguées? Le bougre ne facilita pas la tâche à la postérité : fuyant les définitions, échappant aux écoles, «artiste en tous genres» autoproclamé, il brouilla délibérément les pistes, bondissant de yacht en fumerie d’opium, de gala en neurasthénie, de coup de génie en sape délibérée de son (ses) propre(s) style(s). Sanguin, hâbleur, cœur d’artichaut, le «lous tic», comme il aimait s’appeler, collectionna les femmes autant que les voitures (ISO bolides sont pas sés entre ses mains) ; n’aimant rien tant que la vitesse, il vira de bord à chaque coup de pinceau. Plagiaire revendiqué, sautant d’un mouvement à l’autre pour mieux les piétiner, l’auteur du Manifeste du bon goût (1923) n’a cessé de déconcerter son monde : «Je compte faire de la peinture qui, je l’es père, ne sera jamais classée en “iste” mais sera tout simplement une peinture Francis Picabia, la plus jolie possible, une peinture imbécile, susceptible de plaire à mon concierge.» Mal-aimé pour son kitsch andalou, décrié pour sa neutralité dans un siècle où tout était poli tique, trop bourgeois pour les uns, trop provocateur pour les autres : est-il artiste plus méconnu, dans la rocambolesque histoire de la modernité, que l’auteur de l’Œil cacodylate? Après avoir décrypté magistralement la vie de Marcel Duchamp, l’historien de l’art Bernard Marcadé dévoile enfin sa biographie rocambolesque. Dix ans de recherches pour faire la lumière sur le grand complice de Duchamp. Un être infiniment complexe, plus contemporain que jamais. «Pica bia n’est pas l’homme d’une pensée et d’une attitude univoques. Il fait son miel de toutes les antinomies, de tous les désaccords, y com pris avec lui-même, frère en cela de Marcel Duchamp qui place la “coïntelligence des contraires” au cœur de son art de vivre», souligne le biographe passionné. A GAUCHE Francis Picabia pendant ses vacances à Menton, en 1887. !)> t CiUko*- - Dessin réalisé à l'atelier Cormon, boulevard Clichy, à Paris, en 1901. 14-jt „—j.. l Br! pBtfc • »* Qui était Francis Picabia? Bourgeois rastaquouère, inventeur radical et plagiaire revendiqué, Picabia échappe à toute définition. De son impressionnisme tardif à ses provocations dadas, de ses mécaniques absurdement huilées à ses portraits d’Andalouses, il n’ obéit qu’à une règle: celle de son bon plaisir. New York, Barcelone, la Suisse, la Côte d’Azur, et bien sûr Paris et l’Espagne: il a parcouru son siècle à la vitesse d’un bolide, sans jamais craindre les embardées. 22 janvier 1879 Naissance à Paris. 1903 II commence à peindre à la manière impressionniste. 1913-1915 Allers-retours entre Paris et New York. 1919 Premières rencontres avec les Dadas, puis les surréalistes. 1927-1933 Villégiature dans son château de Mai, près de Cannes. 1945 II se rapproche de la jeune garde de l'abstraction. 30 novembre 1953 II meurt à Paris. Francis Picabia Bords du Loing en automne (Effet de soleil sur le Loing) Parti sur les traces des impressionnistes, Picabia les plagie sans vergogne à ses débuts, ce qui lui vaut ses premiers succès critiques. 1904, huile sur toile, 20,5 x 28 cm. Picabia le clamait à sa façon, plus fleurie : «Il faut être nomade, tra verser les idées comme on traverse les pays et les villes, manger des perruches et des oiseaux-mouches, avaler des ouistitis vivants, sucer le sang des girafes, se nourrir de pieds de panthères ! Il faut coucher avec des mouettes, danser avec un boa, faire l’amour avec des hélio tropes et se laver les pieds dans le vermillon !» On le soupçonne d’avoir rempli tous ces objectifs : «Je me suis amusé comme un enfant a plai sir à faire des tas de sable au bord de la mer. Il les fait le plus soigneu sement possible. Il a aussi le plaisir de les démolir. Mais il les a