Capes externe de philosophie Notions de philosophie L'art Cours Laurent Cournar

Capes externe de philosophie Notions de philosophie L'art Cours Laurent Cournarie Sommaire Introduction : L'universalité du phénomène artistique ...................................................................................... 3 I. Art et vérité ................................................... 12 a) L'art et l'image ....... 13 b) Limitation indifférente à la vérité .................. 20 c) Le « savoir extatique » de l'art ........ 33 Il. L'art et le beau ........ 51 a) La naissance moderne de l'art .................................................................................... 53 b) La subjectivisation de l'art et du beau ........ 69 III. Définir l'oeuvre d'art .......................................................................................................................................... 86 a) Lart ramené à ses définitions typiques ............................................................................................................ 86 b) Le sens de l'oeuvre d'art ...................................................................................................................................... . 99 Conclusion : Malaise de l'art dans la culture contemporaine ..................................................................... 107 Bibliographie thématique ..........................................................................................................................................117 1 Introduction : L'universalité du phénomène artistique L'art est une pratique spécifiquement humaine. Dans la nature, chez les autres espèces animales, il n'y a pas d'art. On peut en admirer la beauté mais tout y est l'effet d'une cause et non d'une intention, à moins de supposer l'existence d'un Dieu ayant fait à dessein son ouvrage à la façon d'un artiste. On n'a pas manqué de prouver Dieu à partir de la beauté du monde, en tant qu'elle exprime un ordre et une harmonie (cosmos). La beauté est ici bas le reflet d'une beauté supérieure et divine, l'empreinte de Dieu dans la création, la trace et le symbole du bien, le signe de la sagesse divine (preuve physico-théologique). Mais à moins de cette hypothèse métaphysique, on doit dire avec Kant que « l'art est distingué de la nature, comme le faire (facere) l'est de l'« agir » ou « causer » en général (agere) et le produit ou la conséquence de l'art se distingue en tant qu'oeuvre (opus) du produit de la nature en tant qu'effet (effectus)» 1. Dans la nature tout se produit selon un enchaînement strict de causes et d'effets. Ce beau galet, bien rond et poli par la vague, malgré toutes ses qualités esthétiques, n'est pas une oeuvre d'art. Inversement un tableau ne résulte pas d'une suite nécessaire de coups de pinceaux sur la toile. L'art est l'oeuvre d'un être raisonnable et libre. Le phénomène de la nature est un effet ; le phénomène de l'art toujours une « oeuvre ». L'art consiste dans son opération même : produire des oeuvres. Ici les notions d'art ou d'oeuvre n'ont rien d'énigmatique : l'essence de l'art est d'oeuvrer, l'art est production d'oeuvres. C'est aussi pourquoi l'animal n'est pas artiste. Même si, comme le dit Marx dans un texte célèbre, « l'abeille confond l'habileté de plus d'un architecte », il reste que son ouvrage procède d'un mécanisme instinctif. Toutes les ruches se ressemblent parce qu'elles sont également des réalisations vitales. Au contraire, l'art est une activité intentionnelle. L'objet est pensé avant d'être produit, et n'est produit que sous la condition d'être représenté. Cette médiation intellectuelle explique autant la cohérence, la répétition des formes que leur variation. Du côté de la nature, on trouve la causalité nécessaire, l'identité, la répétition ; du côté de l'art la production intentionnelle et libre, la diversité, la variété. L'art est donc spécifiquement humain. L'anthropologie confirme qu'il n'y a pas d'humanité sans culture et pas de culture sans art. Quelque soit l'époque ou le lieu, on observe un besoin d'images, de sons, de décorations, une production d'objets dont la fonction sociale n'explique pas la fantaisie formelle. La naissance de l'art pourrait 1 Kant, Critique de la faculté de juger (noté CFJ), Vrin, 1979, § 43. 3 Cned même marquer l'avènement de l' Homo sapiens sapiens2. De fait, devant une peinture rupestre, la distance du temps s'abolit soudainement. Et le même miracle se répète chaque fois que l'art s'accomplit sous nos yeux. Il rend tout homme contemporain de son origine, ou l'origine coextensive à toute l'histoire : à croire que s'il y a une histoire de l'art (des arts et des styles), l'art comme possibilité humaine n'en a pas. D'un côté, l'art présuppose la technique. Il y a toujours une « technique du corps », même pour la relation la plus immédiate entre la forme et la matière (danse). D'ailleurs, l'art participe comme la technique du même effort pour nier le donné naturel et manifeste ainsi l'essence paradoxale de l'homme (négativité). La négation de la nature extérieure s'opère par le travail et l'outillage technique ; la négation de la naturalité innée, de l'animalité concerne le domaine religieux et moral des interdits. La participation de l'art à cette double négativité peut prendre la forme du masque, de la scarification, du tatouage. On connaît l'éloge que fait du maquillage (et de la mode) Baudelaire3. Hegel4 avant lui explique les pratiques «barbares» de violence exercée sur le corps par le besoin spirituel de l'homme de se réapproprier la naturalité du corps en y marquant l'empreinte de l'esprit : défigurer le corps pour figurer l'esprit. L'oeuvre d'art c'est l'esprit se faisant oeuvre, s'objectivant dans un objet où il s'aliène pour se reconnaître et se contempler. L'art exprime le besoin de l'esprit d'élever le monde naturel à sa propre essence. Au-delà du jeu anodin de lancer des cailloux dans l'eau ou de l'artificialisation du corps (tatouage, maquillage...), l'oeuvre d'art marque le progrès d'une objectivation de l'esprit qui se conserve dans l'indépendance et la permanence d'une chose. L'art n'est donc pas un divertissement, un plaisir offert aux sens, à l'imagination, mais quelque chose de sérieux, l'expression, à travers la matière sensible et l'esprit fini de l'individu et d'une culture) de l'infinité ou de la divinité de l'Esprit — ce qui fixe le programme et la méthode de l'esthétique philosophique : juger l'art et tout oeuvre à partir de la manière qui lui est propre d'exprimer son contenu rationnel ou spirituel. Une oeuvre d'art ce n'est pas une composition formelle, ou plutôt celle-ci n'a de signification que parce qu'elle exprime un contenu spirituel : « De même, l'oeil humain, le visage, la chair, la peau, toute la structure de l'homme laissent transparaître un esprit, une âme, et partout et toujours la signification se rapporte à quelque chose qui dépasse l'apparence directe. C'est en ce sens qu'on peut parler de la signification de l'oeuvre d'art : elle ne s'épuise pas tout entière dans les lignes, les courbes, les surfaces, les creux 2 Cf. Bataille, Lascaux ou la naissance de l'art, Skira, 1980. 3 Cf. Baudelaire. Salon, « Le peintre de la vie moderne ». 4 Hegel, Cours d'esthétique, Aubier, 1995. 4 Cned et les entailles de la pierre, dans les couleurs, les sons, les combinaisons harmonieuses des mots, etc., mais constitue l'extériorisation de la vie, des sentiments, de l'âme, d'un contenu de l'esprit, et c'est en cela que constitue sa signification »5. Et c'est toute la variété empirique des oeuvres, des styles, des arts qui peut être unifiée autour de ce besoin spirituel. Là où paraît l'oeuvre, dans sa singularité et sa contingence il faut apprendre à lire la nécessité et l'universalité de l'esprit. Là où l'esthète s'abandonne à l'infini des formes sensibles, le philosophe discerne l'expression (finie) de l'infini de l'esprit. Mais ici la différence de l'art n'est peut-être pas suffisamment reconnue. Notamment avec la technique — et même avec l'action en général. La production de l'outil relève aussi de la praxis, de l'objectivation de l'esprit dans un objet. On peut même considérer que l'outil plus que l'oeuvre illustre l'idée d'un objet où la pensée a pris forme. L'outil est le fait d'un être intelligent, qui se représente une fin, et qui agence des moyens pour la réaliser. L'esprit domine d'un bout à l'autre le processus poiétique : la matière est soumise au pouvoir de la forme, c'est-à-dire à la fonction instrumentale associée au concept de l'objet. Du moins la comparaison avec la technique suffit à rejeter l'imitation comme principe suprême de l'art, parce que l'objet technique n'a pas de modèle extérieur à son concept dans l'esprit. Aussi, l'art s'inscrit-il dans une autre «logique» que celle où l'existence est livrée à la négativité du travail et de la technique. L'art est en quelque sorte une libération par rapport au besoin qu'impose encore la vie à l'esprit. Par la technique l'esprit s'affranchit de la nature et s'invente son monde, mais ne s'affranchit pas des nécessités de la vie naturelle (cycle des besoins). Cette liberté de l'art est souvent associée à la notion de jeu (et d'apparence). Si l'art vient après la technique, il n'intervient pas d'après elle. La continuité temporelle ne doit pas dissimuler une discontinuité anthropologique. Ce que Bataille marque en disant que la technique c'est l'homo faber, c'est-à-dire l'ébauche de l'homme (intelligence) et l'art, l' homo sapiens, l'homme accompli. L'art, la spécificité humaine de l'art est, à rechercher, du côté de l'autre dimension qui achève de distinguer l'homme de l'animal6, c'est-à-dire du côté de l'interdit, c'est-à- dire finalement du côté du sacré. 5 Hegel, Esthétique, I, Champs Flammarion, 1979, p. 80. 6 « Si les animaux se distinguent clairement de l'homme, c'est peut-être le plus nettement en ceci : que jamais, pour un animal, rien n'est interdit ; le donné naturel limite l'animal, il ne se limite de lui-même en uploads/s3/ cned-notions-philo-l-art.pdf

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