N° 2017-35 Voyage aux pays des bibliothèques Lire aujourd’hui, lire demain Par
N° 2017-35 Voyage aux pays des bibliothèques Lire aujourd’hui, lire demain Par Erik ORSENNA Noël CORBIN de l’Académie française Inspecteur général des affaires culturelles @droits réservés Février 2018 1 2 SOMMAIRE Lettre de mission 5 Carnets d’un voyage au cœur de la France des bibliothèques 1. Les bibliothèques, laboratoires pour les politiques Culturelles du XXIe siècle 1.1. Les bibliothèques : espaces de démocratie culturelle Lire, c’est vivre Un outil à développer : les contrats territoire lecture Un réseau engagé pour lutter contre l’analphabétisme et l’illettrisme 1.2. Les bibliothèques : tête de réseau des politiques culturelles sur les territoires Culture, de quoi parle-t-on ? Les bibliothèques, passeurs de culture La révolution numérique en bibliothèque 1.3. Les bibliothèques : lieux du livre mais aussi lieux du vivre, une fabrique de la cité tissée par les partenariats Nouvelles missions, nouveaux espaces, comment sont conçues les bibliothèques du XXème siècle ? Accessibilité pour tous ? le chemin est encore long La lutte contre les exclusions 2. Le réseau de lecture publique 2.1. Richesse et fragilité d’un réseau hétérogène … Les intercommunalités Les bibliothèques départementales 2.2. Les horaires d’ouverture : il faut changer de rythme 2.3. Les personnels : trois chaînons dont la cohésion est essentielle Les professionnels Les contrats aidés, étudiants et volontaires du service civique Les bénévoles 3. Propositions 3.1. Ouvrir mieux, ouvrir plus Lancer un plan national pour les bibliothèques Accompagner financièrement les collectivités territoriales 9 13 13 13 14 15 17 17 19 22 26 26 27 28 35 35 37 37 38 46 49 50 52 52 52 3 Développer l’ouverture dominicale des bibliothèques universitaires Renforcer le réseau de lecture publique par de nouveaux partenariats Adapter les cadres d’emploi et les formations des professionnels aux nouveaux usages 3.2. Renforcer le rôle des bibliothèques dans l’accès à toutes les pratiques culturelles 3.3. Faire plus contre les fractures de notre société Exclusion : Lutter contre la fracture numérique Insertion : Accompagner la recherche d’emploi Education : participer à l’engagement national pour la lecture Handicap : faire plus pour l’accessibilité Réinsertion : garantir le droit à la lecture aux détenus Conclusion 54 56 59 62 63 65 65 65 66 67 68 69 4 5 6 En hommage à Jean Gattégno, Infatigable combattant pour la lecture publique. Pour Sylvie Robert, Qui a ouvert le chemin. "L'univers, que d'autres appellent la Bibliothèque…. » Jorge Luis Borges La Bibliothèque de Babel « Si la bibliothèque est comme le veut Borges un modèle de l'Univers essayons de le transformer en un univers à la mesure de l'homme ce qui veut dire aussi, je le rappelle, un univers gai, avec la possibilité d'un café-crème, et pourquoi pas, pour nos deux étudiants de s'asseoir un après-midi sur un canapé et je ne dis pas de s'abandonner à d'indécentes embrassades, mais de vivre un peu leur flirt dans la bibliothèque pendant qu'ils prennent et remettent sur les rayons quelques livres d'intérêt scientifique ; autrement dit une bibliothèque où l'on ait envie d'aller et qui progressivement se transforme en une grande machine pour le temps libre, comme le Musée d'Art Moderne de New York ou l'on peut tour à tour aller au cinéma, se promener dans le jardin, regarder les statues et manger un vrai repas ». Umberto Eco, Milan le 10 mars 1981 7 8 Carnets d’un voyage au cœur de la France des bibliothèques Nous finirons bien par comprendre un jour que la « culture » n’est pas un « secteur », une simple ligne sur un budget, c’est un élan, collectif et singulier. La culture est d’abord une CONFIANCE. Une CONFIANCE dans le possible, dans tous les possibles présents en chacun de nous. La culture, est l’art du possible. « Que serions-nous, dit Paul Valéry pour saluer la part du rêve, que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas ? » Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas encore mais qui déjà, un peu partout, commence à germer ? Voilà pourquoi la lecture n’est pas un petit morceau du savoir ! Elle est la condition de l’accès à toutes les connaissances, la condition de l’accès à une pleine humanité. La lecture, c’est L’ACCÈS DES ACCÈS. Or nous sommes loin du compte. Hélas de plus en plus loin. Si l’on en croit les enquêtes internationales, l’illettrisme touche aujourd’hui 7 % de la population française, soit 2,5 millions de personnes. Durant trois mois, nous avons sillonné la France, rencontré, dans de grandes, très grandes villes, comme dans de petites, toutes petites, des élus et des bibliothécaires, des