LYCÉENS ET APPRENTIS AU CINÉMA 190 L'IMAGE MANQUANTE fiche élève Un film de Rit

LYCÉENS ET APPRENTIS AU CINÉMA 190 L'IMAGE MANQUANTE fiche élève Un film de Rithy Panh ● Vivre pour témoigner Avec L'Image manquante, Rithy Panh revient pour la première fois dans son œuvre documentaire sur son enfance brisée par la dictature khmère rouge entre 1975 et 1979 au Cambodge, il s'agit d'une poursuite à l'écran de la recherche autobiographique entrepris deux ans plus tôt avec son livre intitulé L'Élimination, coécrit avec l'écrivain Christophe Bataille. Le 17 avril 1975, l'armée des Khmers rouges menée par Pol Pot entre dans Phnom Penh et la capitale est aussitôt vidée de ses habitants, qui sont déportés massivement dans des camps de rééducation. La famille de Rithy Panh n'échappera pas à cette déportation, et les conditions de vie inhumaines des camps entraîneront la disparition de ses parents et d'une partie de ses frères et sœurs. Pour raconter cette période traumatique, et pallier le manque de documentation qui la caractérise, le cinéaste entreprend de mêler images d'archives — pour la plupart issues de films de propagande — et reconstitutions miniatures faites à partir de statuettes de glaise et de maquettes en bois. ● Un titre singulier Le titre du film est intrigant, et commencer par s'interroger sur ce choix du cinéaste est une bonne manière d'aborder les enjeux du film. On remarque tout d'abord l'usage du singulier : il s'agit d'une image manquante. Pourtant, au cours du film, la voix off emploie cette expression à plusieurs reprises, si bien qu'il semble y avoir en réalité quantité d'images manquantes. C'est que le film progresse selon une logique de questionnement similaire à celle d'un détective qui enquêterait sur une pièce manquante dans la résolution d'un crime. À mesure que l'enquête avance, les pistes se multiplient et bifurquent, et derrière une même expression se cache une diversité de significations. La démarche de Panh consiste donc plutôt à déplier à l'infini les éléments de réponse. L'image manquante, c'est ainsi dans un premier temps le manque d'archives visuelles d'un crime de masse qui n'a pas laissé de traces. La déportation de Phnom Penh, par exemple, n'a pas été filmée par les soldats khmers. C'est donc une absence concrète d'images matérielles qui est en jeu. C'est également une image qu'on refuse de voir ou de montrer, comme celle des enfants affamés dans les camps, que les communistes occidentaux qui soutenaient le régime de Pol Pot dans les années 1970 ont longtemps évincée car elle ne correspondait pas à leur représentation utopique de la révolution. Mais, ailleurs dans le film, l'image manquante recouvre aussi une notion plus abstraite, liée à la disparition de l'enfance et des proches de Rithy Panh. L'idée même de manque devient alors plus intime, plus douloureuse. « Les images qui manquent le plus sont celles que je n'ai pas vécues. Combien de fois ai-je imaginé me promener avec mes parents devenus vieux dans les parcs de Phnom Penh… », expliquait le cinéaste au journal La Croix à la sortie du film. L'image manquante est donc aussi bien politique qu'intime, elle est à la fois concrète, théorique et poétique. Et si le titre résonne comme une véritable incantation au cours du film, à chaque occurrence son sens diffère. En plus des figurines d'argile, Rithy Panh utilise beaucoup d'images d'archives. Nombre d'entre elles sont issues de films de propagande, mais ces images sont détournées de leur vocation initiale qui est de glorifier le régime. Grâce à l'art du montage et à quelques simples effets spéciaux comme la surimpression, Rithy Panh les manipule pour qu'elles nous révèlent leur vérité cachée. À bien y regarder, on peut distinguer la souffrance et l'épuisement sur le visage des travailleurs que le régime khmer rouge veut nous présenter comme l'avant-garde ouvrière. Ce que nous enseigne le cinéaste à travers son film, c'est que chaque image doit être pensée comme un problème et non comme une évidence. Qui est à l'origine de cette image ? Pourquoi suis-je en mesure de la voir elle et pas une autre ? Que montre-t-elle et que cache-t-elle ? Autant de questions qu'il convient de se poser devant les images du passé comme celles du présent qui nous abreuvent continuellement aujourd'hui. Détourner la propagande ● « Avant L'Image manquante, je ne me sentais pas mûr pour dire ces choses et je ne voulais pas d'un témoignage larmoyant. Ce n'est pas évident de parler de sa propre histoire ou de celle de ses proches, même si l'on a très envie de leur rendre hommage » Rithy Panh ● Sculpter la mémoire Qui est l'homme à qui appartiennent ces mains que nous