Ostad Elahi et la tradition Droit, philosophie et mystique en Iran par Soudabeh

Ostad Elahi et la tradition Droit, philosophie et mystique en Iran par Soudabeh Marin Éditions Safran Bruxelles SPÉCIMEN Nous remercions Monsieur le Professeur Bahram Elahi qui a autorisé l’utilisation et la reproduction des photographies. Crédits photographiques : F onds privés de Pr Bahram Elahi. Photographie de couverture : Le village de Jeyhûn-Âbâd, lieu de naissance d’Ostad Elahi (province du Kermanshah). Crédits photographiques : F onds privés de Pr Bahram Elahi. © 2012 – Éditions Safran | Rue des genévriers, 32 | B – 1020 Bruxelles, Belgique editions@safran.be – www .safran.be Toute reproduction, intégrale ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’éditeur ou de ses ayants droit, est illicite. ISBN 978-2-87457-037-7 - Première édition. ISBN 978-2-87457-061-2 - Deuxième édition, corrigée. Imprimé en Belgique D/2012/9835/75 Collection Cultures et langues orientales (CELO), 1 SPÉCIMEN Introduction 1. Ostad Elahi1 (1895-19742) est un magistrat, un philosophe mystique et un musicien iranien, né un 11 septembre3 à Jeyhun-Âbad, une bourgade située non loin de la ville de Kermanshah4, dans la région du Kurdistan iranien, en bordure de la frontière irano-iraqienne. Témoin direct de la réception des codifications napoléoniennes en Iran (1911-1936)5 et l’un des représentants de la première génération des juges laïcs formés au droit français et au droit romain, Ostad Elahi accompagne dès 1930 l’œuvre réformatrice et rénovatrice de Reza Shah Pahlavi (1925-1941)6. S’insérant au sein d’une politique tendue vers la modernité, Ostad Elahi est appelé à participer à la mise en place d’un nouveau cadre institutionnel, juri- dique et judiciaire véhiculant une culture nouvelle, étrangère et occidentale, qui vient bouleverser les fondements de la judicature islamique, en vigueur depuis treize siècles en Perse7. Après des études spécialisées dans le cadre des nouvelles formations in- ternes du ministère de la Justice8, Ostad Elahi doit faire face aux mutations profondes et rapides de la société iranienne qu’il découvre dans sa grande va- riété et diversité, au gré de nombreuses mutations. Parallèlement à une pratique menée sur un terrain difficile et complexe sur le plan culturel, l’Iran étant une 1 « Ostad » signifie « maître » en persan (précédant le nom de famille, il qualifie ceux qui maîtrisent un instrument, un art, un enseignement). C’est le titre donné à Nur ‘ Ali Elâhi, ce dernier étant réputé pour sa maîtrise du tanbur (cet instrument caractéristique du do- maine turco-persan, utilisé depuis l’Antiquité en Perse et consacré à la musique sacrée). C’est d’ailleurs pour ce talent particulier que Maurice Béjart et Yehudi Menuhin avaient tenu à rencontrer Ostad Elahi à Téhéran dans les années soixante-dix (1970). Nous conserverons ici cette dénomination, Ostad Elahi, qui est entrée dans l’usage. 2 1274-1353 HS. 3 19 shahrivar 1274 HS. Pour les dates relatives à la vie d’Ostad Elahi, consulter le site os- tadelahi.com. 4 Capitale de la province du même nom. 5 Voir le deuxième volume de cet ouvrage qui est consacré à la carrière d’Ostad Elahi en tant que magistrat dans le cadre de l’histoire du droit iranien. 6 Proche des idées et du projet sociopolitique de Mustafa Kemal Atatürk, Reza Shah, père du dernier Shah (shâh signifie « roi » en persan) d’Iran (Mohammad Reza Shah, 1941-1979), fonde en 1925 la nouvelle dynastie des Pahlavi après avoir destitué Ahmad Shah, le dernier roi de la dynastie Qajar (les souverains Qajar régnaient sur l’Iran depuis 1779). 7 La Perse (appellation issue du grec ancien – ή περσίς/hê persis –, du nom de la province du Fârs située au sud-ouest de l’Iran) faisait référence, en Occident et jusqu’en 1925, à l’en- semble du territoire iranien. À cette date, Reza Shah Pahlavi imposera aux chancelleries étrangères le nom de l’Iran (Irân, « pays des Aryens ») qui, en persan, désignait depuis tou- jours la Perse. Nous nous référerons à la Perse pour la période située avant 1925 et à l’Iran pour la période qui se situe après 1925. 8 Kelâs-e qazâ’ï, « cursus/cours/cycle de magistrature » . SPÉCIMEN Chapitre 1. Les normes de l’orthodoxie et le choix d’une école juridique 41 Chapitre 1. Les normes de l’orthodoxie et le choix d’une école juridique dans la généalogie d’Ostad Elahi 18. Le contexte religieux kurde au xxe siècle, davantage étudié depuis quelques décennies par les spécialistes en sciences religieuses et en anthropo- logie religieuse, invite le lecteur à s’immerger au sein d’un milieu spécifique où les confréries mystiques (sunnites ou shî’ites), particulièrement dévelop- pées et actives, constituent un élément important de l’histoire et du tissu social du Kurdistan. Les confréries ou les traditions mystiques shî’ites, qui ont conservé, pour certaines d’entre elles (en