titulaires d’emplois dits « aidés » et des bénévoles, des enthousiastes et des résignés, des généreux et des seulement préoccupés d’eux-mêmes, l’alliage habituel d’une population. Et surtout, nous avons écouté. Générale est la conviction que la lecture est la clé qui ouvre sur la vie. Unanime est le souhait de voir plus disponibles ces maisons essentielles que sont les bibliothèques. Mais les attentes précises varient selon les endroits, les âges et les activités. Utile rappel de cette évidence que la France est diverse, ô combien, et que des mesures semblables décidées de Paris pour l’entièreté du territoire, au mieux manquent leur objet, au pire et le plus souvent brident la liberté d’initiative. Passionnante mission que celle qui oblige à découvrir une réalité autre que celle que nous croyions connaître. Très instructif portrait de notre pays, via le prisme de la lecture. Dis-moi qui lit, et où il lit et ce qu’il lit, je te dirai de quelle société il s’agit et quel futur elle se prépare. Nous étions partis avec une mission précise (et bénévole), confiée par la ministre de la Culture (merci à elle !) : établir un diagnostic des lieux de lecture publique en France pour préparer la mise en œuvre de l’engagement du Président de la République d’ouvrir mieux, et donc, plus, les bibliothèques. Nous revenons, trois mois plus tard, avec cette conviction : les quelque 16 500 équipements de lecture publique qui maillent le territoire aujourd’hui sont plus, beaucoup plus, que ce qui est entendu traditionnellement par le mot « bibliothèques ». Ils sont bien sûr des lieux où l’on vient emprunter et rendre des livres. Ils sont des lieux du livre, mais aussi, et tellement, des lieux du vivre. Avant la lecture, par la lecture et au-delà de la lecture, les bibliothèques sont ces lieux poreux, où se tissent de multiples réseaux d’acteurs et de projets, où se réparent les déchirures, où l’on 9 retrouve des forces pour repartir à l’assaut de l’avenir, où s’animent et se réaniment les territoires. Si les bibliothèques sont les équipements culturels les plus fréquentés après les cinémas – 27 millions de personnes (40 % de la population française) ont poussé leurs portes en 2016 – et si leur fréquentation continue de progresser (+ 23 % depuis 2005, soit 4 millions de visiteurs), c’est pour beaucoup en raison de la richesse et de la diversité de ce qu’on y trouve. Et la magie de ces lieux, qui explique qu’on y revienne si souvent, c’est qu’on y trouve (aussi) autre chose que ce que l’on croyait venir y chercher. Ce genre de surprises, de bel étonnement, ce sont ceux de la vie même. Dans les bibliothèques et médiathèques d’aujourd’hui, on se rend un matin pour lire la presse, et on se retrouve à échanger avec un conseiller emploi, par exemple, à Brest, dans la magnifique médiathèque des Capucins, réalisée par l’architecte Patrick Rubin. On boit une bière à l’Estaminet de Grenay dans les Hauts-de-France, on participe à un atelier cuisine à la médiathèque Andrée Chédid à la Seyne-sur-Mer, à un grand jeu collectif à Pantin, on échange des graines à la médiathèque Marguerite Yourcenar à Paris, on assiste à un concert au Bouscat, en Gironde, on visite une exposition à Rouen, entre deux pages de philosophie on s’autorise une glissade sur un toboggan… Salut admiratif et amical aux bâtisseurs de ces lieux qui drainent la vie, qui tissent l’humain, aux architectes, aux professionnels, aux élus qui, quelle que soit la taille de leur collectivité, font le choix de la culture, à Tours, Brest, Rennes, Toulouse, Gradignan, Grenay, Mondeville, Saint-Lô, Laxou (ô combien sont nécessaires les bibliothèques départementales), Vaulx-en-Velin, Le Bouscat, La Seyne-sur-mer, Saint-Avertin, Lampaul-Guimiliau, Grigny et tant d’autres… Comment rendre compte, comment permettre à nos lecteurs de mesurer l’incroyable énergie à l’œuvre dans ces milliers de lieux d’échange, de débat, de formation, de reconstruction souvent ? Car le champ ouvert est infini : chaque rencontre en permet une autre. Chaque réseau ouvre sur un autre : c’est la force de la capillarité et de la porosité qui font de ces équipements des démultiplicateurs et des passeurs d’énergie. Une énergie qui se nourrit des rencontres, toutes différentes car montant de territoires infiniment divers et qui, réunis, font la France. Une énergie qui n’attend qu’un signe, et le moyen, de se diffuser ailleurs. Au-delà des 38 uploads/Societe et culture/ rapport-d-x27-erik-orsenna-sur-les-bibliotheques.pdf
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- Publié le Dec 29, 2022
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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