Émile Zola librettiste : le naturalisme à l’opéra face au wagnérisme. Quelques

Émile Zola librettiste : le naturalisme à l’opéra face au wagnérisme. Quelques éléments de comparaison 16 FÉVRIER 2016 / LITTERA-INCOGNITA Olivier Sauvage Doctorant, Université Toulouse – Jean Jaurès sauvage720/@/gmail.com Pour citer cet article : Sauvage, Olivier, « Émile Zola librettiste : le naturalisme à l’opéra face au wagnérisme. Quelques éléments de comparaison. », Litter@ Incognita [En ligne], Toulouse : Université Toulouse Jean Jaurès, n°1 « Commencements », 2005, mis en ligne en 2005, disponible sur <http://blogs.univ-tlse2.fr/littera- incognita-2/2018/01/09/la-ville-contemp…ite-au- generique/>. Télécharger l’article au format PDF Résumé Les livrets d’opéra écrits par Émile Zola et mis en musique par Alfred Bruneau méritent davantage que le relatif oubli dans lequel ils se trouvent encore de nos jours. À lire les textes produits par Zola pour la scène lyrique, on découvre en effet une facette méconnue de l’auteur des Rougon-Macquart. Par son utilisation originale du leitmotiv littéraire autant que par ses idées sur la mise en scène, que l’on peut rapprocher des conceptions dramatiques et musicales de Wagner, le librettiste Zola fait œuvre de novateur. Les nécessités du genre opératique et le travail de mise en musique mené par Bruneau permettent à l’écrivain de manier, avec plus de malléabilité que dans le roman, les variations thématiques qu’il affectionne. Mots-clés : esthétique wagnérienne – mise en musique – naturalisme – opéra – 19e siècle – Zola Abstract The librettos written by Emile Zola and set to music by Alfred Bruneau deserve more than the relative obscurity into which they are still today. In reading the texts produced by Zola for the stage, we find indeed a little- known facet of the author of the Rougon-Macquart. In its original use of literary leitmotiv much as by his ideas on the staging, which relates to the concepts and musical drama of Wagner, Zola is the librettist of innovative work. The exigencies of the operatic genre and work set to music led by Bruneau allow the writer to handle more malleable than in the novel thematic variations that he loves. Keywords: wagnerian aesthetics – set to music – naturalism – opera – 19th century – Zola Sommaire 1. La naissance et l’essor du wagnérisme en France 2. Des partis pris esthétiques comparables 3. Deux rapprochements intéressants 4. En guise de conclusion Annexe : esquisse de chronologie Notes Bibliographie Le goût de Zola pour la peinture est bien connu. Il est vrai qu’il fut l’ami d’enfance de Cézanne, et nul n’ignore son courageux combat artistique en faveur des peintres dédaignés par les représentants de l’art officiel. Monet, Manet et l’ensemble de la future école impressionniste lui surent gré de son soutien. De ce fait, les travaux universitaires consacrés au rôle tenu par la peinture dans ses romans ne manquent pas. En revanche, on oublie plus volontiers, ou plutôt on ignore que le même Zola fut aussi intéressé par la musique, et ce dès sa jeunesse. L’écrivain a en effet lu divers ouvrages de musicologie, dont le Grand Traité d’instrumentation de Berlioz1, et il a d’autre part assisté de façon régulière à des concerts donnant des extraits d’opéras wagnériens dès les années 1860. Zola fut d’ailleurs un ardent partisan de Wagner, et il ne s’en cachait pas. L’influence du modèle musical wagnérien sur son œuvre romanesque ultérieure va du reste s’en ressentir. Par la suite, Zola se tourna plus directement vers la scène lyrique en écrivant pour le jeune musicien Alfred Bruneau plusieurs livrets d’opéras. Confronter l’esthétique wagnérienne à ces œuvres peu connues n’est donc pas absurde, car l’écrivain français rejoint le compositeur allemand sur nombre de questions musicales et dramatiques fondamentales. Faute de place et de temps, nous ne pourrons entrer ici dans le détail. Toutefois, deux exemples justifieront, on l’espère, le bien-fondé de notre comparaison. Après avoir évoqué la difficile et lente diffusion des opéras de Wagner en France et le développement parallèle d’un wagnérisme littéraire, nous tenterons d’esquisser une comparaison entre l’esthétique wagnérienne et celle défendue par Bruneau et Zola, avant de montrer par deux confrontations d’œuvres à quel point le rapprochement nous semble fructueux. 