Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 1 LEVOTHYROX Défau
Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 1 LEVOTHYROX Défaut d’information de l’industriel Préjudice moral PLAIDOIRIE DEVANT LA COUR D’APPEL DE LYON mardi 7 janvier 2020 Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 2 Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 3 [seul le texte prononcé fait foi] Monsieur le président, Madame, Monsieur les Conseillers, Aujourd’hui, devant vous, je ne me présente pas seul. Je prends la parole pour 3329 demandeurs, tous malades, devant prendre un médicament à base de lévothyroxine, toute leur vie durant afin de pouvoir vivre sereinement. Aujourd’hui, ils viennent vous réclamer justice en vous demandant de réformer un jugement qui a refusé de reconnaître les nombreuses fautes commises par le fabricant du LEVOTHYROX. Du jour au lendemain, sans leur laisser le choix, sans les informer des conséquences possibles d’un tel changement, on leur a imposé par surprise un « switch », c’est-à-dire un changement de médicament qu’aucun médecin n’avait prescrit et que leur corps n’a pas supporté. Ce changement a entrainé des troubles fonctionnels, pour ne pas dire corporels, mais ces préjudices corporels ne seront pas traités durant cette audience. Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 4 En effet, depuis le début de cette affaire, nous cherchons à obtenir l’indemnisation du préjudice moral découlant d’un défaut d’information principalement imputable à la multinationale fabriquant le seul médicament à base de lévothyroxine sous forme de comprimé disponible en France en 2017. Ce préjudice moral prend une double forme : - D’abord, il s’agit d’un préjudice qualifié d’anxiété mais nous verrons qu’il recouvre l’angoisse et le désespoir générés par une absence d’information sur les conséquences connues, prévisibles et maitrisables d’un changement de formule du LEVOTHYROX ; - Et ensuite c’est un préjudice moral pur pour atteinte à la dignité des malades. Car – faut-il encore le rappeler ? – un patient n’est pas un être passif, il n’est pas qu’un corps que l’on soigne. Le malade a beau être vulnérable, il n’a pas perdu son autonomie. Nous verrons que ces deux préjudices découlent d’une asymétrie de l’information : un industriel tout puissant connait les dangers des produits qu’il commercialise et dispose des moyens pour éviter qu’ils ne nuisent à la santé et au bien- être de ses abonnés, pardon des malades. Et pourtant, il préfère ne pas donner une information complète et loyale. Au point que la cour devra considérer que nous sommes présence d’un défaut d’information aux effets ravageurs. Ce comportement est révélateur d’un oubli de la finalité de la médecine et de la pharmacie : NE JAMAIS NUIRE et TOUJOURS AGIR DANS L’INTERET DES MALADES. Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 5 Point important qui retiendra votre attention, nous ne sommes pas dans le cadre de la responsabilité des produits défectueux mais dans l’application « classique » de la responsabilité civile pour faute, les anciens articles 1382 et 1383 du Code civil, devenus les articles 1240 et 1241. En favorisant ses intérêts pécuniaires et ceux de ses actionnaires plutôt que de prendre en compte le bien-être de malades qu’elle savait être captifs, nous démontrerons que MERCK a commis des fautes délictuelles ou pour le moins à pécher par négligence ou imprudence. En effet, au printemps 2017, MERCK était dans une incroyable situation de force : elle détenait le monopole du marché français de médicaments à base de lévothyroxine. MERCK elle pouvait informer tous les acteurs de la chaine du médicament mais finalement, MERCK a préféré jouer à la roulette russe avec la santé des malades, espérant que les quelques milliers de personnes, qui allaient nécessairement être impactés, passeraient inaperçus. MERCK a perdu son pari mais ce sont les malades qui ont payé les pots cassés. Voilà pourquoi, aujourd’hui, 3329 malades sont impatients que la justice les entende, enfin et leur rende leur dignité. Voilà présenté en quelques mots simples, l’objet de notre démonstration. Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 6 Pourtant, Monsieur le président, madame, monsieur les conseillers, derrière l’apparente simplicité se cache une grande complexité, à la fois technique, médicale, mathématique mais également juridique. Et au-delà de la technique stricto sensu, il y a également la prise en compte des sentiments des malades, de leur mal- être et pour tout dire de leur déception voire de leur colère. Comment vous présenter en quelques minutes ce maelstrom pour rendre palpable la réalité sensible ? Comment aller à l’essentiel ? Je dois l’avouer à votre cour, depuis de nombreuses semaines je dors mal. Dans cette forêt de données scientifiques, de références croisées, de subtilités réglementaires, comment trouver son chemin ? Comment trouver les mots qui permettent enfin d’établir un pont entre la justice et les justiciables ? Comment faire entendre la voix de ceux qui ont été méprisés ou tout simplement oubliés car ils ne sont que des dommages collatéraux qui ne peuvent pas être quantifiés dans une feuille de calcul ? Je sens sur mes épaules le poids de la confiance des 3329 malades restants. Si près de 900 malades ont renoncé à participer à la procédure d’appel, c’est parce qu’ils n’avaient plus confiance ni dans le système de santé, ni dans la justice. Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 7 On peut les comprendre. N’ont-ils pas été méprisés, dénigrés voire accusés d’être hystériques. Sur un ton paternaliste que l’on croyait disparu, ils se font gronder par des grands professeurs, les KOL (« key opinion leaders », qui venaient leur faire la leçon du haut de leur tribune dans des grands journaux du soir ou à longueur d’interviews télévisuelles : « ce que vous ressentez n’est pas la réalité. Nous, nous savons, laissez-nous faire et taisez-vous ! ». Pour MERCK, les malades n’existaient pas. Ils étaient de simples nombres, fantômes et dépourvus d’autonomie et d’identité. Depuis le début de la crise, sans un mot d’empathie, MERCK les traitait avec condescendance et arrogance, comme on traite un animal de compagnie ou un petit enfant. Prends ton comprimé et tais-toi ! MERCK a traité les malades comme de simples données d’un test grandeur nature à l’échelle d’un pays tout entier. Ainsi, en janvier 2018 dans une interview à la DEPECHE DU MIDI, le patron de MERCK, M. Thierry HULOT, expliquait, excédé par la polémique, « mais enfin quoi, 90 % des malades apprécient la nouvelle formule » ! Pièce n° B9-7 Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 8 Mais 10 % de malades qui râlent, est-ce négligeable ? Que se cache-t-il derrière ce pourcentage ? Tout simplement des hommes et des femmes qui souffrent au quotidien, tout simplement entre 200 et 300 000 êtres humains traités comme quantité négligeable, comme si une ligne statistique ne valait pas grande chose face à une ligne de bilan. Réduire la souffrance de plusieurs centaines de milliers de personnes à un simple pourcentage est symptomatique d’une vision du monde. Mais comment vous faire comprendre cette souffrance qui a duré plusieurs mois et qui dure encore pour certains près de trois ans après le changement ? Comment vous faire comprendre que les malades ont l’impression d’avoir été moqués et trahis par tout le système de santé (de Merck à la ministre, en passant par l’ANSM et parfois par les médecins et les pharmaciens) ? Pour préparer cette plaidoirie, je me suis isolé dans ma maison de campagne, en BRETAGNE, entouré de livres dans lesquels j’espérais trouver l’inspiration. Comme la vérité, l’inspiration est fuyante et je ne trouvais pas les mots justes, je ne trouvais pas le fil conducteur qui pouvait réunir tous ces éléments disparates. Une nuit d’insomnie, ne pouvant ni travailler ni lire, à demi somnolent, j’allumai machinalement la télévision espérant tomber sur un épisode de Dr HOUSE ou d’une série policière allemande à la légendaire lenteur soporifique. Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 9 Malchance ou bénédiction des dieux, je tombais sur une rediffusion : c’était un film en noir et blanc, vu et revu… « KNOCK » avec l’incomparable Louis JOUVET. Je ne vous ferai pas l’affront de vous rappeler l’intrigue principale mais je souhaiterais attirer votre attention sur un personnage secondaire, joué par Pierre RENOIR, le pharmacien MOUSQUET. En ce temps-là, le rôle de pharmacien d’officine était essentiel, il préparait les potions, décoctions pommades et autres remèdes prescrits par le médecin. La base de sa réputation n’était pas son diplôme obtenu à l’université mais bel et bien la CONFIANCE qu’il inspirait. Voilà, notre fil conducteur, la CONFIANCE. Cette CONFIANCE découlait du bouche-à-oreille, forme archaïque du partage de l’information dans un village ou une petite ville, bref ancêtre de nos si-décriés réseaux sociaux. Aujourd’hui, les pharmaciens d’officine ont perdu de leur influence et de leur superbe car ils préparent rarement les médicaments. Ils se contentent de vendre les médicaments fabriqués, ailleurs par des industriels. Ils ne maitrisent plus rien : ni les matières premières, ni les procédés de fabrication. Mais, la CONFIANCE est toujours l’ingrédient principal des médicaments. Christophe Lèguevaques, avocat, 2020 – Plaidoirie LEVOTHYROX 10 Pour vous en convaincre si vous en doutez, accordons- nous le temps d’un rapide survol historique de la profession uploads/Sante/ plaidoirie-levothyrox-7-janvier-2020.pdf
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- Publié le Oct 21, 2021
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
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