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juillet–août 2010 vol. 57 n° 4 Québec Pharmacie 11 www.professionsante.ca AINS et lithium : qu’en est-il au juste ? Depuis son introduction en psychiatrie en 1949, le lithium est devenu un médicament largement utilisé. Cet ion monovalent augmenterait la libération de la sérotonine, d’où son intérêt en tant que modulateur de l’humeur1,2. Nous porterons ici notre attention sur les interactions du lithium avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) les plus courants. Le lithium possède un index thérapeutique étroit et une toxicité peut apparaître à des concentrations très proches de la fenêtre thé- rapeutique3,4. L’impact de cette interaction est majeur puisqu’elle peut entraîner des troubles neurologiques persistants (nausées, confusion, ataxie, stupeur, tremblements, etc.). Elle peut même se produire chez les patients avec une fonction rénale normale3,4. Plusieurs études ont rapporté différentes for- mes de toxicité rénale, telles que des domma- ges tubulo-interstitiels et glomérulaires chez les patients traités par le lithium5. Puisque les AINS sont fréquemment prescrits et que certains d’entre eux sont facilement accessi- bles en vente libre, la vigilance du pharma- cien est de mise. Pharmacocinétique du lithium Puisqu’il s’agit d’un sel, le lithium est distri- bué dans toute l’eau du corps et son élimina- tion est principalement rénale (95-99 %), par filtration glomérulaire (80 %)3,4. Il est réabsorbé au niveau du tubule proximal (avec le Na+) et une quantité significative se diffuserait dans le tubule distal, selon cer- tains auteurs3,4. Le taux d’excrétion du lithium correspond à environ 25 % de la clai- rance à la créatinine. Sa pharmacocinétique est influencée par l’âge, la fonction rénale et les variations pharmacodynamiques indivi- duelles6. Les principaux facteurs précipitant une intoxication sont la déshydratation, la perte excessive de sodium (p. ex., diarrhées, vomissements), l’insuffisance rénale et les interactions médicamenteuses7. Interaction pharmacodynamique lithium/AINS Bien que le mécanisme exact de cette interac- tion demeure inconnu, la théorie la plus répandue est la suivante : l’inhibition de la synthèse des prostaglandines par les AINS provoquerait une diminution de la filtration glomérulaire2,4,6,8. Cela entraînerait une dimi- nution de la perfusion rénale et, par le fait même, une augmentation de la lithémie (25- 50 %)9. En bref, les AINS créent une contrac- tion de l’artère afférente et augmentent la réabsorption du sodium et du lithium4. L’effet de cette interaction varie grandement d’un individu à l’autre, ainsi qu’entre les différents AINS eux-mêmes2,4,6,8. En effet, certains AINS interagissent peu avec le lithium4,6. Indométhacine L’administration de 150 mg d’indométhacine par jour durant sept jours augmente la lithé- mie de plus de 59 % et diminue la clairance du lithium de 31 %7. En 1983, Reimann, Die- ner et Frolich ont étudié l’effet de l’indomé- thacine (50 mg TID) en comparaison avec l’acide acétylsalicylique (AAS) (1000 mg QID) lors d’une coadministration avec le lithium. Ils ont observé une augmentation de la concentration sérique du lithium de 40 % avec l’indométhacine, mais aucune variation n’a été notée avec l’AAS. La littérature médi- cale a aussi montré que l’indométhacine aug- mente la réabsorption de la fraction libre du lithium chez les sujets sains. De plus, il est avancé qu’elle augmenterait la réabsorption tubulaire du lithium au niveau rénal7. Diclofénac L’administration de diclofénac à une dose de 250 mg par jour durant 7 à 10 jours aug- mente la concentration sérique du lithium de 26 % et réduit son élimination de 23 %. Les taux reviennent à la normale après l’arrêt du traitement7. Naproxène L’administration de naproxène à une dose de 750 mg par jour pour une période de 7 à 10 jours augmente la concentration sérique du lithium d’environ 16 %. Par contre, c’est avec cet anti-inflammatoire qu’on remarque le plus de variations interindividuelles7,10. En effet, l’augmentation de la lithémie peut varier entre 0 et 41,6 % en cinq jours, en fonction des individus7,10. Ibuprofène Les études réalisées avec l’ibuprofène à une dose de 1800 mg par jour ont montré une aug- Texte rédigé par Sandra Bélanger, pharma- cienne, et Ève Boulanger, interne en pharmacie, Pharmacie Higgins et Blais, région de Québec. Texte original soumis le 17 avril 2010. Texte final remis le 31 mai 2010. Révision : Geneviève Duperron, B. Pharm., et Élyse Desmeules, B. Pharm. Place aux questions L’inhibition de la synthèse des prostaglandines par les AINS provoquerait une diminution de la filtration glomérulaire. Cela entraînerait une diminution de la perfusion rénale et, ainsi, une augmentation de la lithémie. 