voyions sculpter les figurines de glaise tout au long du film ? Il s'agit de Sarith Mang, un jeune sculpteur cambodgien âgé de 33 ans au moment du tournage, et donc né après la dictature khmère rouge, mais qui a passé toute son enfance dans le camp de réfugiés Site 2 situé en Thaïlande, un lieu auquel Rithy Panh a d'ailleurs consacré son premier long métrage. « J'ai demandé à un sculpteur de me fabriquer un petit bonhomme en terre. Et quand j'ai vu surgir ce personnage de la glaise, j'ai su que “l'image manquante” était là. J'ai continué à lui demander d'autres personnages et l'univers terrible de ces années-là m'est apparu. J'étais troublé de voir la vie remonter ainsi de la terre où reposent les morts. J'ai travaillé avec un seul sculpteur, Sarith Mang, qui a mis du temps et dont le style donne une unité à la diversité des personnages et à leurs expressions. Il est jeune et ne connaissait pas l'histoire des Khmers rouges. Travailler avec lui m'obligeait à replonger dans ce passé pour le lui raconter », explique le réalisateur. Faire appel à des artistes dans ses films n'est pas une nouveauté pour Panh, lui qui se destinait d'abord à une carrière de peintre. L'originalité de L'Image manquante réside en ceci qu'il confie à Sarith Mang un pan entier de la création du film. Nous voyons les mains du jeune homme manipuler à plusieurs reprises les figurines d'argiles à l'écran, comme si le film prenait forme sous nos yeux. C'est de cette rencontre qu'émerge une proposition cinématographique radicalement différente des autres films de Rithy Panh, qui parvient à déployer tout un univers avec une économie de moyens impressionnante. On entre dans le film comme on entrerait dans une sorte de rêve. La séquence d'ouverture est construite de telle sorte à nous immerger dans le film. Rythmé par une musique lancinante, le générique se déploie sur des images mystérieuses de montagnes de bobines de pellicules abandonnées dans un entrepôt. Il y a quelque chose de doux qui se dégage de ces premiers plans, et cette sensation est accentuée par le discret ralenti de l'image de la danseuse traditionnelle dont les mouvements hypnotisent notre regard. Le titre du film apparaît sur un écran noir. Soudain, la caméra est plongée dans l'eau tumultueuse de la mer qui symbolise l'état tourmenté du cinéaste en proie avec ses souvenirs d'enfance. En quelques plans seulement, nous avons ainsi pénétré dans le for intérieur du cinéaste. À ce titre, L'Image manquante est un documentaire qu'on pourrait qualifier d'intimiste, en ce qu'il instaure une proximité immédiate entre le spectateur, le cinéaste et le sujet du film. Entrer dans le film ● ● Animation historique Le choix de l'animation pour un film historique est surprenant. L'animation évoque l'enfance et ses dessins animés, tandis que le sujet terrible du génocide appellerait plutôt le sérieux du documentaire, à l'image des précédents films de Rithy Panh. Pourtant, le cinéaste n'est pas le premier à faire cet écart formel dans la représentation de l'Histoire au cinéma. En 1988, Isao Takahata réalise pour le Studio Ghibli Le Tombeau des lucioles, un film d'animation inspiré du bombardement de la ville japonaise de Kobé pendant la Seconde Guerre mondiale. Plus récemment, Valse avec Bachir d'Ari Folman (2008) représentait sous la forme d'un dessin animé les mémoires traumatiques d'un soldat israélien de service pendant les massacres des Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, durant la guerre du Liban, en 1982. En outre, contrairement à un film d'animation classique, Rithy Panh fait ici le choix de ne pas animer ses figurines pour convoquer la « part de mort » qu'elles contiennent, en ce qu'elles sont l'incarnation de personnes disparues ou rescapées. Toutefois, les miniatures ne paraissent jamais complètement figées et transmettent une étrange impression de mouvement. Il convient d'être particulièrement attentif aux mouvements de caméra qui se déplacent au sein des maquettes : il s'agit principalement de mouvements discrets tels que des panoramiques latéraux ou circulaires et des zooms dans l'image. Cette mobilité de la caméra dans les tableaux figés confère au spectateur un sentiment immersif, tout comme le montage, très dynamique, ainsi que la musique et l'ambiance sonore qui accentuent fortement la vivacité des scènes. ● Fiche technique L'IMAGE MANQUANTE Cambodge, France | 2013 | 1 h 30 Directeur de la publication : Dominique Boutonnat | Propriété : Centre national du cinéma et de l'image animée — 291 bd Raspail, 75675 Paris uploads/s3/ l-x27-image-manquante-de-rithy-panh-fe-laac 1 .pdf

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