Georges Lantéri-Laura La médicalisation de la sexualité. Foucault et Lantéri-La
Georges Lantéri-Laura La médicalisation de la sexualité. Foucault et Lantéri-Laura : un débat qui n’a pas eu lieu The medicalisation of sexuality. Foucault and Lantéri Laura: a discussion that did not occur Alain Giami * Directeur de recherche, Inserm U 569, 82, rue du Général-Leclerc, 94276 Le Kremlin-Bicêtre cedex, France Reçu le 12 janvier 2005 ; accepté le 21 mars 2005 Disponible sur internet le 03 juin 2005 Résumé Le livre de G. Lantéri-Laura Lecture des perversions – Histoire de leur appropriation médicale est paru en 1979, soit trois ans après la parution de La Volonté de Savoir de Michel Foucault. Ces deux ouvrages abordent l’histoire de la sexualité et de la médecine au XIXe siècle mais, curieuse- ment, Lantéri-Laura ne cite jamais Foucault. Une lecture serrée de ces deux textes met en évidence les deux points suivants. (1) Si Foucault a travaillé sur la sexualité dans son rapport à la vérité, au savoir et au pouvoir, Lantéri-Laura a travaillé de façon plus spécifique sur les perversions sexuelles et la façon dont la psychiatrie les a redéfinies en les extrayant progressivement du domaine de la reli- gion et de la médecine légale. (2) Alors que Foucault n’a pas élaboré d’analyse critique de la psycha- nalyse et a repris le modèle psychanalytique pour penser le « dispositif de sexualité » (fondé sur la parole), Lantéri-Laura met pour sa part en évidence le dégagement relatif et limité de Freud par rapport aux catégories sexologiques et le retour de la psychanalyse contemporaine vers des catégo- ries d’analyse plus ancrées dans l’éthique sociale dominante. Alors que Lantéri-Laura a tenté une forme d’objectivation et de mise en perspective historique et idéologique de la psychanalyse, Fou- cault se serait finalement beaucoup plus inspiré du modèle psychanalytique pour élaborer la perspec- tive de la construction sociale et historique de la sexualité. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. > Toute référence à cet article doit porter mention : Giami A. La médicalisation de la sexualité. Foucault et Lantéri-Laura : un débat qui n’a pas eu lieu. Evol psychiatr 2005 ; 70. * Auteur correspondant. M. Alain Giami. Adresse e-mail : giami@vjf.inserm.fr (A. Giami). L’évolution psychiatrique 70 (2005) 283–300 http://france.elsevier.com/direct/EVOPSY/ 0014-3855/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2005.03.003 Abstract Lanteri Laura’s book : Reading perversion : a history of its medical appropriation (Lecture des perversions : une histoire de leur appropriation médicale) was published in 1979, three years after Michel Foucault’s first volume of The History of Sexuality. These two books deal with the history of sexuality in the XIX° century, yet strangely Lanteri Laura does not cite Foucault. A close reading of both texts demonstrates two points. (1) While Foucault was mainly concerned with the relationship between sexuality and truth, power and knowledge, Lantéri-Laura worked more specifically on sexual perversions and the way in which psychiatry redefined them by withdrawing them from the fields of religion and law. (2) Moreover, Foucault did not undertake a critical analysis of psychoanalysis. Instead, he used the psychoanalytic model to construct the model of of the “apparatus of sexuality” based on language. For his part, Lanteri Laura provided evidence of the limited withdrawal of Freud reagrading the sexological categories of his time and a return within lacanian psychoanalysis to cate- gories that were anchored in the dominant social morality of the time. Finally, whereas Lantéri-Laura attempted to objectify psychoanalysis and to place it within a historical and ideological perspective, Foucault was in the end actively inspired by the psychoanalytical model and used it in the social and historical construction of sexuality. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Sexualité ; Médicalisation ; M. Foucault Keywords: Sexuality; Medicalisation; M. Foucault Au cours du milieu des années soixante-dix, on a assisté à la publication de quelques ouvrages posant le problème des rapports entre la médecine et la sexualité, sous l’angle de la « médicalisation » et de « l’appropriation médicale ». Le célèbre ouvrage de Michel Foucault, La volonté de savoir, conçu initialement comme le premier tome d’une vaste Histoire de la sexualité est paru en 1976 [1]. L’ouvrage de Georges Lantéri-Laura, Lecture des perversions – Histoire de leur appropriation médicale, moins connu du grand public, est paru en 1979 [2]. De façon surprenante pour le lecteur naïf, le texte de Michel Foucault n’est jamais cité en référence dans le livre de Lantéri-Laura. Compte tenu du retentisse- ment qu’ont