Revue Perspective soignante, Ed. Seli Arslan, Paris 1999, n°4 1 Le caring est-i

Revue Perspective soignante, Ed. Seli Arslan, Paris 1999, n°4 1 Le caring est-il prendre soin ? Walter Hesbeen es travaux de Jean Watson, infirmière et professeur à l’Univer- sité du Colorado aux États-Unis, sont souvent cités en réfé- rence dans le milieu infirmier. Tout récemment, une traduction française de son ouvrage Nursing. The philosophy and science of caringi vient d’être publiée sous la direction de Josiane Bonnetii. Il m’arrive fréquemment d’être confronté à des questions relatives au caring : est-ce une nouvelle théorie ? comment la mettre en pra- tique dans le contexte européen ? quels liens y a-t-il entre mes travaux sur le « prendre soiniii » et ceux de Watson ? Si le caring et le « prendre soin » me semblent effectivement très proches et s’ins- crivent indubitablement dans une tonalité soignante par essence huma- niste, ces deux approches ne peuvent néanmoins être confondues même si elles présentent un certain nombre de similitudes. La question des rapports entre ces deux regards sur la pratique soignante me semblait dès lors devoir être posée. Aussi vais-je structurer le présent article autour de trois grandes questions : – Qu’est-ce que le caring ? – Qu’est-ce que « prendre soin » ? – Quels sont les points de rencontre et les risques de confusion ? Le caring Il n’est pas aisé de définir le caring car la langue française semblerait manquer de mots pour nous proposer une traduction pertinente. Le philosophe Milton Mayeroff, cité dans la préface de la traduction fran- çaise de Watson, nous propose une définition qui m’apparaît à la fois explicite mais aussi accessible à chaque groupe professionnel, voire L Walter Hesbeen Revue Perspective soignante, Ed. Seli Arslan, Paris 1999, n°4 2 plus simplement à chaque humain. Dans son ouvrage On caring, Mayeroff définit le caring comme : « l’activité d’aider une autre per- sonne à croître et à s’actualiser, un processus, une manière d’entrer en relation avec l’autre qui favorise son développement.iv » L’approche philosophique situe ainsi le caring comme un acte de vie qui transcende largement, tout en les incluant, les seules activités pro- fessionnelles marquées par le service rendu à autrui. Malgré cette ouverture amorcée par le philosophe, la littérature spécialisée fait généralement coïncider caring et « soins infirmiers », un peu comme si l’un était l’équivalent de l’autre. Pour de nombreux auteurs, la spécificité infirmière se trouverait ainsi dans le caring, tout comme la particularité de la pratique médicale se trouverait dans le cure, c’est-à-dire le traitement, la guérison. Cette distinction entre le care et le cure, qui confine des groupes professionnels dans des champs différents quoique complémentaires, procède de ce que l’on peut qualifier de pensée disjonctive. Les auteurs qui abondent dans ce sens ont pris pour choix conceptuel de disjoindre les pratiques profes- sionnelles en attribuant aux uns les préoccupations relatives aux ma- lades et aux autres celles relatives à la maladie. Je reviendrai plus loin sur ma perception de la pertinence de cette disjonction. Que nous dit Jean Watson à propos du caring ? Dans sa préface à l’édition française, Josiane Bonnet introduit les tra- vaux de la théoricienne de la manière suivante : Jean Watson nous invite à aborder la discipline infirmière comme la science du caring. […] elle définit le caring comme un ensemble de fac- teurs (qu’elle nomme « facteurs caratifs ») qui fondent une démarche soi- gnante favorisant soit le développement ou le maintien de la santé soit une mort paisible. Ces facteurs caratifs sont étayés à la fois par une philosophie humaniste, qui est la clé de voûte de l’approche soignante, et par un corpus de connaissances scientifiques qui ne cesse de s’accroître. Ils servent de guide structurant pour comprendre le processus thérapeutique interpersonnel qui s’instaure entre l’infirmière et la personne soignée. [p. 10] Dans son ouvrage, Watson expose clairement ses ambitions et son orientation : La pratique infirmière quotidienne doit prendre racine dans un système de Revue Perspective soignante, Ed. Seli Arslan, Paris 1999, n°4 3 valeurs humanistes solide qu’il appartient à l’infirmière de cultiver. Ce système de valeurs doit intégrer des connaissances scientifiques pour gui- der les activités de l’infirmière. Cette association humaniste-scientifique constitue la base de la science du caring. […] Afin d’aider les lecteurs à faire la distinction entre discipline infirmière et médecine, nous em- ployons le néologisme caratif, par opposition au terme plus connu de curatif. Les facteurs caratifs sont les facteurs que l’infirmière utilise pour prodiguer des soins aux patients/clients. Ces facteurs se fondent sur une philosophie humaniste qui est