Introduction La bande dessinée littéraire est à la mode. Au-delà des collection

Introduction La bande dessinée littéraire est à la mode. Au-delà des collections de bande dessinée consacrée à l’adaptation de textes littéraires, un phénomène qui touche aujourd’hui les éditeurs spécialisés comme les généralistes, la rencontre des domaines longtemps séparés de la littérature et de la bande dessinée s’est imposée comme une évidence. Non seulement au niveau de la production, où les adaptations sont un exercice populaire depuis plusieurs décennies, mais aussi et surtout au niveau de la manière dont l’organisation du champ littéraire prend depuis peu en compte le décloisonnement de la littérature et de la bande dessinée. La France connaît depuis près de trente ans un très fort engouement pour la bande dessinée. Les champs d’investigation de la bande dessinée n’ont cessé de se diversifier et, tout comme au cinéma, tous les genres sont aujourd’hui représentés, de la bande dessinée historique à la bande dessinée psychologique, en passant par la science-fiction ou l’autobiographie. Dans ce contexte, les adaptations littéraires ont, elles aussi, attiré nombre d’auteurs: en moins de cinq ans, les albums reprenant les œuvres littéraires ont foisonné, plusieurs maisons d’éditions créant des collections spécialisées et certains éditeurs se limitant même à ce créneau. Adapter des œuvres littéraires n’est pas, toutefois, une démarche simple. Elle exige en effet qu’on se pose la question du public auquel ces adaptations s’adressent, enfant ou adulte, du contexte de lecture qu’elles visent, scolaire ou de loisirs, et, plus généralement, de l’objectif qu’elles se fixent. Si l’adaptation littéraire est là pour faciliter l’approche d’une œuvre plus complexe, si elle en est un résumé, une introduction ou un sous-titrage, elle peut, à ce titre, entrer plus facilement dans le monde de l’école et amadouer des enseignants encore souvent mal à l’aise avec l’univers de la bande dessinée. C’est ainsi que la collection «Romans de toujours», chez Adonis, souhaite «diffuser sous une forme agréable et moderne les romans les plus célèbres de la littérature internationale pour qu’ils soient accessibles au plus grand nombre tout en respectant au plus près le style même de l’écrivain». Cette vision d’une œuvre simplifiée est toutefois erronée : non seulement la maîtrise des codes du genre induit-elle une difficulté supplémentaire pour le lecteur, notamment pour comprendre le lien entre texte et images, mais elle est encore réductrice. On peut en effet concevoir l’adaptation de l’œuvre classique non seulement comme une facilitation, mais comme une nouvelle œuvre, devant exister par elle-même, et assumant une nécessaire prise de distance avec l’œuvre originale. Dans l’adaptation littéraire en bande dessinée, la question centrale est donc celle d’une plus ou moins grande proximité à l’égard de l’œuvre originale, dont on donne, au choix, une version fidèle, émancipée ou encore décalée. L’adaptation «à la lettre» est-elle forcément le gage, néanmoins, d’une fidélité à l’œuvre? Toute adaptation n’est-elle pas, plutôt, recréation de l’œuvre originale? Inversement, peut-on s’éloigner du texte, l’élaguer, l’interpréter, le transformer et rester loyal à l’esprit de l’œuvre? Comment la part de créativité des bédéistes peut-elle s’exprimer, tout en servant l’œuvre originale choisie? Il y a un vaste panel de bandes dessinées parues entre 1999 et 2009, couvrant les différents genres littéraires (roman, nouvelle, conte, théâtre, poésie), et s’inspirant toutes de grands classiques de la littérature française. 1. Les adaptations des œuvres classiques dans leur intégralité Les œuvres intégrales qui sont devenues des classiques de la langue et de la culture française sont avant tout reconnues pour leur texte. C’est le choix des mots, le rythme des phrases, le style de l’auteur bien plus encore que l’intrigue qui font qu’une œuvre originale est reconnaissable entre toutes et qu’elle s’impose à l’épreuve du temps comme un élément incontournable du patrimoine littéraire français. C’est pourquoi adapter une œuvre classique peut rapidement devenir pour certains la dénaturer et porter atteinte à ce qui lui donne toute sa force première : ses mots. Une œuvre classique est alors perçue comme devant être respectée voire vénérée et plusieurs auteurs de bandes dessinées ont fait le choix d’être le plus fidèles possibles à l’œuvre classique, en commençant par en respecter scrupuleusement la lettre et en l’adaptant dans son intégralité. 1.1. Les adaptations littérales de pièces de théâtre Le théâtre est rapidement apparu comme un genre facile à adapter en bande dessinée puisque les dialogues ont une importance primordiale, que les pièces originales sont déjà découpées en actes et en scènes et que le travail du scénariste de bande dessinée est finalement très proche de celui du metteur en scène par le positionnement des personnages et le cadrage des tableaux. Adapter une pièce de théâtre en bande dessinée, c’est passer d’un art visuel à un autre, d’une œuvre à représenter sur scène à une œuvre à représenter par le dessin. Dans les adaptations en BD de pièces intégrales, le texte déclamé est entièrement repris mais les didascalies sont traduites en images, comme elles le sont en gestuelles lors d’une représentation. Ainsi, les éditions Vents d’Ouest ont fait le choix d’adapter plusieurs œuvres intégrales de Molière comme Le Médecin malgré lui, Les Précieuses ridicules ou L’Avare. En choisissant d’adapter principalement les œuvres classiques étudiées au collège, l’idée est bien de réconcilier les jeunes avec le théâtre et de mimer au plus près les aventures d’une troupe de théâtre en reprenant les mêmes représentations iconographiques des personnages qui reviennent d’une pièce à l’autre, comme s’il s’agissait de figures de comédiens. Dans l’adaptation des Précieuses ridicules (2005), l’étude de la première de couverture renseigne fortement sur le parti pris de la bande dessinée. Seul le nom de Molière apparaît, tout comme en quatrième de couverture, appuyé par un dessin de Molière à sa table d’écriture. Les bédéistes ne sont que secondaires: ils ne sont pas là en tant qu’artistes à part entière mais en tant que serviteurs d’un grand classique de la littérature française. Cet effacement se perçoit d’ailleurs tout au long de la bande dessinée et les auteurs semblent se faire les plus discrets possible, n’étant là que pour être fidèles au texte de Molière. En reprenant la citation de Molière «le Théâtre n’est fait que pour être vu!», l’adaptation s’autorise quelques effets relevant purement de la bande dessinée mais toujours uniquement pour appuyer l’œuvre du XVIIe siècle. Ainsi, quelques onomatopées sont ajoutées lorsque des tapes sont données, la police est grossie et apparaît en gras lorsque le personnage crie et quelques gestes sont illustrés de manière humoristique avec le rajout d’étoiles ou de traits mimant le mouvement. Tout au long de l’adaptation, on sent que les auteurs se sont retenus d’être top créatifs et dans ce cadre contraignant on relève quelques très bonnes trouvailles telles que le Marquis de Mascarille qui chante sa sérénade comme dans le texte de Molière, à la différence près que le dessinateur lui rajoute des fausses notes pour accentuer son ridicule ou sa peur amplifiée par la présence de l’ombre de son interlocuteur lorsqu’il refuse de payer les porteurs de chaises et qu’il manque de se faire rosser. Molière a aussi inspiré les éditions Delcourt qui proposent une adaptation en trois tomes de Tartuffe (DUVAL et ZAMZIM, 2008). Cette adaptation ne se limite pas à sous-titrer le texte mais en propose une version personnalisée tout en gardant le texte intégral. L’auteur n’hésite pas à servir le texte et ne vise pas simplement à reproduire sur papier la pièce jouée. Les personnages sont stylisés et on reconnaît la griffe particulière du dessinateur. De même, le scénariste met en scène sa propre interprétation, notamment lorsque Madame Pernelle voit en Tartuffe un véritable sauveur et que les bédéistes illustrent cette vénération en représentant le personnage principal en Croisé du Moyen-âge. De même, l’entrée en scène de Tartuffe est très théâtralisée puisqu’avant de découvrir le personnage, il n’est présenté, dans une succession de cases, que par ses mains avides qui se servent dans des plats garnis. Face à sa cupidité, les mains d’Orgon tiennent fébrilement un chapelet. L’adaptation insiste bien sur le décalage entre l’habit de la religion et les véritables centres d’intérêt de l’imposteur. Enfin, la couverture même du tome 1 représente Tartuffe écrasant Orgon qui à quatre pattes et en position de soumission totale, ne sert que de siège, alors que le personnage de titre reste occupé à boire du vin tout en arborant une croix sur sa bague et une autre sur son chapelet, et que Dorine, la servante insolente qui reste incontestablement le personnage qui tient le plus tête à Tartuffe, debout auprès de lui le domine même un peu. 1. 2. Les adaptations littérales des formes courtes Le format de la bande dessinée, même s’il a aujourd’hui gagné en liberté et s’il sort régulièrement du format 48CC (48 pages, cartonné, couleurs), reste limité en volume. C’est pourquoi des formes comme la fable, le conte ou le poème se prêtent plus facilement à des adaptations totalement fidèles à l’œuvre originale. Ainsi, dans le recueil Jean de la Fontaine, Les fables en BD (Collectif, 2008), chaque fable choisie apparaît intégralement en ouverture de son adaptation et est par la suite reprise mot à mot dans sa mise en bandes dessinées. Le uploads/s3/ bd-litte-raire.pdf

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