VERS UNE ESTHÉTIQUE ENVIRONNEMENTALE : LE TOURNANT PRAGMATISTE Nathalie Blanc,

VERS UNE ESTHÉTIQUE ENVIRONNEMENTALE : LE TOURNANT PRAGMATISTE Nathalie Blanc, Jacques Lolive EDP Sciences | « Natures Sciences Sociétés » 2009/3 Vol. 17 | pages 285 à 292 ISSN 1240-1307 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2009-3-page-285.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour EDP Sciences. © EDP Sciences. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © EDP Sciences | Téléchargé le 07/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 179.183.47.217) © EDP Sciences | Téléchargé le 07/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 179.183.47.217) Natures Sciences Sociétés 17, 285-292 (2009) © NSS-Dialogues, EDP Sciences 2009 DOI: 10.1051/nss/2009045 Disponible en ligne sur : www.nss-journal.org N a t u r e s Sciences Sociétés Actualités de la recherche Vers une esthétique environnementale : le tournant pragmatiste Nathalie Blanc1, Jacques Lolive2 1 Géographe, CNRS, UMR7533 LADYSS, Université Paris 7, UFR GHSS, Case 7001, Les Olympiades, Immeuble Montréal, 105 rue de Tolbiac, 75013 Paris, France 2 Politiste et aménageur, CNRS, UMR PACTE, Université Joseph-Fourier (Grenoble 1), Institut d’études politiques, BP 48, 38040 Grenoble cedex 9, France L’idée d’une approche par l’esthétique de la question de l’environnement a encore à peine pris pied en France, alors qu’elle a une longue histoire au niveau international. C’est pourquoi le projet de recherche Environnement, engagement esthétique et espace public a été lancé en février 2004. La mise en forme de la problématique générale de ce projet a été suivie, en 2006, d’un séminaire (Blanc et Lolive, 2007) destiné à préparer un colloque international, qui s’est tenu en mai 20071. Les raisons du projet Face aux enjeux contemporains de l’environnement, les recherches en sciences sociales et humaines peinent à trouver leur véritable place et à obtenir la pleine légitimité à laquelle elles peuvent prétendre. Les questions soule- vées sont bien considérées comme porteuses d’enjeux de société, mais ces derniers sont réduits à des mesures d’amé- nagement à la marge et d’organisation, sous contrainte du modèle de développement. De ce fait, les sciences sociales et humaines sont cantonnées à examiner la façon Auteur correspondant : N. Blanc, nathali.blanc@wanadoo.fr 1 Ce colloque a été financé dans le cadre du programme Paysages et développement durable du ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire. L’ouvrage de Nathalie Blanc, Vers une esthétique environnementale (2008, Versailles, Quæ), participe de la réflexion. Un dossier sur le thème de la restauration écologique est en cours de publication dans la revue Cybergeo. NB : certains passages de ce texte sont repris dans le numéro thématique Paysages, espaces culturels, écologie de la revue d’art canadienne RACAR, qui paraîtra en 2009 en versions imprimée et électronique. dont les mesures prises sont socialement acceptées, voire comment les rendre socialement acceptables. En raison de son caractère extrêmement restrictif, cette vision des choses nous éloigne de la transformation radicale des modes de vie qui s’impose. En effet, à travers les pro- blèmes d’environnement, la question qui se pose n’est rien moins que celle de l’« habitabilité » des milieux de vie. On est bien là face à une démarche écologique, telle qu’elle doit être conçue quand elle s’applique à l’homme, c’est-à-dire quand elle prend une dimension anthropo- logique. C’est à une anthropologie de l’habiter que se ramène in fine la question environnementale. C’est donc dans cette perspective que s’inscrit le projet. Cela explique la place donnée à l’esthétique, qui y est considérée sous trois angles : celui de l’esthétisation de l’espace public ; celui de l’« art écologique », qui transforme les relations entre les arts, la recherche et l’éthique, pour associer les fonctionnements écologiques, symboliques et esthétiques ; enfin, celui des mobilisations associatives, qui utilisent la thématique esthétique pour justifier leur combat. Que faut-il entendre par esthétique environnementale ? Ce choix renvoie à une conception de l’esthétique qui se démarque de celle qu’il est courant de trouver dans la littérature philosophique. En effet, ce qui est en cause ici n’a rien à voir avec le domaine spécialisé de la philoso- phie qui porte ce nom. Il ne s’agit ni de philosophie de l’art, ni de philosophie du beau, ni de théorie du goût. Référence est faite à un courant de recherche qui se dé- veloppe actuellement dans le monde anglo-saxon autour Article published by EDP Sciences and available at http://www.nss-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/nss/2009045 © EDP Sciences | Téléchargé le 