DOSSIER CFMI La musique : art du temps ou art de l’espace ? ANNÉE 2017-2018 DUM

DOSSIER CFMI La musique : art du temps ou art de l’espace ? ANNÉE 2017-2018 DUMI 1ère année sous la direction de Muriel Joubert 0 1 Introduction La musique est considérée comme l’art du temps par excellence. Pour exister, elle doit se dérouler dans le temps, sans quoi elle ne serait qu’abstraite. La musique possède une durée dans l’interprétation comme dans l’écoute, et se développe au fil des secondes et des minutes. Le tempo et l’agogique activent le temps, l’accélèrent, le ralentissent et marquent son avancée. Dans nos cultures occidentales, le temps musical semble suivre une flèche orientée, que ce soit par la fonctionnalité tonale, par sa structure. Par ailleurs, un des temps de la musique est celui que le compositeur passe à composer son œuvre. L’objet musical vit alors à l’intérieur de trois temporalités : le temps structurel de l’œuvre, qui peut être fixé par une partition ; le jeu temporel de l’interprète ; enfin le temps ressenti par l’auditeur. La musique ne semble pas a priori être un art de l’espace, contrairement à des arts comme la danse, les arts plastiques ou le cinéma. Et pourtant, l’espace est bien plus présent dans la musique qu’on ne pourrait le supposer. Tout d’abord, le son étant une onde mécanique, il ne se diffuse que s’il y a de la matière : le son ne se propage pas dans le vide. Le premier espace musical est donc bien un espace physique dans lequel la musique peut évoluer, d’autant plus qu’il constitue également un espace de diffusion. Celui-ci est plus ou moins grand, du casque audio à un grand espace acoustique tel que la salle de concert. Dès lors, comment organiser et jouer avec cet espace ainsi qu’avec les sources et corps sonores – instruments, musiciens, haut-parleurs – qui le composent ? Il ne faudrait cependant pas limiter l’espace musical à l’espace acoustique et physique. Si notre musique est conditionnée par une organisation des « hauteurs », graves et aiguës, les graves sont considérés comme notes « basses » et les aigus à l’inverse comme notes « hautes » : c’est en tous les cas la représentation mentale que l’on s’en fait. Ainsi, la musique fait appel à des images mentales, à des sensations ou à des émotions qui font appel à l’espace. Les étudiants de DUMI 1ère année, année 2017-2018, dirigés par Muriel Joubert Les étudiants de 1ère année de préparation au DUMI du CFMI de Lyon ont réfléchi à cette problématique et ont proposé plusieurs études concernant la musique comme art du temps et/ou art de l’espace. Après quelques éléments de réflexion proposés en cours, illustrés par des exemples musicaux de répertoire varié, chaque étudiant a poursuivi des recherches sur la thématique qu’il avait choisie, avant d’en proposer un petit article. Un travail commun a permis d’ordonner l’ensemble des articles pour constituer un dossier, que nous mettons en ligne ici, précédé du sommaire. 2 3 Sommaire Introduction 1ère partie. Collages et masses sonores : les perturbateurs de la narrativité temporelle - Marie-Noëlle Dupuy, Citations et collages comme brouilleurs temporels de la musique - Jean Stéphane Ricol, Musique stochastique et masse sonore 2e partie. De l’espace acoustique à l’espace visuel mental ou artistique - Giulia Tomasi, Le diapason : à la recherche du son parfait ? - Nolwenn Guehenneux, Musique acousmatique : à écouter ou à voir ? - Emiliano Germain, La musique : un environnement acoustique et un espace mental - Silène Sautreau, La musique : de l’écoute à l’art visuel 3e partie. L’espace sonore physique - Amélie Lambert, De l’espace de la partition à l’espace sonore - Cyril Bouas, L’utilisation de l’espace scénique dans la musique 4 5 1ère partie Collages et masses sonores : les perturbateurs de la narrativité temporelle 6 7 Citations et collages comme brouilleurs temporels de la musique Marie-Noëlle Dupuy La musique se déroule dans le temps, elle a une direction et induit pour l’auditeur (au niveau esthésique) une temporalité. Qu’en est-il de cette temporalité quand le compositeur insère dans son œuvre des formules mélodiques empruntées à un ou plusieurs autres compositeurs ? Différents types d’emprunts mélodiques Il convient tout d’abord de distinguer les différentes formes qu’ont pu prendre à travers les époques l’utilisation de musiques existantes dans une composition et les intentions des compositeurs. Dans son ouvrage consacré aux concertos-pastiches de Mozart, Françoise Escal énumère cinq genres différents : Le pastiche (ital. pasticcio = pâté) est une composition musicale dont les parties successives ont des origines diverses, soit qu’elles proviennent d’œuvres, anciennes ou nouvelles, de différents compositeurs, soit qu’elles proviennent seulement d’œuvres mêlées d’un même compositeur. […] Le