particulier les Ahl-e Haqq), une métaphysique très riche et complexe, développent une réflexion spirituelle et des thématiques philosophiques, morales et religieuses desquelles l’Occident, depuis quelques siècles déjà, s’est désintéressé, parfois jusqu’à en négliger l’importance au sein d’autres cultures. Pourtant il nous faut plonger dès à présent dans un univers régi par d’autres références et d’autres considérations que celles que nous avons l’habitude de rencontrer dans le champ de l’histoire du droit français. C’est précisément cette distance, mesure de l’écart qui sépare Ostad Elahi de l’esprit de la moder- nité occidentale, qui peut nous permettre de nous rendre compte par la suite du chemin qu’un mystique oriental doit parcourir pour s’adapter à un monde nouveau, différent, sans avoir à sacrifier, comme d’autres l’ont fait, l’héritage de sa propre tradition spirituelle. C’est ce parcours qui nous intéresse ici, même si pour en saisir l’actualité et l’urgence, nous devons faire l’effort de nous extraire de notre propre culture pour pouvoir appréhender une autre façon de penser. Et c’est là précisément ce qui peut être déroutant à première vue : voir déployée dans un cadre institu- tionnel et juridique français rationalisé, porteur des références intellectuelles et de la philosophie politique occidentale, une réflexion de nature profondé- ment traditionnelle et spirituelle. Pourtant c’est au cœur même de cette union, réalisée et actualisée, que réside la réponse à cette interrogation majeure qui nous préoccupe aujourd’hui : comment concilier en Orient tradition et moder- nité ? 19. Ostad Elahi voit le jour dans le petit village de Jeyhûn-Âbâd, en bordure du Kurdistan du sud au sein de ce qu’on appelle le grand Kurdistan (qui che- vauche une partie de la Syrie, de l’Iran, de l’Irak et de la Turquie). La famille d’Ostad Elahi, ayant émigré par vagues successives des régions situées au nord-ouest, près de Mahabad, n’est installée dans cette province que depuis le xviiie siècle. SPÉCIMEN 88 Première partie | la narration généalogique tibilité. Le Bâb s’entoure de disciples, issus pour la plupart du bas clergé et de la classe des commerçants, et de quelques shaikhis qui le suivent même si certains d’entre eux vont finalement se rétracter, mettant en avant le fait que l’accès à l’imam représente en réalité un concept spirituel et non un homme. Une adepte fervente, en revanche, poétesse charismatique et lettrée, appelée Qor’at al-’Ein, elle-même issue d’une famille d’ulémas, radicalise le message et consomme la rupture avec l’islam. Le succès de ces idées reflète l’ambiance intellectuelle et spirituelle de cette époque. La Perse est d’une part étouffée par la domination des représen- tants de l’orthodoxie shî’ite qui imposent une vision rationaliste et juridique du shî’isme et d’autre part contrainte par la dislocation socio-économique306 qui survient avec l’introduction des biens en provenance de l’étranger (Tur- quie, Russie, Angleterre et autres pays européens). En 1847 , le Bâb, arrivé dans un village reculé de l’Azerbaïjan (à Maku), y définit, pour la première fois, son message comme une nouvelle révélation. Qorat al-’Ein, de son côté, harangue la foule, arrache son voile en public et annonce au peuple que désor- mais toutes les règles et les obligations religieuses islamiques sont bannies et abrogées par la nouvelle loi apportée par le Bâb. Après son arrestation, Bâb dénonce les autorités religieuses et séculières, déclare être le messie (incar- 306 L’héritage de l’ancien Premier ministre, Haj Mirzâ Aqâsi, est lourd sur le plan écono- mique : large déficit du trésor public dû à des impôts non récoltés et aux expéditions mili- taires, des fonctionnaires corrompus et une administration confuse. À cet état de fait s’ajoute l’importation de marchandises étrangères qui contribue à affaiblir les artisans locaux. Photo 3. Le village de Jeyhun-Âbâd (Crédits photographiques : F onds privés de Pr Bahram Elahi) SPÉCIMEN 156 Première partie | la narration généalogique Ostad Elahi se souvient : « […] J’ai sursauté et j’ai appelé mon père : “kâke Ne ’ mat, papa, es-tu réveillé ?” (J’appelais aussi mon père kâke Ne ’ mat). Il a répondu : “oui” ; “j’ai faim”, lui dis-je. Alors il m’a mis à terre. Physiquement j’étais sain et sauf mais je n’étais plus dans mon état habituel690. » Entre-temps, soufi Rashid, parti chercher un linceul à Toyleh, arrive dans ce village à la tombée de la nuit et se voit contraint d’attendre l’ouverture des échoppes le lendemain matin. Mais au petit jour, quelqu’un l’interpelle dans le village : c’est un messager envoyé par une personnalité mystique de cette contrée, un maître de la confrérie Naqshbandi, Sheikh Hesâm al-Din, un uploads/Societe et culture/ ostad-elahi-et-la-tradition-droit-philo-pdf.pdf

  • 51
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager