Études photographiques 31 | Printemps 2014 Fictions du territoire/Partager l'im
Études photographiques 31 | Printemps 2014 Fictions du territoire/Partager l'image/La question documentaire « L’art ne ferait pas mieux » Corrélations entre photographie et peinture dans La Lumière Ève Lepaon Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/3403 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Édition imprimée Date de publication : 20 mars 2014 ISBN : 9782911961311 ISSN : 1270-9050 Référence électronique Ève Lepaon, « « L’art ne ferait pas mieux » », Études photographiques [En ligne], 31 | Printemps 2014, mis en ligne le 08 avril 2014, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ etudesphotographiques/3403 Ce document a été généré automatiquement le 30 avril 2019. Propriété intellectuelle « L’art ne ferait pas mieux » Corrélations entre photographie et peinture dans La Lumière Ève Lepaon 1 Dès le numéro inaugural de La Lumière, premier journal consacré à la photographie, Francis Wey (1812-1882) met en question l’exclusion des photographies de Gustave Le Gray du Salon de 1851. Il relate qu’après avoir été classées parmi les lithographies, ces épreuves pourtant « dignes de rivaliser avec les œuvres d’art les plus achevées » furent une fois de plus reléguées au rang de « produits de la science1 ». Ce retrait est pour lui symbolique du déni de la valeur artistique de la photographie. Malgré l’accréditation artistique de Paul Delaroche2, la photographie fut avant tout présentée et institutionnalisée en 1839 à l’Académie des sciences comme une découverte scientifique ne requérant aucune notion de dessin3. Elle était, par ailleurs, présentée depuis 1844 au sein des expositions des produits de l’industrie. La photographie n’avait donc clairement toujours pas droit de cité dans le monde artistique. Le perfectionnement en 1851 par Gustave Le Gray du procédé papier, le calotype4 (plus proche par son support et ses effets d’une technique graphique), l’avait incité à tenter à nouveau sa chance5. Ce refus officiel et la nécessité de promotion de cette nouvelle technique le conduisent donc à former, avec ses amis, élèves et ses principaux défenseurs6, un front de lutte, la Société héliographique, ainsi qu’une tribune, La Lumière, qui sera publiée entre 1851 et 1867. L’histoire et la constitution de la Société héliographique, comme l’étude du discours critique de La Lumière, ont déjà révélé les liens étroits que ceux-ci ont entretenus avec le contexte artistique de l’époque7 – ce que l’analyse de la réception critique de la photographie, notamment au sein de la littérature artistique contemporaine, est largement venue confirmer8. Si les articles scientifiques et techniques dominent en nombre, le constat de la forte présence de la peinture au sein de cette revue de combat incite cependant à s’interroger plus avant sur les liens esthétiques de la photographie avec celle-ci dès cette époque, de même qu’à mieux évaluer les stratégies de reconnaissance mises en œuvre en son nom. En effet, outre le cercle des calotypistes formés initialement à la peinture dans l’atelier de Paul Delaroche, constitué de Gustave Le Gray, Henri Le Secq et Charles Nègre, la Société était également composée de peintres « L’art ne ferait pas mieux » Études photographiques, 31 | 2014 1 de la génération romantique curieux de la photographie, tels qu’Eugène Delacroix et Jules Ziegler, auxquels venaient s’ajouter Léon Cogniet9 et Paul Huet, assidus de ses réunions, et de critiques d’art aguerris comme Francis Wey et Jules Champfleury, tous deux proches de Gustave Courbet et pétris d’idéaux romantiques et réalistes. Par ailleurs, l’introduction de la peinture par le choix de la publication régulière d’une critique picturale (sous la forme de comptes rendus de Salon, de ventes aux enchères et de textes théoriques), ainsi qu’au sein de l’élaboration et l’énonciation même du discours sur la photographie atteste d’une ambition rhétorique et doctrinale claire : transformer la photographie en art. Le modèle de la peinture apparaissait donc comme le meilleur moyen d’y parvenir. 2 Dans leur esprit, la photographie demeurait assimilée à des valeurs qu’ils jugeaient contraires à l’art : à la science, au commerce et à l’industrie. La confusion régnait sur son statut. Il paraissait donc essentiel de renouveler le regard porté sur elle et de combattre ces idées reçues. Sa dimension commerciale, alors essentiellement incarnée par la seule technique en vigueur, le daguerréotype, était jugée triviale, voire nauséabonde10. Gustave Le Gray proclamait encore dans son Traité en 1852 : « J’émets le vœu que la photographie, au lieu de tomber dans le domaine de l’industrie, du commerce, rentre dans celui de l’art11 . » Afin de délivrer la photographie du carcan industriel et commercial, le daguerréotype allait devenir la figure repoussoir. Cet argument, jamais clairement énoncé dans La