Galvani Pascal (2012), « L’art du voyage comme voie de formation », Revue Inter

Galvani Pascal (2012), « L’art du voyage comme voie de formation », Revue Interstices Cultures Éducation Sociétés Vol 2 : Formel vs Informel, Paris : L’Harmattan, pp.119-134. 1 L’art du voyage comme voie de formation http://www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=numero&no_revue=884&no=37375 Pascal Galvani, professeur à l’Université du Québec à Rimouski Adresse courriel : pascal_galvani@uqar.ca La route, c’est la vie. (Kerouac, 2003) 262 L'homme suit les voies de la Terre, la Terre suit les voies du ciel, le Ciel sur les voies de la Voie et la Voie suit ses propres voies. Lao-Tzeu ch.25 (Grenier, 1973) p189 Voyageur vient en effet de voie et c'est de la voie qu'il tient son être de voyageur. Le voyageur donc qui marche, c'est- à-dire qui se meut sur une voie infinie, si on lui demande où il est, répond : sur la voie et si on lui demande d'où il vient, il répond : de la voie, et si on lui demande où il va, il répond : vers la voie. Et c'est ainsi qu'une voie infinie est appelée le lieu du voyageur et que cette voie est Dieu. Nicolas de Cues cité (White, 1987)54 INTRODUCTION Depuis les quêtes mythiques d’Ulysse, les voyages initiatiques du Bouddha, en passant par les pèlerinages spirituels, les errances des poètes comme Rimbaud ou Thoreau, et plus récemment celle de Kerouac initiateur des grandes migrations beatniks et hippys, le voyage apparaît comme une des modalités majeures de l’anthropo-formation. La dimension formatrice du voyage, sanctionnée par la sagesse proverbiale les voyages forment la jeunesse, a tellement été répétée qu’elle en est devenue triviale. Mais, si cette vérité est évidente au sens commun, elle reste étonnamment absente de la recherche sur l’éducation même si elle a été reconnue dans les mythes et les philosophies de l’éducation. depuis toujours, la formation se pense comme voyage symbolique, le voyage de l'âme : ce que les Grecs nommaient « psychagogie». Mais assez souvent également, la formation s'accomplit dans un véritable périple. En quoi l'expérience du voyage s'avère-t-elle formatrice ? (Fabre, 2003, p. 43) Cet article veut ouvrir quelques pistes de réflexion du point de vue de la théorie bio-cognitive de la formation permanente ouverte par les démarches d’histoires de vie. Nous commencerons par montrer comment le voyage ouvre les possibilités d’autoformation par dissolution des couplages structurels habituels. Dans un second temps nous verrons comment la mondialisation et la post-modernité orientent les pratiques de voyage vers la quête sens. Galvani Pascal (2012), « L’art du voyage comme voie de formation », Revue Interstices Cultures Éducation Sociétés Vol 2 : Formel vs Informel, Paris : L’Harmattan, pp.119-134. 2 1 UNE APPROCHE BIO-COGNITIVE DE LA FORMATION PAR LE VOYAGE L’approche phénoménologique des histoires de vie en formation ouvre quelques pistes de compréhension de la dimension formatrice du voyage dans une perspective bio-cognitive. Ici, la formation est vue comme un processus vital et permanent issu de l’interaction complexe entre le sujet et son environnement social et matériel. La dynamique existentielle de l’autoformation est une rétroaction émergeant des rapports entre soi, les autres et les choses (Pineau, 2000). La formation est une interaction systémique d’auto-éco-ré-organisation qui articule dans une tension fertile les processus de subjectivation, de socialisation et d’écologisation (Morin, 2008). Dans cette perspective, l’autoformation se caractérise par un double mouvement de rétroaction du sujet sur les déterminismes environnementaux et de récursivité transformatrice du sujet par lui-même (Galvani, 2010; Galvani, 2011). 1.1 Le voyage formateur dans le paradigme de l’énaction Dans cette perspective ouverte par Piaget et développé dans le paradigme de l’énaction (Varela, Thompson, & Rosch, 1993) la cognition est fondée sur l'activité concrète de tout l'organisme, c'est-à-dire sur le couplage sensori-moteur (Varela, 1992, p. 24). C’est le couplage structurel qui fait co-émerger le sujet et le monde. La cognition n’est pas une reconstitution représentationnel de l’objet ni une simple projection du sujet mais une action incarnée. Il y a une spécification mutuelle du sujet et de l'objet (Varela, et al., 1993, p. 234), la connaissance est une énaction : 1) la cognition dépend des expériences qu'implique le fait d'avoir un corps doté de différentes capacités sensorimotrices ; 2) ces capacités s'inscrivent dans un contexte biologique et culturel plus large. (Varela, 1992, p.28) Dans le quotidien du monde-de-la-vie, la récurrence des schèmes d’interaction entre le sujet et le monde créée des micro-identités avec leurs micro-mondes correspondants (Varela, 1992, p. 26). Ce sont ces micro-mondes et ces micro-identités récurrentes qui sont labellisés dans le langage et le sens-commun. Pour la phénoménologie herméneutique le monde vécu est en réalité un ensemble de précompréhensions ou (...) de présuppositions sédimentées en arrière- plan" (Varela, et al., 1993, p. 47) La perspective de l'énaction définie par Varela trouve son origine dans la philosophie