la clé de voûte de l’approche soignante et qui est étayée par un corpus scientifique ne cessant de s’accroître. Alors que les facteurs curatifs ont pour but de traiter la pathologie d’un patient, les facteurs caratifs visent une démarche soignante qui favorise soit le rétablissement (ou le maintien) de la santé soit une mort paisible. [p. 21] _ Avant d’énoncer ces différents facteurs « caratifs », au nombre de dix, Watson présente les « principales prémisses de la science du caring » ainsi que les hypothèses sur lesquelles elle se fonde. Les prémisses, au nombre de deux, sont présentées comme « le fondement de l’utilité du caring dans la construction de la science infirmière ». Elles sont énoncées comme suit : 1. Le caring (comme les soins infirmiers) a existé dans toutes les socié- tés. Dans chaque société, on trouve des personnes qui prennent soin d’autres personnes. Une attitude soignante n’est pas transmise d’une génération à l’autre. Elle est transmise par la culture d’une profession comme un moyen unique de s’ajuster à son environnement. Les soins infirmiers ont toujours pris une position soignante vis-à-vis des autres êtres humains. Cette position a été mise en danger au cours du temps par des exigences plus techniques et le développement de différents ni- veaux de soins infirmiers. Cependant, les opportunités offertes aux in- firmières de suivre des formations supérieures et de mener des analyses d’un meilleur niveau des problèmes et questions concernant leur formation et leur pratique ont permis à la discipline infirmière d’harmoniser son orientation humaniste et son fondement scientifique. 2. Il y a souvent une divergence entre la théorie et la pratique ou entre les aspects scientifiques et les aspects « artistiques » du caring, en partie à cause du clivage qui existe entre valeurs scientifiques et valeurs huma- nistes. [p. 22-23] Les hypothèses, quant à elles, sont subdivisées en sept points : Walter Hesbeen Revue Perspective soignante, Ed. Seli Arslan, Paris 1999, n°4 4 1. Le caring peut être démontré et pratiqué de façon efficace uniquement au travers de relations interpersonnelles. 2. Le caring consiste en facteurs caratifs dont le résultat est la satisfaction de certains besoins humains. 3. Pour être efficace, le caring doit promouvoir la santé ainsi que la crois- sance individuelle ou familiale. 4. Les réponses données par le caring acceptent une personne non seule- ment telle qu’elle est maintenant mais aussi telle qu’elle peut devenir. 5. Le milieu du caring est propice au développement de potentialités en permettant à une personne de choisir la meilleure action pour elle- même à un moment donné. 6. Le caring est plus propice à la santé que le traitement médical. La pra- tique du caring associe connaissances biophysiques et connaissances du comportement humain dans le but de susciter ou de promouvoir la santé et de procurer des soins à ceux qui sont malades. D’où la néces- sité de la science du caring à côté de la science médicale. 7. La pratique du caring est au centre de la discipline infirmière. [p. 23] Les facteurs « caratifs » ont pour intention de présenter la « disci- pline infirmière comme une activité profondément humaine » [21]. La discipline infirmière est ainsi « considérée comme la science du caring [p. 22] car elle englobe la promotion de la santé, les soins préventifs, les soins aux ma- lades et le rétablissement de la santé. Habituellement, la discipline infir- mière intègre des connaissances biophysiques aux connaissances du com- portement humain pour promouvoir la santé et prendre soin du malade. Aujourd’hui comme par le passé, elle accorde plus d’importance à la promotion de la santé qu’au traitement de la maladie. C’est ce qui ex- plique pourquoi la discipline infirmière s’intéresse aux connaissances liées au concept de soin (care), qui est différent de celui de traitement (cure), relevant, lui, de la médecine. Les dix facteurs « caratifs » sont présentés comme « un cadre conceptuel pour étudier et comprendre les soins infirmiers en tant que science du caring » [p. 24]. Ils sont formulés comme suit : 1. Le développement d’un système de valeurs humaniste-altruiste. 2. La prise en compte et le soutien du système de croyance et de l’espoir. 3. La culture d’une sensibilité à soi et aux autres. 4. Le développement d’une relation d’aide et de confiance. 5. La promotion et l’acceptation de l’expression de sentiments positifs et Revue Perspective soignante, Ed. Seli Arslan, Paris 1999, n°4 5 négatifs. 6. L’utilisation systématique de la méthode scientifique de résolution de problèmes dans le processus de prise uploads/Sante/caring-hesbeen.pdf

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  • Publié le Nov 08, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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