12 Québec Pharmacie vol. 57 n° 4 juillet–août 2010 mentation de la concentration sérique de lithium d’environ 34 %. De plus, des varia- tions interindividuelles marquées ont été observées. En effet, des variations de lithémie entre 12 et 66,5 %, pour une période de traite- ment de six jours, étaient accompagnées d’une réduction correspondante de la clairance du lithium7. Puisque cet anti-inflammatoire est en vente libre, le pharmacien a le devoir d’infor- mer ses patients du risque associé à cette inter­ action et d’intervenir au besoin. Célécoxib Une administration de 400 mg BID de célé- coxib augmenterait la concentration sérique de lithium de 99 à 133 %. Cela entraînerait des symptômes de toxicité, tels que confu- sion, nystagmus et anomalies à l’élec- troencéphalogramme4,7,9. On rapporte aussi 18 cas d’élévation de la lithémie à la suite de l’ajout d’un inhibiteur de la COX-29. Sulindac Le sulindac à raison de 300 mg par jour n’aurait pas d’effet significatif sur la lithé- mie, selon une étude réalisée auprès de patients âgés en moyenne de 59 ans4,7,11. Par contre, il existe deux rapports de cas qui signalent une augmentation de la lithémie avec l’ajout de sulindac4,11. D’autres facteurs pourraient expliquer cette variation, notam- ment la déshydratation6. Par ailleurs, l’ad- ministration de sulindac (200 à 400 mg/ jour) a été associée à une réduction tempo- raire de la lithémie chez deux patients10. Le sulindac aurait des effets minimaux sur la clairance du lithium, selon la documenta- tion médicale10. Acide acétylsalicylique (AAS) L’administration d’AAS à raison de 3,9 g par jour durant six jours n’a pas affecté de façon significative la lithémie ni la clairance du lithium. L’AAS diminue de 70 % la prosta- glandine E2 (PGE2), mais ne semble pas diminuer la filtration glomérulaire (aucune explication). À ce jour, il n’y a aucune don- née convaincante selon laquelle l’AAS pour- rait augmenter les taux sériques de lithium de façon significative4,7,11. Conclusion Les antécédents médicaux, la fonction rénale et l’état pathologique sont à prendre en considération avant tout ajout d’AINS chez un patient prenant du lithium de façon chro- nique12. En général, il est fortement conseillé d’éviter cette association, si possible. Par contre, si un AINS doit absolument être uti- lisé, on devrait privilégier le sulindac ou l’AAS. Une surveillance de la lithémie tous les quatre à cinq jours et des symptômes cli- niques du patient est recommandée jusqu’à l’arrêt de l’anti-inflammatoire. Une réduc- tion des doses de lithium peut s’avérer néces- saire dans certains cas. Un rappel au patient des symptômes de toxicité à surveiller est primordial (polyurie, nausées, vomisse- ments, diarrhée, faiblesse, ataxie, tremble- ments, vision trouble, confusion, étourdisse- ments, tinnitus cérébral, etc.)3,11. n Place aux questions Références 1. Rif S. EM. The Na, K-ATPase hypothesis for manic- depression. II. The mechanism of action of lithium. Medical Hypotheses 12, 1983; 269-82. 2. Wilting, I. et coll. Drug-drug interactions as a deter- minant of elevated lithium serum levels in daily clin- ical practice. Bipolar disorders, mai 2005, vol. 7(3); 274-80. 3. Compendium des produits pharmaceutiques 2010. 4. Phelan, K, Mosholder, A, Lu, S. Lithium interaction with the cyclooxygenase 2 inhibitors Rofecoxib et celecoxib and other nonsteroidal anti-inflammatory drugs. J Clin Psychiatry, 2003,64(11); 1328-34. 5. Lepkifker E, Sverdlik A, Iancu I, et coll. Renal insufficiency in long-term lithium treatment, J Clin Psychiatry, 65: 6, June 2004; 850-6. 6. Stein, G. S. Toxic interactions between lithium and non-steroidal anti-inflammatory drugs. Psychological Medicine, 1988, 18; 535-43. 7. Ragheb, Mohamed. The clinical significance of lith- ium-nonsteroidal anti-inflammatory drug inter- actions. J Clin psychopharmacol, octobre 1990, vol.10 (5); 350-4. 8. Wilting I, Movig KLL, Moolenaar M, et coll. Drug- drug interactions as a determinant of elevated lith- ium serum levels in daily clinical practice. Bipolar dis- orders 2005, vol. 7; 274-80. 9. Letters to the editors. A life-threatening interaction between lithium and celecoxib. J Clin Pharmacol, 2003, S5; 413-6. 10. Hansten and Horn. Drug interactions analysis and management, 1997; 365-72. 11. Monji, A, et coll. Interactions between lithium and non-steroidal anti-inflammatory drugs. Clinical neuropharmacology, 2002, vol. 25(5); 241-2. 12. Burton D. R. Renal toxicity of lithium. (Mise à jour en ligne, consultée le 20 janvier 2007.) www.uptodate.com Question de formation continue Veuillez reporter votre réponse dans le formulaire de la page 70  2) Parmi les énoncés suivants, lequel est faux ? A. Les principaux facteurs précipitant une intoxication avec du lithium sont la déshydratation, la perte excessive de sodium, l’insuffisance rénale et les interac- tions médicamenteuses. B. Le mécanisme exact de l’interaction entre le lithium et les AINS est connu depuis longtemps et facilite la gestion de celle-ci. C. Lors de la prescription d’un AINS associé au lithium, une surveillance de la lithémie tous les quatre à cinq jours et uploads/Sante/ ains-et-lithium.pdf

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  • Publié le Sep 02, 2021
  • Catégorie Health / Santé
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