herméneutique. Le point central de cette orientation non-objectiviste est l'idée que la connaissance est le résultat d'une interprétation permanente qui émerge de nos capacités de compréhension. Ces capacités s'enracinent dans les structures de notre corporéité biologique, mais elles sont vécues et éprouvées à l'intérieur d'un domaine d'action consensuelle et d'histoire culturelle. (Varela, et al., 1993, p. 211). Le couplage cognitif qui produit nos représentations du monde par labellisation des récurrences significatives visent en effet prioritairement la stabilité du système cognitif (Maturana & Varela, 1994; Varela, 1989). Le voyage est précisément une situation où ces récurrences ne fonctionnent pas. En voyage, tout est neuf à chaque instant. Les habitudes d’action ne sont pas fonctionnelles face aux évènements imprévus. Dans un pays étranger ou simplement une autre région, les habitus culturels historiquement constitués ne sont plus valides (Galvani, 2011). Galvani Pascal (2012), « L’art du voyage comme voie de formation », Revue Interstices Cultures Éducation Sociétés Vol 2 : Formel vs Informel, Paris : L’Harmattan, pp.119-134. 3 Ainsi lorsque nous allons pour la première fois dans un pays étranger, il y a une absence très nette de dispositions à agir et de micro-mondes récurrents. Beaucoup d'activités simples comme converser ou manger, doivent être accomplies de manière réfléchie, voire entièrement apprises. (Varela, 2004, p. 26) Le voyage est une déstabilisation des couplages récurrents mémorisés sous formes d’habitudes d’action. L’évidence quotidienne du monde-de-la-vie est dissoute. La rupture des habitudes et l’inadaptation des savoirs incorporés provoquent chez le voyageur une suspension des préjugés (épochè phénoménologique). Cette suspension des micro-identités et des micro-mondes transforme le mode de présence attentionnelle. Il se trouve que la clef de l'autonomie réside dans le fait qu'un système vivant trouve le chemin approprié vers le monde suivant en utilisant ses ressources pour agir comme il convient. Et ce sont les ruptures, les charnières qui articulent les micro-mondes, qui sont la source de l'autonomie et de la créativité dans la cognition vivante. Il faut donc examiner ce sens commun sur une micro-échelle, car c'est pendant les ruptures que la naissance du concret a lieu. (Varela, 1996, p. 28). Voyager, c'est donc être amené à se libérer du connu (Krishnamurti, 1991) et a stimuler les processus d’autoformation. Dans la perspective bio-cognitive, l’identité du sujet n’est pas figée. Le soi (autos) est non-substantiel, fondamentalement virtuel. Même si la mémoire et la narration permettent de créer l’identité narrative d’un sujet (Ricoeur, 1990), le «soi-même» est en fait constitué d’une multitude de micro-identités. 1.2 Le quotidien comme domestication du monde-de-la-vie Pour comprendre le voyage et ses effets transformateurs, il est probablement utile de faire un détour par son contraire apparent : la demeure et le quotidien. La phénoménologie du quotidien montre en effet comment le monde-de-la-vie ordinaire, loin d'être une simple répétition statique du même est en fait un processus constant de familiarisation de l'étrangeté de l’expérience vécue. La récurrence quotidienne des micro-mondes et micros-identités ont pour fonction de domestiquer, de déproblématiser, de quotidianniser l’étrangeté fondamentale de l’expérience de la vie (Bégout, 2005, p. 333). la quotidiannisation, cette opération quasi métabolique d'ajustement entre l'individu et son environnement, représente l'une des prototechniques fondamentales d'autoformation matérielle de l'homme par l'homme, ayant pour but de le soustraire à la démesure de son état originel. (Bégout, 2005, p.313) La quotidiannisation consiste à produire un monde certain sur lequel on puisse se reposer en toute confiance, un monde qui suit son cours (ibid.). La situation primitive de l’humain est dialectiquement tendue entre le maintien de soi dans l’apprivoisement du monde et l’ouverture au tout autre. l'homme est avant tout un être quotidien, en tant qu'il cherche à transformer discrètement son être-au-monde originellement insécurisé en une existence régulière et familière. (Bégout, 2005, p. 314) Les moments critiques de l'existence que sont les deuils, les séparations, mais aussi les voyages et les migrations sont l’occasion de rouvrir l'incertitude primitive que le quotidien a masquée mais qu'il n'a pas réellement maté. (Bégout, 2005, p.333). La formation entendue comme processus vital et permanent de mise en forme de soi implique une dialectique antagoniste entre le maintient de l’identité stable du même et l’adhésion Galvani Pascal (2012), « L’art du voyage comme voie de formation », Revue Interstices Cultures Éducation Sociétés Vol 2 : Formel vs Informel, Paris : L’Harmattan, pp.119-134. 4 authentique du soi (ipséité) au vécu immédiat dans le jaillissement de l’instant (Jankélévitch, 1954, 2002; Ricoeur, 1990). L'homme ordinaire uploads/Voyage/ l-x27-art-du-voyage-comme-voie-de-formation.pdf

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  • Publié le Jui 24, 2021
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