07/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 179.183.47.217) © EDP Sciences | Téléchargé le 07/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 179.183.47.217) 286 N. Blanc et J. Lolive : Natures Sciences Sociétés 17, 285-292 (2009) de la notion d’« esthétique environnementale » (Berleant, 1992 ; Carlson, 2000 ; Brady, 2003). Les chercheurs qui s’y rattachent entendent dépasser les références aux œuvres d’art et au paysage, qui constituaient le cadre exclusif des réflexions esthétiques, pour accorder une place privilégiée à l’expérience esthétique de la nature et des environne- ments quotidiens. Pour la philosophe Emily Brady (2007, p. 64) : « [Ce nouveau courant] reconnaît que les environnements naturels ne sont pas essentiellement éprouvés comme des paysages mais plutôt comme des environnements au sein desquels le sujet esthétique apprécie la nature comme dyna- mique, changeante et en évolution. Il s’agit d’une approche esthétique qui, selon ses différentes formes, puise ses racines dans la connaissance écologique, l’imagination, l’émotion et une nouvelle compréhension de la nature comme porteuse de son propre récit. » Ce qui est affirmé ici, c’est donc que parler de per- ception esthétique ne vaut pas que pour l’art ou les monuments culturels : il existe aussi une appréhension esthétique commune de l’environnement. Et, point fonda- mental, c’est elle qui constitue la base d’une appréhension riche de sens des milieux de vie et, par extension, de l’environnement. Cette ouverture vers une conception populaire et dé- cloisonnée de l’esthétique renvoie à la philosophie de John Dewey (1934). Cet auteur s’oppose à la « conception muséale de l’art », qui sépare l’esthétique de la vie vécue pour la cantonner dans un domaine à part, loin des pré- occupations des hommes et des femmes ordinaires. Cette « conception ésotérique des beaux-arts » s’appuie sur la sa- cralisation des objets d’art confinés dans les musées et les collections privées. Pour Dewey, l’expérience esthétique déborde le domaine des beaux-arts et peut se produire dans des domaines variés, scientifiques, philosophiques ou dans la vie de tous les jours. L’intégration de la vie et de l’art, l’une dans l’autre, les enrichit mutuellement. Arnold Berleant (1991 et 1992), quant à lui, dans deux de ses ouvrages, élargit l’expérience esthétique à l’ap- préhension de l’environnement. Il s’agit de transformer l’observation distante et essentiellement visuelle de l’en- vironnement en une immersion sensorielle globale dans l’environnement. L’esthétique de l’engagement de Ber- leant valorise l’activité plutôt que la passivité, l’implica- tion plutôt que la mise à distance, le caractère situé de l’expérience vécue (la situation) plutôt que le détachement et le désintéressement. Berleant introduit une perspective qui porte bien sur un objet (l’environnement physique), mais qui part du sujet. L’expérience individuelle de ce dernier (ses émotions, ses valeurs, ses croyances) devient aussi importante que l’objet de l’attention esthétique. L’expérience esthétique est un processus d’apprentissage essentiel, d’adaptation créative à son environnement : c’est un processus d’« environnementalisation »2. 2 Il est à noter qu’il est possible de reprendre les réflexions de Berleant sans accepter pour autant l’injonction d’adaptation Les postures des adeptes de ce champ de l’esthétique environnementale sont diverses : certaines, discursives, rendent plutôt compte d’une philosophie ; d’autres sont di- rectement en prise avec le champ de l’action artistique ou aménagiste. Cette conception renouvelée de l’esthétique permet notamment de repenser le rôle des artistes et des autres acteurs de l’esthétique (architectes, paysagistes...) dans les mobilisations paysagères et urbaines. Une posture inspirée du pragmatisme Les auteurs américains qui s’inscrivent dans le courant de l’esthétique environnementale ont une filiation directe avec le pragmatisme. Ce tournant majeur de la pensée philosophique américaine, né à la charnière du XIXe et du XXe siècles, prend la valeur pratique comme critère de la vérité et considère qu’il n’y a pas de vérité absolue et que n’est vrai que ce qui réussit. William James (1842- 1910), dans son ouvrage Pragmatism (James, 1907)3, a fait la synthèse de ses principes de base les plus typiques4. Il développe en particulier une théorie de la vérité, de- meurée célèbre, qui lie celle-ci à la mise en œuvre du processus même de sa « vérification » : « La vérité arrive à une idée. Elle devient vraie, elle est rendue vraie par les événements. ». Le programme de recherche Environne- ment, engagement esthétique et espace public, par son souci de uploads/Science et Technologie/ nss-173-0285.pdf

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