LES PRÉJUGÉS ÉBRANLÉS PAR L'ART-ACTION Entretien Le Seuil | Communications 2013

LES PRÉJUGÉS ÉBRANLÉS PAR L'ART-ACTION Entretien Le Seuil | Communications 2013/1 - n° 92 pages 219 à 229 ISSN 0588-8018 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-communications-2013-1-page-219.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « Les préjugés ébranlés par l'Art-Action » Entretien, Communications, 2013/1 n° 92, p. 219-229. DOI : 10.3917/commu.092.0219 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. 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Mettant en perspective ses créations, les plus anciennes depuis Les MesuRAGEs, Le Baiser de l'artiste et plus récemment les Self-Hybridations, jusqu'aux installations perfor- mances, ORLAN nous livre les liens existant entre des pratiques artistiques différentes, comme la sculpture, la peinture et la photographie, et la perfor- mance, qui tisse des liens, sert de « levier », en rendant les œuvres moins figées. Quelle est votre conception de la performance et cette conception a- t-elle changé ? Pour moi, la performance est un cadre vide dans lequel les pratiques artistiques viennent se questionner. Contrairement à ce que certains pensent, la performance n'est pas un style voué à l'éphémère et qui serait identifié aux années 1970. Actuellement, les performances sont présentes partout, dans toutes les générations, et également dans les écoles des beaux-arts. C'est un endroit qui s'est inventé peu à peu et il a pris des aspects diffé- rents. L'art-performance s'est déjà différencié de la performance physique. Plusieurs catégories de performance sont apparues : la performance vidéo, la performance danse, la performance son… On pourrait dire que la per- formance est une tendance artistique influencée par toutes ces pratiques. Aussi échappe-t-elle à toute saisie et à toute définition. Comme c'est le cas généralement pour d'autres arts, il y a toujours une part de résonance avec la société dans laquelle elle s'inscrit. Or la société est toujours en mouve- ment, aux niveaux politique, intellectuel, social tout comme au niveau de ses interdits, ce qui ajoute à la difficulté et qui explique aussi ses évolutions. Dans cette nouvelle pratique artistique intervient le médium corps, ce qui facilite l'identification car tout le monde a un corps. Cela engendre 219 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.174.3 - 12/10/2014 18h48. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.174.3 - 12/10/2014 18h48. © Le Seuil une très forte intensité avec le public, c'est ce qui en fait la qualité. Toute- fois cette qualité diffère de celle rencontrée habituellement avec le théâtre, auquel on l'assimile parfois. Il peut y avoir des porosités entre ces deux arts, des passages, des liens3. Des différences sont cependant perceptibles. Les performances peuvent avoir lieu sur une scène, dans une salle, dans la rue, mais les performers ne jouent pas un texte appris et restitué, ils sont plutôt dans une sorte de mise en jeu d'eux-mêmes. Les spectateurs n'assistent pas à un faux drame qui se jouerait devant eux. Dans le cas de la performance, il s'agit d'un vrai drame qui se vit à cet instant-là. Donc les performers, ce ne sont plus des acteurs mais bien des actants. Considérez-vous qu'il s'agit d'un « Art-Action » ? On peut dire « quelque chose se passe » et c'est une action. Mais est-ce que toutes les performances sont des performances d'action ? Effective- ment je suis passée par quelque chose qui s'appelle « action » dans mon travail. J'ai fait beaucoup d'actions qui se sont passées effectivement dans le tissu urbain : les actions de rue. J'ai appelé toute une série de mes œuvres Action ORLAN-CORPS. À l'intérieur de ses Actions ORLAN se trouvent aussi les « Corps-Sculptures4 ». Est-ce que les « MesuRAGEs »5 faisaient partie de ces actions ? Oui. Justement un ouvrage vient de paraître, proposant une sorte de rétrospective sur les « MesuRAGEs ». Y figurent toutes les performances que j'ai pu réaliser de 1968 à 20126. Une exposition est consacrée à mon tra- vail, actuellement, au M HKA à Anvers7. Parfois, des éléments issus des « MesuRAGEs » ont conduit à des œuvres très autonomes de la perfor- mance, ou plus ou moins autonomes, comme des objets, des sortes de sculp- tures qui pour moi font œuvre et qui ne sont pas simplement des scories ou des traces de la performance. J'ai fait deux types de MesuRAGEs : MesuRAGEs des rues et MesuRAGEs d'institutions, l'idée initiale étant de prendre mon corps comme un étalon, une mesure8. J'ai repris dernièrement cette performance du MesuRAGE pour le musée Andy Warhol à Pittsburgh le 19 juin 20129, car Eric Shi- ner, directeur du musée, me proposait de travailler avec BODYMEDIA, une entreprise qui fabrique des sortes de « brassards »10 capables de cap- ter les données de votre corps telles que la transpiration, la tachycardie, la dépense du corps, votre situation dans l'espace et le temps. Initialement, ce bracelet a été mis au point par des médecins pour le fitness. J'ai pensé que j'avais là un outil de contrôle, un outil de mesurage du corps. Or il était intéressant de mesurer le corps en train de mesurer, et surtout de 220 ORLAN Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.174.3 - 12/10/2014 18h48. © Le Seuil Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université Paris 8 - - 193.54.174.3 - 12/10/2014 18h48. © Le Seuil mesurer la dépense du corps dans la fabrication de l'œuvre dans la fabri- cation de l'art, d'une façon objective. Mettre en évidence ainsi avec une méthodologie scientifique ce qui se passe lorsque le corps est travaillé par l'art. Cela a été très amusant au musée Andy Warhol11. La performance était longue et assez difficile12. Les MesuRAGEs ont toujours pris des attitudes très différentes suivant les lieux où ils sont réalisés, bien qu'il y ait des mouvements spéciaux qui soient toujours les mêmes et réalisés de manière identique. J'ai mesuré ainsi les salles où l'on raconte la vie d'Andy Warhol. J'ai toujours la même robe, que je lave à la fin de la performance, et je garde l'eau de rinçage de la robe salie, qui est présentée au public avec d'autres œuvres issues de la performance13. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on ne voit aucune donnée sur ce brassard14. On indique aux clients seulement au moyen de schémas ce qu'ils ont réa- lisé comme dépenses énergétiques, par exemple. J'ai repris ces mêmes schémas et, bien sûr en clin d'œil à Andy Warhol, j'ai traduit la dépense énergétique de mon corps équivalente à deux Campbell's Soup, un ham- burger et demi et quatre Coca-Cola15. J'ai réalisé le même MesuRAGE au M HKA à Anvers et traduit l'équivalence de la dépense corporelle en por- tions de moules, bières et frites. Il y a eu ainsi deux MesuRAGEs nouveaux actualisés. Les artistes sont des témoins, de véritables chroniqueurs de leur temps. Donc en tant qu'artiste on a quelques responsabilités : dire ce qui est important à ce moment-là, mais encore faut-il trouver l'information, encore faut-il être aux aguets, être en éveil. J'ai beaucoup aimé faire ces deux MesuRAGEs. C'est une très belle façon de clore. Vous parliez de « performance-Action » pour les MesuRAGEs. Est-ce que Le Baiser de l'artiste16 (1977) entre également dans cette catégorie d'action ? Oui, c'est une action, j'allais dire, une action politique au sens très large du terme. Il ne faut pas oublier que cela se passait à la FIAC17, donc une foire d'art contemporain où on se demande ce que devient l'artiste, ce que devient le corps de l'artiste, comment il est annihilé, absorbé et utilisé par le marché. C'était aussi à partir d'un texte qui s'appelait Face à une société de mères et de marchands18 dont la première phrase était : « Au pied de la croix il y avait deux femmes, Marie et Marie Madeleine », c'est-à-dire deux stéréotypes de femmes auxquelles il est difficile d'échapper quand on est femme. J'avais fabriqué une sorte de piédestal noir qui avait quelque chose d'un peu mortuaire et également un aspect un peu drôle au final. D'un côté il y avait mon effigie en sainte ORLAN grandeur nature, repré- sentée par une photo noir et blanc collée sur bois et détourée, de l'autre 221 Les préjugés uploads/s3/ orlan-les-pre-juge-s-e-branle-s-par-l-x27-art-action.pdf

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