Lumière, est cependant toujours associé, voire substitué à celui de la science. La distinction terminologique mise en œuvre par Francis Wey, véritable pierre angulaire des années les plus fécondes et les plus militantes de La Lumière, dès le premier numéro, constitue une habile construction sémantique qui allait servir de socle à toute la rhétorique de la revue. Il écrit : « La photographie est, en quelque sorte, un trait d’union entre le daguerréotype et l’art proprement dit. Il semble qu’en passant sur le papier, le mécanisme se soit animé ; que l’appareil se soit élevé à l’intelligence qui combine les effets, simplifie l’exécution, interprète la nature et ajoute à la reproduction des plans et des lignes l’expression du sentiment ou des physionomies12. » Cette dialectique – également présente dans la double tutelle de la manchette même du journal : « beaux- arts, héliographie, sciences » – lui permet de conjuguer les besoins d’une rhétorique propre à défendre et à imposer le procédé papier13 et des considérations d’ordre esthétique. Il parvient ainsi à dévaluer le daguerréotype et ses usages en opposant clairement les valeurs scientifiques qui y étaient couramment assimilées (objectivité, exactitude, reproduction), aux critères traditionnels des beaux-arts qu’il associe, lui, au calotype (imitation, interprétation, sentiment). Francis Wey pose cet antagonisme comme postulat afin de mieux inscrire la photographie dans le champ de l’esthétique. Il se fonde pour cela sur les différents effets de surface des deux techniques. L’aspect moelleux et velouté du calotype dû à l’emploi du papier, moins précis et plus irrégulier que le support métallique, avait l’avantage de rompre avec l’apparence nette et miroitante du daguerréotype et partant de mettre à distance les connotations qui y demeuraient attachées. Ce qui représentait un défaut aux yeux de la communauté scientifique avait au contraire séduit un petit cercle de calotypistes formés à la peinture. Lorsque Wey écrit : « parmi nos praticiens, les plus habiles sont ceux qui ont été peintres, et qui ont cherché, dans l’emploi de la chambre obscure, l’application de leur savoir14 », il insiste sur le fait que la photographie pouvait être exercée par des hommes pénétrés des règles de l’art et tente ainsi de la rendre légitime auprès du milieu artistique qui demeurait encore sceptique15. Aussi, la formation picturale des photographes auprès de maîtres réputés, de même que leur statut de peintres – argument fidèle aux dénominations de « peintres « L’art ne ferait pas mieux » Études photographiques, 31 | 2014 2 photographes » que Le Gray ou Nègre par exemple se donnaient eux-mêmes et revendiquaient ouvertement16 – sont-ils fréquemment indiqués afin de maintenir une posture d’artiste au sein de la pratique photographique. De fait, Wey l’énonce à la manière d’un principe : la photographie possède une « part [d’]interprétation […] presque aussi grande que pour la peinture17 ». 3 Tous étaient en effet convaincus, dans La Lumière, de ce que la peinture constituait un référent essentiel pour conférer à ces nouvelles images le statut d’œuvre d’art. Ainsi, au moment d’élaborer une réflexion esthétique sur la photographie, il s’avérait nécessaire de s’approprier le modèle pictural, consacré par la tradition, et de recourir à son autorité, à ses codes et à son discours. C’est donc sur le modèle de la critique picturale que Francis Wey invente la critique photographique. Celle-ci apparaît clairement pour la première fois lorsqu’il s’agit de commenter les œuvres de L’Album de la Société héliographique constitué de tirages offerts par des photographes18. Wey prend alors le parti de se référer délibérément au discours esthétique des Salons de peinture quand il énonce : « Nos Albums sont nos Salons19. » Par ces mots, face à l’invisibilité des photographies dans la sphère publique, il opère un double glissement sémantique : il fait de la Société un lieu d’exposition, un « musée » (la métaphore est souvent employée) dépositaire d’une collection et ouvre un espace, certes virtuel, mais propice à la réflexion critique. C’est aussi en tant qu’espace de discussion esthétique, dans la tradition du XVIIIe siècle, « où toute idée profitable pût être émise et commentée20 », qu’il faut entendre le terme de « Salon », lorsque Wey l’emploie à dessein pour désigner le journal lui-même et les réunions régulières de la Société. L’Album devient donc le prétexte à l’élaboration d’un discours esthétique. Si les photographies relevaient de l’art, il fallait les commenter comme des peintures. Wey inaugure donc le Salon photographique, le compte rendu critique, à l’image de ceux que « les journaux consacrent […] à l’analyse des expositions de peinture » uploads/s3/ etudesphotographiques-3403.pdf
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- Publié le Jul 20, 2022
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