1. La naissance et l’essor du wagnérisme en France 1.1. Wagner et la France Richard Wagner entretint des rapports privilégiés mais conflictuels avec la France. Il vécut à Paris de 1839 à 1842, puis y effectua plusieurs courts séjours entre 1849 et 1858, avant de s’y réinstaller entre 1859 et 1862. Il n’y retournera ensuite qu’à deux reprises, et pour une durée très brève. Dans sa jeunesse, Wagner ambitionnait de faire triompher sa musique et ses conceptions dramatiques en France. Ainsi que l’écrit Danièle Pistone : La capitale française apparaissait véritablement à Wagner comme la ville universelle, dans laquelle il souhaitait ardemment se faire entendre ; avec ses 900 000 habitants, elle représentait pour lui la ville la plus peuplée d’Europe, symbole d’un pays glorieux, dictant ses lois artistiques2. Le jeune compositeur allemand appréciait également l’organisation des théâtres parisiens, spécialisés chacun dans un type de répertoire. Les œuvres y restaient aussi à l’affiche plus longtemps qu’outre-Rhin. De plus, Wagner connaissait le répertoire français en vogue. En tant de chef d’orchestre, il fit exécuter des extraits d’œuvres d’Auber, Boieldieu, Adam, Hérold, et reconnaissait aux musiciens français un talent particulier pour l’opéra-comique3. Malheureusement, le Kapellmeister connut de multiples avanies à Paris, et demeura dans une situation matérielle fort précaire. Lors de son second séjour parisien, consacré en grande partie à préparer les représentations de Tannhäuser, il n’eut pas davantage de succès. Le 13 mars 1861, la première de l’œuvre, donnée à l’Opéra, salle Le Peletier, fut sabotée par une cabale orchestrée par les membres du Jockey-Club. Wagner fut contraint de supprimer certains passages et d’en remanier d’autres pour complaire à ces messieurs, mais la deuxième représentation ne fut pas davantage épargnée par leurs sifflets. Au-delà de l’anecdote de cet épisode cuisant souvent raconté, il est important de souligner que le public français commença à connaître Wagner à partir des années 1860-1861. Les malentendus débutèrent aussi à cette époque… Les uns brocardent ainsi un musicien colérique, partisan d’un art sonore ésotérique, les autres moquent ce qu’ils considèrent comme les caprices d’un compositeur prétentieux et imbu de sa personne. Mais la plupart des critiques s’accordent pour condamner la musique wagnérienne, jugée bruyante et inaudible. Dans un registre plus léger, qui ne connaît la célèbre caricature de Gill, représentant le maître allemand en train de martyriser dans un accès de joie sadique le tympan d’une oreille gigantesque en lui enfonçant une note géante avec un marteau4 ? Offenbach lui-même plaisanta le « Compositeur de l’avenir » dès 1860 dans son Carnaval des revues donné aux Bouffes-Parisiens5. Cependant, dès cette époque, des artistes français s’indignèrent du traitement réservé à l’œuvre wagnérienne. Parmi eux, beaucoup d’écrivains. Baudelaire figure parmi les premiers. Bouleversé par l’audition de Tannhäuser et révolté par le comportement du public parisien, il écrivit un texte d’analyse aussi émouvant que pénétrant sur l’art wagnérien. « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris » demeure à ce jour l’une des études les plus pertinentes sur les conceptions dramatiques et musicales de Wagner. Baudelaire a été l’un des premiers à comprendre l’originalité et la nouveauté apportées par le musicien allemand en termes de composition musicale et de mise en scène. Après lui, d’autres écrivains vont s’employer à défendre l’auteur du Hollandais volant et de Lohengrin. Nous ne pouvons nous étendre sur ce sujet, mais qu’il nous soit permis de mentionner ici Nerval6, Gautier7 et Champfleury8 , qui ont précédé de peu Baudelaire, puis Judith Gautier9, Villiers de L’Isle-Adam, Verlaine, Mallarmé10, Dujardin11, Élémir Bourges, Péladan12, Proust, Suarès13, Claudel, et plus près de nous Julien Gracq… Malgré cela, l’œuvre de Wagner mit plus de trois décennies avant de s’imposer sur la scène française. Hormis Tannhäuser, les autres opéras de Wagner ne furent joués intégralement en France qu’à la fin du siècle : Lohengrin, créé à Weimar en 1850, ne fut présenté à Paris qu’en 1887 ; Les Maîtres chanteurs, dont la première allemande remonte à 1868, n’a été monté qu’en 1896 à Lyon, et un an plus tard dans la capitale ; Tristan et Isolde, créé à Munich en 1865, ne fut donné qu’en 1899 à Paris. Les parisiens durent attendre 189714 pour voir en entier Le Hollandais, pourtant créé à Dresde plus d’un demi-siècle auparavant ! Ces retards s’expliquent aussi par des raisons idéologiques. Le Wagner d’après 1870, sans doute aigri par ses déconvenues parisiennes, en tint durablement rancune à la France. Son Ode à l’armée allemande devant Paris, sa Marche impériale dédiée au Kaiser Guillaume Ier, et sa peu subtile comédie francophobe Une capitulation15 lui valurent en retour l’hostilité d’une grande partie du public et du monde artistique. Dans le contexte d’une France humiliée par la défaite de 1870 contre les Prussiens, la musique wagnérienne fut décriée pour sa germanité jugée arrogante, en même tant qu’elle continuait à être en butte à une incompréhension esthétique. Les manifestations d’hostilité provoquées par la représentation de Lohengrin à Paris furent grandes, et culminèrent en mai 1887 : le soir de la première, devant l’Eden Théâtre, une foule hostile conspue Wagner et ses partisans : uploads/s3/ sauvage-e-mile-zola-librettiste.pdf

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