1 La Fonction publique congolaise (Zaïre) face aux défis de son renouvellement

1 La Fonction publique congolaise (Zaïre) face aux défis de son renouvellement Théophile Yuma Kalulu Introduction Au sens classique, l’Etat providence pourvoit à ses sujets des biens et services pour améliorer leur confort matériel et moral. Cette nouvelle mission met l’Administration publique au centre du jeu. A travers l’un de ses bras importants – la Fonction publique – l’Etat devient le premier employeur de son espace politique. La RDC n’a pas dérogé à ce principe : comme tout pays colonisé, l’Administration publique coloniale a été l’unique grand machin qui a quadrillé tout l’espace congolais. On assujettit les chefs traditionnels en leur donnant le statut de « fonctionnaires » de l’Etat. Les collabo- rateurs indigènes qu’elle voulait trouver parmi les chefs traditionnels devaient être des personnes acquises à sa cause de façon à tenir la population en laisse pour lui faire exécuter avec empressement les ordres de la hiérarchie (Isango 1992:151). Il se construit une Fonction publique simple, hiérarchisée, contrôlée et bien maîtrisée avec pour seule mission d’asseoir la domination coloniale. Le Congo-Belge sera qualifiée de « modèle » des colonies. Le départ massif des Blancs en 1960 va provoquer un flux massif des citoyens vers la Fonction publique. Tout congolais de l’époque veut faire le « Mundele-Ndombe » (Bureaucrate). En dix-huit mois, le Congo Chap1.pmd 08/04/2013, 10:50 1 Les réformes du secteur public en République démocratique du Congo 2 accéda à l’indépendance en un mouvement que ne purent réellement contrôler ni le colonisateur ni les colonisés. On se mit à improviser toute une série des mesures qui, élaborées à partir des crises et des perspectives passées, étaient, au moment de leur application, déjà dépassées. Ainsi, en 1962, toute activité des partis en dehors des assemblées avait cessé. Les anciens cadres du parti étaient maintenant les représentants de l’Etat et se souciaient bien plus de voir rentrer le produit des impôts que les cotisations (Crawford 1965). Malgré la grave crise que connut le Zaïre, le régime Mobutu va verser un lot important du personnel de son Parti-Etat – le MPR – dans la fonction publique. De tout ce qui précède, il y a lieu de nous interroger sur la percep- tion des Congolais (zaïrois) sur la Fonction publique (l’Administration publique en général). Quelle est la nature de cette Administration, quels peuvent être les stratégies ou mécanismes du désengorgement de cette institution ? Jacques Chevalier précise à ce propos que dans les pays en développement aussi, on a assisté au cours des années 1980 à la remise en cause de l’hégémonie exercée par l’Administration sur l’économie et la société. Les difficultés économiques nées de l’effon- drement des cours des matières premières et du fardeau écrasant de la dette vont conduire ces pays, dans le cadre de « plans d’ajustements structurels » imposés par les institutions financières internationales, à adapter des mesures drastiques de rigueur, passant par l’allégement des dépenses publiques à la réduction du nombre des fonctionnaires en passant par la privatisation des entreprises publiques (Chevalier 2002:240). Nous pensons que la notion d’Administration et de fonction publique était perçue autrement par les Congolais. Le fait que tous les postes de commande revenaient aux colons, la vue de leur train de vie par rap- port au petit exécutant nègre congolais ont eu une influence négative sur ce dernier. L’Administration publique représentait une oasis d’aisance matérielle, un havre de confort. Cette logique met le travail en dernier lieu ou l’exclut carrément de cette sphère. Cette perception persiste jusqu’à ce jour, les congolais de tous bords (commerçants, étudiants, cadres d’entreprises privées, …) préfèrent hypothéquer leurs noms à la fonction publique (matricule) en attente des « jours meil- leurs » (Maindo 2004). Cette vision de chose ne permet plus de considérer l’Administration (Fonction publique) comme un instrument au service du développement mais elle devient une charge qui empêche la réalisation du bien-être général. Pour désengorger cette fonction publique hypertrophiée, nous Chap1.pmd 08/04/2013, 10:50 2 Kalulu : La Fonction publique congolaise (Zaïre) face aux défis de son renouvellement 3 préconisons avant tout l’enclenchement du processus de son retrait. Au modèle actuel des FARDC (Armée) que l’on arrête avec tout recrutement au profit d’une démobilisation générale des vieux, invalides, les fictifs sans oublier tous ceux qui font le cumul. L’objectif principal que nous aurons à poursuivre dans pareille réflexion est de démontrer ou d’appuyer la thèse selon laquelle une administration mal tenue est le facteur principal du sous-dévelop- pement ; ensuite nous allons tenter de démontrer comment le désengorgement de la fonction publique peut constituer le facteur déclencheur de toute réforme qu’on envisagerait pour revitaliser le secteur public en RDC, en particulier. Pour atteindre cet objectif, nous allons user de la méthode dite structuro-fonctionnaliste. Les instruments de récolte d’information sont l’observation documentaire. Nous allons centrer notre analyse dans la ville de Kisangani : nous enquêterons tour à tour sur toutes les divi- sions provinciales existant dans la ville en commençant par la division de la fonction publique. Les résultats obtenus après traitement, nous permettrons de faire une extrapolation sur l’ensemble de la RDC ; car avons-nous déjà observé que les réalités dans ce domaine sont similaires sur l’ensemble du pays. Pour bien exploiter cette réflexion, nous avons jugé bon de la décliner, outre l’introduction et la conclusion, en trois points ci-dessous : 1. Le contexte de création de la Fonction publique 2. La Fonction publique sous la 2e République 3. Les stratégies du désengagement. Le contexte de création de la fonction publique sous l’ EIC L’an 1885 consacre la création de l’Etat indépendant du Congo, une vaste propriété au cœur de l’Afrique, appartenant au roi belge Léopold II. Une vaste étendue dominée par la forêt vierge et un grand bassin hydraulique. Malgré les hésitations de son royaume – la Belgique – le roi Léopold II fonce seul dans son aventure. Il va chercher le soutien du monde privé pour mettre en valeur sa propriété. Ce soutien sera composé de grandes compagnies de l’époque et des Eglises traditionnelles (mais surtout de l’Eglise catholique). Pour réussir son aventure, le monarque belge va monter des stratégies parmi lesquelles, on peut noter : la dette et l’attribution de la puissance publique aux privés. Pour cette réflexion, nous allons exploiter plus le deuxième aspect. S’appuyant sur les arabisés, les agents de l’Association internationale du Congo (AIC) construisent l’Etat indépendant du Congo (EIC). On Chap1.pmd 08/04/2013, 10:50 3 Les réformes du secteur public en République démocratique du Congo 4 assiste dans un premier temps à une exploitation sauvage des hommes et des ressources par une économie de prédation sans précédent. L’ivoire et le caoutchouc de la région de l’Equateur sont exploités plutôt sauvagement par deux compagnies concessionnaires, l’Anglo-Belgian Ruber (ABIR) et la compagnie Anversoise du commerce au Congo (Maindo 2004). Conscient de la dépense engagée dans cette entreprise, Léopold II cherchera à tout prix à la rentabiliser. Ces compagnies disposent de certains attributs de puissance publique : elles prélèvent l’impôt. Leurs services de coercition jetteront les premières bases de la force publique qui sera créée en 1885. De la combinaison « Arabisés (chasseurs d’esclaves) – compagnies d’exploitation – découlera un ordre odieux d’exploitation qui débou- chera sur des crimes graves allant des prises d’otage jusqu’aux exécutions. Sans oublier la pratique des mains coupées. Les missionnaires catholiques, de leur côté, pratiquèrent la politique de « main de fer dans un gant de velours ». Au nom de l ’« humanisa- tion », les missionnaires soumettent leurs catéchumènes et leurs élèves au dur labeur. Ce sont ces noirs qui construisent les missions, ils cultivent les champs des prêtres (prise en charge locale). Ils construisent également des routes…en bref, ils sont utilisés comme des bêtes de somme. La brutalité, la violence et la coercition qui ont caractérisé cette méthode de gestion de l’Etat indépendant du Congo – EIC – seront dénoncées par les missionnaires protestants. Ces événements vont irriter la conscience collective internationale. Le Monarque belge va initier tour à tour deux commissions d’enquête indépendantes. Celles-ci produiront des rapports très accablants sur le caoutchouc rouge (red rubber). Léopold II sera contraint d’annexer sa propriété à la Belgique. Il importe de relever un fait significatif dans tout ce qui précède : la source ou l’inspiration du secteur public congolais. Cette inspiration est d’origine privée. Ce sont les compagnies privées (ABIR, Anversoise...) qui l’installent et lui donnent une marque grave : le lucre, avant tout. Cette marque, comme on peut le remarquer, diffère de l’esprit du service public qui vise d’abord la satisfaction de l’intérêt général. Ces deux visions s’opposent d’une certaine manière, le privé s’active plus pour l’accumulation des capitaux investis tandis que le public s’emploie à réaliser le confort matériel et moral de citoyen. Le public peut admettre la perte ou le déficit (au nom de l’intérêt général), ce qui est difficilement Chap1.pmd 08/04/2013, 10:50 4 Kalulu : La Fonction publique congolaise (Zaïre) face aux défis de son renouvellement 5 admissible pour les particuliers. D’où la multiplication, à grande échelle, des abus et exactions sous l’Etat Indépendant du Congo. Comme on peut le constater, l’embryon de ce uploads/s1/1-kalulu-reformes-en-rdc.pdf

  • 54
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Mar 07, 2022
  • Catégorie Administration
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1052MB