55 Le partenaire-symptôme Jacques-Alain Miller Cinquième séance du Cours (mercr
55 Le partenaire-symptôme Jacques-Alain Miller Cinquième séance du Cours (mercredi 17 décembre 1997) Jacques-Alain Miller : - Je me réjouis qu’à cette cinquième réunion de l’année, ce Cours prenne la forme d’un séminaire, grâce à Pierre-Gilles Gueguen, qui m’a proposé d’insérer ici un exposé qui prend le thème partenaire- symptôme à partir, en quelque sorte, de son envers, à partir du partenaire-semblant. Et de le faire en suivant d’abord, dans l’enseignement de Lacan, sa référence à la théorie des fictions, dont la référence princeps est empruntée à l’œuvre du philosophe anglais empiriste Jeremy Bentham dont l’œuvre se situe à la jointure du 18ème et du 19ème siècle, œuvre qui a eu une influence majeure au début du 19ème siècle en Angleterre et qui a été ensuite oubliée et négligée, jusqu’à ce qu’elle soit remise à l’ordre du jour par un ou les deux auteurs du livre The meaning of meaning, de Ogden et Richards auxquels Lacan fait référence plusieurs fois. Ogden a consacré à la théorie des fictions un ouvrage, dans les années trente, recueillant les fragments de Bentham consacrés à cette théorie des fictions, et Lacan en a eu connaissance grâce au linguiste Roman Jakobson. Il a eu connaissance au moins de cette partie de l’œuvre de Bentham, au delà de ce qui en demeurait dans les manuels de philosophie. Bentham en effet, avec son utilitarisme, était une station obligée de la critique de la morale, y compris en France, pour illustrer la régression empiriste par rapport à la morale kantienne. C’était son usage essentiel dans les manuels, mais on négligeait cette partie pourtant essentielle de son œuvre, et articulée à sa promotion du calcul de la peine et du désir, on négligeait la partie théorie des fictions. Dès qu’il en a eu connaissance, Lacan a fait tourner sa lecture de Bentham, et l’a promu, on peut presque dire, comme un antécédent de Freud. Au point qu’en effet j’ai pu, à un moment, mettre Bentham parmi ces conditions de la découverte freudienne au même rang que Descartes. Comme si, en un certain sens, Descartes c’était la découverte du sujet barré, l’affirmation du sujet barré, tandis que Bentham c’était le rappel de l’instance primaire de la jouissance, au moins considérée à partir de Lacan. Alors, c’est ainsi, avec l’exposé de Pierre-Gilles Guegen, nous allons prendre à revers le thème du symptôme-jouissance. Ça n’est pas abstrait, si je puis dire, et on s’en aperçoit si on se demande simplement :pourquoi vient-on en analyse ? Pourquoi demande-t-on une analyse ? À vrai dire, il y a déjà un pas, à faire, entre ces deux questions : venir en analyse et demander une analyse. Il fut un temps où venir en analyse était distinct d’en demander une, d’analyse. Il fut un temps où on était, et les analystes réfléchissaient là-dessus, envoyé en analyse. C’était le temps où on pouvait venir en analyse sur indication d’analyste, parce que la forme du symptôme semblait recommander le traitement psychanalytique. Et donc on a J.-A. MILLER, Le Partenaire-Symptôme Cours n°5- 17/12/97 - 56 réfléchi dans la psychanalyse, on a rivalisé de listes d’indications et de contre-indications en analyse. Toute cette problématique est aujourd’hui, dans l’ensemble, désuète. Toute cette problématique laissait de côté la dimension propre de la demande d’analyse. L’indication d’analyse, au fond ça reflétait l’évaluation faite par le médecin, que la forme du symptôme convenait au traitement psychanalytique. Évidemment la demande a de toutes autres coordonnées que cela, et c’est bien plutôt à une demande d’analyse que nous avons affaire et la réponse : votre symptôme est une contre- indication n’est plus faite. Alors pourquoi, sans entrer dans cette question, que je reprendrai peut-être plus tard, que j’ai été amené à aborder samedi dernier dans un autre cadre, pourquoi demande-t-on une analyse ? Il y faut sans doute une recherche de la vérité, pour reprendre le titre de Malebranche. Et au moins une recherche du sens, et il y faut aussi une souffrance : il faut une alliance spéciale de sens et de souffrance. Et c’est d’ailleurs là que se partagent - je l’ai déjà souligné - les formations de l’inconscient. En effet on ne souffre pas de ses rêves, de ses lapsus, de ses actes manqués, et de ses mots d’esprit, pour faire une liste à partir du ternaire inaugural de Freud. Alors certes, il faut qualifier, modérer, cette proposition. Il peut se faire qu’on souffre de ses rêves. Par exemple lorsque l’on voit revenir un cauchemar, par période, ou pour une longue période. On peut