connu les travaux de Foucault sur la sexualité, et du caractère rigoureux du travail de Lantéri-Laura qui cite très précisément les sources qu’il utilise, l’absence de toute référence à l’œuvre de Foucault pose question. Ces deux auteurs ont travaillé sur des matériaux historiques en partie communs, et notamment sur la genèse et l’essor de la sexo- logie au XIXe et XXe siècles, mais leurs interprétations diffèrent sur différents points. En quoi la perspective adoptée par Lantéri-Laura est-elle incompatible avec celle développée antérieurement par Foucault pour qu’il ne la mentionne même pas ? J’ai choisi de synthétiser les thèses élaborées par chacun de ces deux auteurs, en prenant aussi le temps de présenter en détail certains des matériaux historiques sur lesquels ils ont travaillé afin de mieux comparer leurs approches respectives, à la lumière des questions que je travaille actuellement concernant la médicalisation de la sexualité [3]. 284 A. Giami / L’évolution psychiatrique 70 (2005) 283–300 1. Michel Foucault : le dispositif de sexualité et la bio-politique Les travaux de Michel Foucault sur la sexualité débutent avec le Cours sur les Anor- maux, prononcé au Collège de France au cours de l’année 1974-1975. Foucault poursuit la rupture théorique qu’il a effectuée l’année précédente dans son Cours sur le Pouvoir psy- chiatrique, marquée par l’abandon de ses analyses en termes de « noyau représentatif » et son remplacement par la référence au « dispositif de pouvoir » [4]. J. Lagrange note que ce Cours est aussi marqué par un « déplacement des analyses sur “l’institution asilaire” vers une analyse de son « extérieur » pour en replacer la constitution et le fonctionnement dans une technologie de pouvoir caractéristique de la société et que les dispositifs de pouvoir sont précisément le point à partir duquel on doit pouvoir assigner la formation des prati- ques discursives » ([4], p. 363). C’est dans ce contexte que Foucault aborde la question de la médicalisation en la traitant d’emblée à propos du dispositif de sexualité. Dans un deuxième temps, dans le Cours prononcé en 1976 : « Il faut défendre la société » [5], Foucault aborde la question de la médicalisation sous l’angle du bio-pouvoir et de la bio- politique. Pour Foucault, le processus de la médicalisation n’est pas réductible à l’institution médi- cale ni à celle de l’asile et son apparition s’inscrit dans le développement des « technolo- gies du pouvoir ». On peut en outre penser que l’approche foucaldienne de la médicalisa- tion est indissociable de son application dans le domaine de la sexualité. Ph. Artières et E. da Silva vont dans ce sens en considérant que pour Foucault, la médicalisation désigne « les processus singuliers par lesquels une société à un moment donné de son histoire constitue un objet, une pratique comme relevant du domaine de la médecine (l’exemple le plus célè- bre étant la sexualité des enfants, mais l’espace urbain en est un autre exemple) » [6]. Tout au long du Cours sur les Anormaux, Foucault utilise le terme de « sexualité » dans son sens commun pour décrire les pratiques, les relations et les représentations sexuelles, et en même temps pour décrire le « dispositif de sexualité », avant de le définir plus précisé- ment dans la Volonté de savoir, paru l’année suivante : « L’histoire de la sexualité – c’est- à-dire de ce qui a fonctionné au XIXe siècle comme domaine de vérité spécifique – doit se faire d’abord du point de vue d’une histoire des discours » ([1], p. 92). Plus loin, Foucault écrit : « On le voit ; c’est le dispositif de sexualité qui, dans ses différentes stratégies, met en place cette idée “du sexe”; et sous les quatre grandes formes de l’hystérie, de l’ona- nisme, du fétichisme et du coït interrompu, elle le fait apparaître comme soumis au jeu du tout et de la partie, du principe et du manque, de l’absence et de la présence, de l’excès et de la déficience, de la fonction et de l’instinct, de la finalité et du sens, du réel et du plaisir. Ainsi s’est formée peu à peu l’armature d’une “théorie du sexe” » ([1], p. 204). Dans un entretien paru en 1977, Foucault reconnaît que « cette question a été la diffi- culté centrale de mon livre ; j’avais commencé à l’écrire comme une histoire de la manière dont on avait recouvert et travesti le sexe par cette espèce de faune, par cette végétation étrange que serait la sexualité » ([7], p. 234). De façon étrange, l’homosexualité, dont l’étude et la catégorisation ont joué un rôle primordial dans la genèse de la sexologie du 285 uploads/Sante/ la-medicalisation-de-la-sexualite-fouca.pdf
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- Publié le Mar 16, 2022
- Catégorie Health / Santé
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