pot-pourri (esp. olla podrida = mélange de viandes et de légumes cuits ensemble) est une œuvre composée de mélodies empruntées, vocales ou instrumentales, entières ou partielles, mises bout à bout et reliées de façon lâche par quelques notes de transition, le tout agrémenté ou non d’une introduction et d’une coda. Il a deux caractéristiques essentielles : d’une part, contrairement au pastiche, il n’est qu’une simple succession de motifs et de fragments et non une œuvre formant un tout ; d’autre part, il est considéré comme un genre « inférieur », populaire […]. Le terme « fragments », lui, désignait au XVIIIe siècle un ensemble de pièces empruntées à des ballets et des opéras, sans rapport entre elles, ce qui donnait un spectacle composite réunissant les morceaux le plus célèbres d’un ou plusieurs compositeurs en vogue. […] 8 Si les quodlibets désignent des pièces, vocales ou instrumentales, qui sont elles aussi faites de musiques empruntées et hétérogènes, leur caractère trivial et comique les distingue des pastiches : la dernière Variation Goldberg (n° 30) est un quodlibet dans lequel Bach incorpore les mélodies deux chants populaires, Ich bin so lang nicht bei dir g'west (Je suis resté loin de vous) et Kraut und Riiben haben mich vertrieben (Le chou et navets m'ont mis en fuite), lesquelles sont données simultanément dans la trame polyphonique de ce finale : on a pensé que Bach raillait la coutume de chanter plusieurs airs en même temps, coutume en usage dans la famille Bach elle-même.[…] Il faut encore mentionner le galimatias, en ce qu’il est fait d’emprunts, comme les formes précédentes. Mais plus encore que le quodlibet, il a un caractère irrespectueux, caricatural. C’est un pot-pourri dans lequel le mélange contrasté de fragments d’airs ou de danses ramassés à droite ou à gauche, est prévu pour produire un effet burlesque. Alors que le pastiche est sérieux, le galimatias rapproche dans un esprit de dérision le haut et le bas, le trivial et le noble, le savant et le populaire1. On voit donc que le pastiche, le pot-pourri, le fragment ou encore le galimatias consistent en un enchainement d’œuvres entières ou partielles sans lien entre elles et avec l’intention principale de donner à entendre des airs du moment, en créant ou non un effet comique. À la différence de ces formes, le quodlibet combine plusieurs mélodies existantes dans une composition originale. Deux techniques ont vu le jour plus récemment : la citation, que l’on pourrait rapprocher du quodlibet, et qui consiste à intégrer dans une œuvre un élément musical plus ancien ou provenant d’une autre culture, et le collage, une technique apparue dans la deuxième partie du XXe siècle, qui est une succession d’éléments musicaux plus ou moins anciens. Pourquoi est-ce différent du plagiat ? Avant d’aller plus loin, on peut se demander ce qui distingue les citations et collages du plagiat. À cette question, Françoise Escal apporte l’éclairage suivant : On retiendra que, pour les œuvres à forme thématique simple comme les chansons, airs d'opérette, lieds ou arias, l'apport personnel réside dans le dessin mélodique, tandis que pour les œuvres à forme thématique multiple, répétée, développée ou 1 Françoise Escal, « Les Concertos-pastiches de Mozart, ou la citation comme proces d'appropriation du discours. », International Review of the Aesthetics and Sociology of Music, vol. 12, no. 2, 1981, pp. 117–139. JSTOR, www.jstor.org/stable/836556. p. 123, 124 et 125. 9 superposée, cet apport personnel réside dans l'architecture elle-même, par le développement ou la superposition des thèmes. Il est délictueux d’écrire une chanson dont le dessin mélodique est emprunté au folklore d’un pays, puisque le dessin mélodique est le seul élément d’invention personnelle dans la musique d’une chanson. Par contre, un compositeur peut, sans être plagiaire, emprunter des thèmes folkloriques pour les utiliser dans une symphonie, la ligne mélodique n’étant plus dans ce cas le seul élément discriminateur d’originalité. De la même manière, un pianiste, un ensemble de jazz peuvent improviser sur des thèmes tombés dans le domaine public, leur apport personnel étant reconnu dans l’ordonnancement des variations qu’ils développent à partir de la mélodie tirée du répertoire populaire2. La citation, brouilleur temporel ? D’après Béatrice Ramaut Chevassus, « la citation s'insère en tant qu'élément hétérogène dans l'œuvre comme un rappel qui transmet un souvenir précis à l'auditeur qui l'identifie3. » Pour qu’une citation amène une nouvelle temporalité, il faut effectivement que l’auditeur puisse identifier la citation, la rattacher à ses propres connaissances, sa propre expérience. uploads/s3/ dossier-musique-art-temps-espace-cfmi-lyon2.pdf

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