souffrir de ses rêves si l’on pense à ces rêves dits traumatiques sur lesquels Freud a raisonné. On peut souffrir en effet d’actes manqués dans la mesure où ils se produiraient à répétition. Et on peut même souffrir de ses mots d’esprit, quand on ne peut pas s’empêcher de faire rire. Mais au fond la souffrance s’introduit là, dans ce registre du rêve, du lapsus, des actes manqués, par l’élément de répétition qu’ils peuvent comporter. C’est par ce à répétition que la souffrance est susceptible de s’introduire dans cette dimension. Et là, il me semble qu’on ne peut pas nier une dissymétrie : c’est que s’agissant des rêves, des lapsus, des actes manqués, des mots d’esprit, leur concept n’inclut pas, en tant que tel, ce trait répétitif. Et bien plutôt, quand Freud même les amène, c’est plutôt par leur caractère unique et inopiné, comme des manifestations qui se produisent dans une temporalité d’éclair. Alors, certes, le trait répétitif peut s’y ajouter, comme je l’ai mentionné juste plus haut. En revanche, le à répétition est inclus dans notre concept même du symptôme. Lacan parlait même - je l’ai rappelé - du et coetera du symptôme, et qui se traduit même par un sentiment de permanence du symptôme. Et, dans la cure analytique, le et coetera du symptôme apparaît comme stagnation de la cure, inertie du changement qui est souhaité. Cette dimension est bien celle qui explique la dynamique de la pratique analytique, qui l’a conduite à passer au-delà de ce qui était d’abord conçu comme la cure-type, comme la cure de psychanalyse pure. À l’époque où on pensait pouvoir donner la liste des indications et des contre-indications de l’analyse, on disposait d’un concept de la cure-type, encore au moment où Lacan commençait son enseignement. Et ce qui pouvait motiver une indication d’analyse, J.-A. MILLER, Le Partenaire-Symptôme Cours n°5- 17/12/97 - 57 c’était la perspective qu’on vienne à bout du symptôme, par un traitement délivré à raison de cinq séances par semaine, cinq séances longues, cinq séances avoisinant l’heure, pendant une durée d’un an et demi à deux ans. Et on attire souvent l’attention sur la durée de la séance, on néglige la notion de la durée du traitement ; la cure-type c’était, au moment où Lacan a commencé son enseignement, un an et demi à deux ans. Et on peut dire que la dynamique universelle de la cure analytique est passée bien au-delà de cette limite, lacanien ou pas. Et que les analystes ont eu à rendre compte - ceux qui ont bien voulu s’y essayer - à rendre compte de la stagnation et de l’inertie du symptôme, et donc se sont trouvés explorer un registre de la cure que Freud laissait pressentir à partir de la dernière partie de son œuvre. C’est ce que Freud a exploré à partir de « Au-delà du principe du plaisir », c’est cette doctrine du symptôme qui est développée dans Inhibition, symptôme et angoisse, qu’on peut prendre comme l’anticipation du problème pratique auquel les analystes ont eu affaire depuis quarante ans. Alors il y a - je le dis en matière d’introduction - un problème spécial du symptôme dans l’enseignement de Lacan. Le symptôme n’a pas trouvé, avant l’ultime enseignement de Lacan, ce que nous pourrions appeler sa juste place. En effet, si l’on se reporte, encore une fois - Pierre-Gilles Guegen le mentionne dans son exposé - si on se reporte à cette figuration en croix, que je rappelle comme le point de départ de l’enseignement de Lacan, ces deux axes ont le mérite d’opposer ce qui, dans la cure, est dynamique, et ce qui dans la cure est stagnation. Et dans ce découpage, ce qui est stagnation est qualifié d’imaginaire dans la mesure où Lacan rassemble sous la rubrique du stade du miroir et de la corrélation de la réciprocité petit a petit a’, réunit tout ce qui est investi, libidinalement investi. Sur cet axe, tout ce qui relève de la libido est inclus, et ce qui justifie cette corrélation entre l’imaginaire et la libido, c’est la notion qu’en définitive la libido est en quelque sorte emprisonnée sur l’axe imaginaire, c’est-à-dire emprisonnée dans ce que Freud a appelé le narcissisme. Et en effet dans la période intermédiaire de son œuvre, celle qui précède la période inaugurée par « Au-delà du principe de plaisir », c’est en effet le narcissisme qui apparaît comme la réserve libidinale. Et sur l’axe dynamique, disons que c’est l’axe dynamique que Lacan pense au début de son uploads/Sante/ jacques-alain-miller-mercredi-17-decembre-1997.pdf
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- Publié le Dec 17, 2021
- Catégorie Health / Santé
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