RFDA 2003 p. 353 Obligation d'information médicale et responsabilité (1) Nathal
RFDA 2003 p. 353 Obligation d'information médicale et responsabilité (1) Nathalie Albert, Professeur de droit public à l'Université du Maine L'essentiel Imposée par le code de déontologie médicale, accentuée par les juges administratif et judiciaire, et réaffirmée par la loi du 4 mars 2002, l'obligation d'information du patient est devenue particulièrement exigeante pour le médecin. Se féliciter de la plus grande considération accordée aux patients ne doit donc pas conduire à méconnaître les inconvénients, sinon les dangers, de cette évolution. Le caractère très subjectif des principes qui délimitent cette obligation la rendent en effet difficile à apprécier pour le juge comme pour le médecin, et délicate à appréhender pour le malade. Trop informer peut fragiliser, trop « judiciariser » peut ternir la relation médicale. Le mieux est parfois l'ennemi du bien. Telle est parfois la sourde impression laissée par l'évolution jurisprudentielle qui a marqué le domaine de l'obligation d'information médicale, au risque d'accroître, au-delà du raisonnable, les responsabilités déjà lourdes pesant sur le corps médical (2). La progression de l'obligation d'information médicale est le reflet des transformations qui ont marqué la relation entre le patient et le médecin. Celui-ci « a cessé d'être un devin pour devenir un ingénieur. Et tout naturellement (...), les hommes ont rapidement cessé de s'étonner de ses pouvoirs pour seulement se plaindre qu'ils soient encore trop peu étendus, trop imparfaits » (3). Cette quête d'une médecine irréprochable, et la tendance à judiciariser le débat lorsqu'elle révèle des défaillances pourtant impondérables, se sont logiquement prolongées sur le terrain de l'information due à ceux qui placent leur santé, et parfois leur vie, entre les mains des praticiens. Le médecin dont le pouvoir se trouve mutatis mutandis désacralisé ne peut plus décider seul : à lui d'expliquer les tenants et aboutissants des traitements préconisés, voire de s'expliquer quand les choix thérapeutiques ne seront pas couronnés de succès. Ce devoir d'information du médecin ne peut, bien évidemment, pas être contesté dans son principe. Il faut en effet se féliciter que l'heure soit désormais au dialogue et non plus à l'intolérable « impérialisme médical », hier encore trop prompt à reléguer le patient au rang de profane avec lequel tout dialogue serait, sinon vain, du moins de peu d'utilité. Il n'est pas davantage chose nouvelle, tant il est « au coeur du contrat médical en droit privé, au coeur des devoirs du service public hospitalier en droit administratif » (4). Mais les mutations qui ont affecté la conception même de cette obligation sont réelles et n'ont de cesse d'inquiéter un corps médical conscient de ce que l'on attend toujours plus de lui, quitte à parfois en exiger trop... L'obligation d'information médicale est en effet omniprésente, tant dans la littérature médicale que dans les textes. Ici, le code de déontologie impose au médecin de délivrer à ses patients une information « loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il propose » (art. 35) (5). Là, le code de la santé publique prescrit non seulement aux établissements de santé, publics ou privés, de communiquer, sur leur demande, les informations contenues dans leur dossier médical aux malades, mais leur impose au surplus de fournir à ceux-ci un livret d'accueil dans lequel le devoir d'information se trouve réaffirmé au travers de la charte du patient hospitalisé (6). Là encore, la portée d'une telle obligation est renforcée, à l'instar de la législation sur le prélèvement d'organes qui impose que le donneur vivant exprime son consentement devant le président du tribunal de grande instance après avoir été informé des risques qu'il encourt et des conséquences éventuelles du prélèvement, ou de celle sur la recherche biomédicale qui exige que le consentement d'une personne s'y prêtant soit précédé d'une information écrite et orale très détaillée (7). De tels principes resteraient néanmoins lettre morte s'il n'étaient sanctionnés par le juge. Même raisonnant dans un cadre différent - les relations contractuelles de droit privé en médecine libérale cédant la place à des relations statutaires de droit public à l'hôpital - il faut de nouveau concéder que l'intérêt des juges judiciaire et administratif pour l'obligation d'information médicale n'est pas en soi une totale nouveauté. Dans son arrêt Teyssier rendu le 28 janvier 1942, la Cour de cassation considérait déjà que l'obligation de recueillir le consentement du patient, « imposée par le respect de la personne humaine », permettait de retenir la responsabilité d'un médecin qui n'avait averti le patient ni de la nature exacte de l'opération qu'il allait subir ni a fortiori de l'existence d'une alternative entre deux méthodes curatives possibles. Cette faute de « conscience médicale » n'était pas davantage inconnue du Conseil d'Etat qui voyait