107 Revue des Études Amazighes, 2, 2018, p. 107-120 Quelle terminologie pour dé
107 Revue des Études Amazighes, 2, 2018, p. 107-120 Quelle terminologie pour désigner le figement et les séquences figées en amazighe ? Mustapha EL ADAK Université Mohamed Premier, Oujda Comment cerner les contours d’un phénomène aussi complexe et confus que celui du figement linguistique ? Voilà une question que l'on se pose depuis des années, mais à laquelle on ne trouve pas de réponse satisfaisante dans les études consacrées aux langues européennes ou autres. Quant à l’amazighe qui ne dispose pas encore d’une terminologie réellement établie pour son enseignement, c’est une tout autre question qu’il faudrait se poser : quelle terminologie pour désigner le figement et les séquences figées en amazighe ? Cette question choisie comme titre de cet article appelle d’autres questions, notamment : comment est enseigné l’amazighe ? qu’en est-il de la terminologie linguistique permettant de l’enseigner ? et quelle est la place du figement linguistique et de la terminologie qui s’y rapporte dans les études amazighes ? Il n’est pas dans notre propos de répondre à toutes ces questions de façon développée. Nous ne nous en tiendrons ici qu’à la problématique de la terminologie. Cela étant dit, l’intégration de l’amazighe dans le système éducatif au Maghreb ou ailleurs implique que son enseignement en langues étrangères ne saurait être prolongé encore. D’où la nécessité de l’élaboration d’une terminologie spécifiquement amazighe et recouvrant tous les domaines : linguistique, didactique, littérature, anthropologie, etc. C’est dans cette perspective que nous voulons mettre l’accent sur les termes relatifs au figement. Parallèlement aux autres concepts de grammaire ou de linguistique, les différentes unités figées de la langue devraient être nommées et enseignées. 108 1. Le figement : un phénomène linguistique marginalisé Les séquences figées ont été historiquement mises à l’écart par la grammaire traditionnelle et ensuite par la linguistique moderne. Contrairement aux mots simples, fixes dans leur forme signifiante et organisés en parties de discours, les unités complexes posent des difficultés quant à l’étude de leur construction syntaxique et de leur sens souvent non conforme au principe de la compositionnalité. Or, aujourd’hui, force est de constater qu’elles ont connu un net regain d’intérêt et deviennent une curiosité autant dans le domaine de la linguistique que dans l’ensemble des sciences humaines et sociales. La place qui leur est accordée, à travers les colloques internationaux et les publications incessantes, a permis de les élever au rang de domaine à part entière dans le champ des sciences du langage. Ainsi, se concrétise la réhabilitation d’une composante de la langue longtemps ignorée. Cependant, les différents travaux ayant traité des séquences figées au cours des dernières décennies ne manquent pas de susciter des interrogations et de soulever des débats quant à la terminologie employée pour les désigner, leur statut, leur typologie, leur traitement lexicographique, etc. Dans le domaine amazighe, soulignons d’emblée qu’excepté certaines catégories comme les locutions adverbiales et les interrogatifs abordés dans les ouvrages consacrés à la description de la grammaire, les séquences figées de nature lexicale ont bénéficié de peu d’études systématiques et approfondies en linguistique amazighe. Le kabyle est le premier dialecte à avoir été décrit dans un mémoire de DEA remarquable réalisé par Ahcen Taleb (1996) et dans une thèse de doctorat d’Ourida Tilikete (1999). Par la suite, d’autres études ont commencé à apparaître progressivement pour couvrir le reste des variétés dialectales. Cependant, malgré tout cet intérêt, il reste encore du chemin à faire dans ce domaine. Attirer l’attention sur le versant idiomatique de l’amazighe, c’est mettre en évidence ses spécificités linguistiques et la richesse des images que ses expressions véhiculent. Sans doute, les unités simples ne présenteraient à ce titre qu’un nombre minime par rapport aux unités polylexicales qu’il cumule. Les descriptions contenues dans les ouvrages de grammaires existants soulignent rarement cet aspect de la 109 langue. De même, l’idée que les notions véhiculées par certains mots trouvent leur meilleure expression dans les unités obtenues par figement y est totalement absente. Sur le plan lexical, faut-il rappeler que la composition, restée longtemps marginalisée, constitue une source importante pour la création du lexique amazighe. Si elle est sous-estimée et mal exploitée, c’est justement parce que les études linguistiques n’ont pas accordé au figement la place qu’il mérite. Par ailleurs, n’oublions pas qu’il est des concepts qui ne sont portés que par des énoncés codés. Mettre le figement au centre des préoccupations scientifiques, c’est donc un nouveau pas vers une autre réflexion sur l’amazighe. Une réflexion sur le fait que la langue est fondée à la fois sur des automatismes et sur des productions libres d'énoncés discursifs. Les études phonético-phonologiques et morphosyntaxiques qui ont prédominé pendant un demi-siècle devraient être soutenues par la recherche sur les unités complexes fonctionnellement figées. Ces dernières offrent désormais la possibilité de mener plusieurs tâches de front : lexique, syntaxe, sémantique, analyse de discours, etc. Ainsi, leur étude sous des angles différents mais complémentaires est susceptible de remettre en question toute une série de concepts portant sur la nature du signe linguistique, la référence, la dénomination, la dichotomie saussurienne langue/parole, pour ne citer que les plus essentiels. Se trouvent également posées diverses questions élaborées par la linguistique cognitive-fonctionnelle. En général, elles portent sur l’interaction entre la langue et d’autres facultés humaines relatives à la conceptualisation, l’analogie symbolique, la mémoire, etc. On voit bien que le fil conducteur reliant tous ces éléments est la sémantique lexicale. Cela étant dit, tout en se situant sur plusieurs échelles, les unités dont il est question ici relèvent du lexique. À l’instar des formes simples de la langue, elles sont mémorisées et relèvent de la compétence des locuteurs qui les utilisent au quotidien. Notons que la réhabilitation de emplois figés que nous venons d’évoquer est due essentiellement à la linguistique du corpus qui, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, a souligné leur omniprésence dans toutes sortes de productions discursives. L’analyse minutieuse des données linguistiques provenant d’une variété de 110 sources révèle que la majorité des textes présente moins de mots libres que de constructions dont les composants sont fréquemment associés. Ce qui revient à dire que ces constructions ne sont pas à la périphérie de la langue, mais au contraire elles font partie intégrante de son système. Etant reconnues comme telles, elles ont fini par bénéficier des mêmes descriptions appliquées aux autres unités dites simples. Donc, le fait que la linguistique du corpus attire l’attention sur l’ubiquité des séquences figées signifie qu’elles comptent pour une part considérable de la langue. Ce constat est partagé par de nombreux linguistes comme Fiala (1978) qui estime que 20% des textes seraient constitués de séquences figées, ou encore de M. Gross (1982) pour qui, leur quantité est égale à celle des formes libres correspondantes. Dans le même ordre d’idées, F. Tollis (2001 : 213), dans un bilan général des études consacrées à la locutionnalité au cours des dernières décennies, souligne qu’ « on a pu montrer qu’on rencontre deux fois plus d’expressions verbales figées que de verbes libres, trois fois plus d’adverbes figés que d’adverbes libres, quatre à cinq fois plus de noms composés que de noms simples ». On peut ainsi parler d’un tournant idiomatique ou phraséologique de la linguistique. Au fil des années, le dépouillement de larges corpus a permis d’identifier plusieurs types de figement. Il s’ensuit que les séquences figées deviennent un objet de plus en plus fréquent d’analyses et d’approches linguistiques. L’approche théorique les aborde en tant qu’unités inhérentes à la langue, et de ce fait elle remet en cause un certain nombre de principes liés à la nature du signe linguistique. L’approche psycholinguistique s’intéresse à leur acquisition, leur compréhension et leur production, l’hypothèse défendue est que les locuteurs ne mémorisent pas les unités de la langue de façon isolée, mais plutôt avec le contexte où elles ont l’habitude d’être énoncées. Pour ce qui est de l’approche lexicographique, elle vise, sous un angle critique, le traitement dont elles font l’objet dans les dictionnaires. Sur le plan didactique ou pédagogique, on s’intéresse à leur apport à l’enseignement- apprentissage des langues. En s’appuyant sur leur portée cognitive et psycholinguistique, elle les inscrit dans la logique de l’approche fonctionnelle de l’enseignement et insiste sur leur utilité à l’amélioration de la compétence communicative des apprenants. 111 Enfin, l’approche computationnelle soulève les différents problèmes que pose leur repérage en traitement automatique du langage. On voit bien l’intérêt du phénomène à travers la diversité des approches qui lui sont consacrées. Toutes les préoccupations de la linguistique systémique fonctionnelle sont ici réunies. Ce qui signifie que les séquences figées nécessitent des analyses portant sur leur fonctionnement interne dans la mesure où elles sont composées d’éléments participant ensemble à la création de leur sens, et sur leur fonctionnement externe de manière à rendre compte de la façon dont elles sont utilisées par les locuteurs dans des situations discursives et sociales particulières pour générer le sens. 2. De la confusion conceptuelle à la confusion terminologique En amazighe, comme en d’autres langues, la première difficulté soulevée par l’étude des séquences figées est incontestablement celle de la terminologie. Compte tenu de leur hétérogénéité uploads/s3/ 1-pb 6 .pdf
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- Publié le Apv 22, 2021
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- Langue French
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