faits.» Peintre d’après carte postale Né en 1879 au cœur de la rive droite parisienne, Picabia s’invente mille vies dès l’enfance. Un de ses aïeux, corsaire pour le roi d’Es pagne, aurait «découvert l’Amérique mais, n’étant pas italien, il ne l’avait dit à personne» ! François Marie Martinez Picabia y Davanne (ainsi est-il enregistré à l’état civil) grandit rue des Petits-Champs dans un milieu bourgeois, entouré de toiles orientalistes et «de toutes les niaiseries de l’art officiel de l’époque». Dans son sang coule la France, l’Espagne, Cuba, et une rage explosive. Inscrit par son père, qui le voit artisan d’art, à l’École du Louvre puis aux Arts décoratifs de Paris, il passe d’un siècle à l’autre sans convic tion. Premières amours : à 18 ans, il s’enfuit vers la Suisse avec Ermine, qu’il vole à un journaliste célèbre. Vivres coupés, il survit en vendant ses premiers paysages, peints sur des galets du Léman. Lui prédisant un bel avenir, l’amante le convainc de persévérer dans cette voie. Rien de révolutionnaire dans ses scènes champêtres post-Barbizon. V*J Date : Octobre 2021 Pays : FR Périodicité : Mensuel OJD : 58906 Page de l'article : p.76-84 Journaliste : Emmanuelle Lequeux Page 4/9 FLAMMARION 6856961600506 Tous droits réservés à l'éditeur Udttie Cette toile envoûtante, un de ses premiers chefs-d’œuvre, est ainsi définie par son auteur : «Ce sont des souvenirs d’Amérique, des évocations de là-bas qui, subitement apposés comme des accords musicaux, deviennent représentatifs d’une idée, d’une nostalgie, d’une fugitive impression.» 1913, huile sur toile, 290 x 300 cm. Date : Octobre 2021 Pays : FR Périodicité : Mensuel OJD : 58906 Page de l'article : p.76-84 Journaliste : Emmanuelle Lequeux Page 5/9 FLAMMARION 6856961600506 Tous droits réservés à l'éditeur Dès 1904, c’est à l’impression nisme qu’il s’attaque, toujours avec retard. Premiers succès: inventeur malgré lui du terme «fauvisme», le critique d’art Louis Vauxcelles loue «la sûreté du dessin, la solidité de la construction» de l’artiste. «Jeune épigone d’un mouve ment déjà vieux», selon les mots de Duchamp, il se contenterait de la jouer comme Renoir et Monet? Non, bien sûr. Ses impressions sur nature n’en sont pas : le perfide se contente de cartes postales. L’original, il n’en a déjà que faire, et ce dédain ira croissant: «Je ne peins pas ce que voient mes yeux. Je peins ce que voit mon esprit, ce que voit mon âme.» Plusieurs membres de sa famille ont été fascinés par l’art naissant de la photo graphie? Il contre-attaque: «Vous nous avez tués, nous les peintres, avec votre photographie. Moi, votre petit-fils, il faut que je trouve autre chose. J’ai trouvé l’art abstrait.» Son aquarelle Caoutchouc, datée de 1909, concourt en effet au rang des pionnières de l’abstraction : avant, après Kandinsky? Il ne s’encombrait guère de ce genre de débat. Gabriële Buffet à l'époque de l'avenue Charles Floquet. Man Ray Francis Picabia en grande vitesse Toute sa vie, Picabia n’a cessé de traverser l’Europe en bolide, de Rolls-Royce en Mercer : il posséda plus de 160 voitures ! 1924, tirage argentique. CI-CONTRE Francis Picabia Natures mortes Portrait de Cézanne, portrait de Renoir, portrait de Rembrandt En 1920, lors d’une soirée dadaïste, Picabia organise un tableau vivant autour d’un singe en peluche. Avril 1920, peluche et huile sur carton, paru dans Cannibale n°l. Séducteur et peintre à 200 km/h À l’heure des premiers doutes, en 1908, rencontre fondamentale : la musicienne Gabriële Buffet se lance avec lui dans une conversa tion effrénée. Elle durera toute leur vie et donnera naissance à quatre enfants. uploads/s3/ francis-picabia-beaux-arts-magazine.pdf

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