dans le défaut d'information du patient matière à engager la responsabilité de l'hôpital, hormis les cas d'urgence (8). Mais si le principe était acquis, les modalités de sa concrétisation l'étaient moins. Les évolutions jurisprudentielles de ces dernières années ont précisément consisté à faire peser sur le corps médical une obligation d'information non seulement plus pressante dans son contenu, mais aussi plus générale dans son champ d'application. Tout, ou presque, doit être dit au patient au risque que la sentence prenne les allures d'une funeste prédiction, finalement moins éclairante pour lui qu'inhibante quant au choix que l'on voudrait désormais le mettre en mesure de formuler. Ce sont les bienfaits attendus de cette évolution jurisprudentielle qu'il faut ici soumettre à examen. Car la progression incontrôlée de l'obligation d'information médicale n'est pas sans danger, et les contours encore imparfaitement dessinés du droit à réparation afférent à sa violation ne doivent pas dissimuler sa nécessaire limitation. La périlleuse extension de l'obligation d'information comme facteur de responsabilité L'obligation d'information est avant tout conçue comme le moyen d'éviter que le corps médical ne puisse désormais imposer des options thérapeutiques envers et contre la volonté d'un patient qui n'aurait pas été éclairé sur leurs signification et implications. Si le champ d'application de ce devoir imposé au médecin va croissant et se rapproche de l'«obligation de résultat» (9), on comprend qu'il conserve - dans l'intérêt même du patient - quelques atténuations. Leur appréhension apparaît néanmoins de plus en plus restrictive. La progression significative de l'obligation d'information ou le spectre de l'obligation de résultat Il faut encore une fois saluer comme un indéniable progrès le fait que les instances médicales comme le juge aient oeuvré dans le sens de l'effectivité du devoir d'information médicale que la Cour de cassation fonde sur le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine (10). Mais son extension mérite davantage de réserves. L'information légitimement exigée Le devoir d'information du médecin est aujourd'hui conçu de manière large, tant rationae personae que rationae materiae. Il faut en premier lieu relever qu'il fait mutatis mutandis figure d' « obligation partagée » en ce qu'il ne repose pas sur le seul médecin prescripteur mais aussi sur celui qui réalise la prescription (11), et incombe au-delà, sous leur responsabilité, à l'ensemble du personnel soignant. La complexité de certains soins peut, en effet, nécessiter l'intervention de plusieurs médecins et impliquer un échange d'informations qui, s'il faisait défaut, serait susceptible d'engager la responsabilité du praticien défaillant. C'est ce qui résulte d'un arrêt de la Cour de cassation du 28 octobre 1997 aux termes duquel un médecin, qui devait réaliser une opération de la cataracte, a vu sa responsabilité engagée pour n'avoir pas averti l'anesthésiste de ce que le globe oculaire du patient était allongé du fait d'une grande myopie ce qui l'a conduit à utiliser un procédé anesthésique contre-indiqué (12). En second lieu, et s'agissant cette fois des caractères et du contenu de l'information elle-même, le code de déontologie a transposé pour l'essentiel les principes qui avaient antérieurement été dégagés par la jurisprudence pour les résumer en une formule synthétique : elle doit être « loyale, claire et appropriée », et porter tant sur son état que sur les investigations et soins qu'il lui propose (art. 35 c. déont. méd.). Les exigences de clarté et de loyauté se prêtent a priori facilement à l'exégèse. Il s'agit pour le médecin de s'exprimer en des termes accessibles à un patient généralement profane, tout en étant suffisamment précis pour permettre à l'intéressé de donner son consentement (13). Mais, le passage de la théorie à la pratique est ici délicat. Qu'est ce qu'une information claire pour le patient ? Comment s'assurer qu'elle a non seulement été entendue mais encore comprise ? Comment ne pas craindre qu'une vulgarisation excessive n'aboutisse in fine à livrer des données erronées donc de peu d'utilité ? En bref, comment vaincre le sentiment d'« incommunicabilité » (14) qui entoure la relation entre le soignant et le soigné ? Par ailleurs, l'obligation d'information est duale. Elle doit d'abord porter sur l'affection dont souffre l'intéressé et sur son évolution prévisible. Elle doit ensuite concerner la nature des soins proposés, leurs suites normales (en termes de durée d'hospitalisation, de précautions à prendre, de temps de convalescence...), les risques inhérents aux thérapeutiques préconisées et l'existence ou pas d'une alternative thérapeutique. Comme l'explique Pierre Sargos, c'est donc à un véritable « uploads/Sante/ article-obliga-d-x27-information.pdf
Documents similaires










-
39
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 28, 2021
- Catégorie Health / Santé
- Langue French
- Taille du fichier 0.1189MB