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HAL Id: halshs-00347616 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00347616 Preprint submitted on 16 Dec 2008 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’écriture scientifique Éric Guichard To cite this version: Éric Guichard. L’écriture scientifique : grandeur et misère des technologies de l’internet. 2008. halshs- 00347616 L’écriture scientifique: grandeur et misère des technologies de l’intellect Éric Guichard∗ 14 décembre 2008 Une version initiale de ce texte a été publiée dans les actes du colloque international «L’Internet : Espace public et Enjeux de connaissance», que le Collège International de Philosophie a organisé les 20 et 21 janvier 2006 à Paris. Ces actes ont été réunis sous le titre L’Internet, entre savoirs, espaces publics et monopoles (éd. et revue Sens-public, nos 7–8, 2008, Lyon ; pages 53–79 pour cet article). Ce document électronique constitue la version amendée et de référence du texte imprimé, et donc de ma contribution à ces actes. Une table des matières est disponible après la bibliographie. Résumé Je m’intéresse à une technique particulière, l’écriture, renouvelée depuis quelques décennies par l’informatique et l’internet, et j’explique comment les scientifiques1, après l’avoir adaptée à leurs besoins, se retrouvent pris en otages par la doxa de la culture et l’industrie de l’écriture. J’aborde enfin les enjeux épistémologiques sous- jacents à une telle situation. 1 Technique et pensée Au stade actuel de mes recherches, il m’apparaît qu’il existe d’étroites correspon- dances entre technique, pensée, écriture —l’informatique et l’internet constituant des actualisations de cette dernière. Si quelques épistémologues et anthropologues ont déjà précisé ces relations (Malinowski, Goody, Latour...), leurs travaux sont peu connus et la technique est presque systématiquement présentée comme un appareillage neutre, d’appropriation aisée —c’est flagrant avec l’internet—, sinon comme une servante de la pensée et de la création. L’étrange est que de tels discours sont partagés par les publicitaires, les ingénieurs, les politiques et les universitaires. ∗Maître de conférences à l’ENSSIB, responsable de l’équipe Réseaux, Savoirs & Territoires de l’École normale supérieure. 1Ma définition des scientifiques est large : je ne distingue pas les sciences dites exactes des sciences dites humaines, la mathématique de la physique, etc. 1 1.1 L’univers sémantique de la technique La consultation d’un dictionnaire témoigne d’une large palette de nuances at- tachées au mot «technique» : le Trésor de la Langue Française informatisé2 décrit d’abord la technique comme un «ensemble des procédés propres à une activité et per- mettant d’obtenir un résultat concret», un «ensemble de procédés méthodiques repo- sant sur des connaissances scientifiques et permettant des réalisations concrètes», puis comme l’«ensemble des procédés individuels propres à une personne, en particulier à un artiste». Ainsi la définition de la technique oscille entre un savoir-faire pratique qui peut résulter d’une découverte scientifique, mais qui ne relève pas de la science, et l’é- ventail des savoirs qui caractérisent cette dernière ; entre l’application artisanale ou mécanique, opposée au génie créateur, et l’ensemble des singularités qui permettent de distinguer l’artiste des autres mortels. L’adjectif «technique» concentre plus le sens commun que le substantif : «qui concerne les applications de la science, de la connaissance scientifique ou théorique, dans les réalisations pratiques, les productions industrielles et économiques... Qui concerne le fonctionnement d’un appareil ou d’une installation, un processus ou un mécanisme. Qui relève d’une activité ou d’une discipline spécialisée, et suppose des connaissances spécifiques». Cet univers sémantique plus stable que celui du substantif renvoie principalement à des méthodes, des compétences artisanales, non originales, éventuellement automatisables. Ici, l’industrie supplante l’art. La définition du technicien peut-elle nous éclairer ? Lui aussi peut être hors norme : Valéry voit Shakespeare «comme un praticien ou technicien arrivé à un certain point de la connaissance de son spectateur»3. Sinon, c’est un «agent qui appartient à la catégorie se situant entre celle des ouvriers qualifiés et celle des ingénieurs». Nous reconnaissons là l’emprise de l’adjectif «technique». Ainsi, la variété de sens attachée au substantif «technique» permet de le relier à la pensée et à la création, quand l’adjectif brise cette association. Au final, est technique ce qui n’est ni intellectuel ni artistique. Ces us langagiers s’inscrivent dans l’histoire longue : au moins jusqu’à leur quatrième édition, les dictionnaires de l’Académie Française ont exclu toute référence à la technique. Le discrédit que subit aujourd’hui la technique garde donc la trace de bien anciens choix politiques. C’est peut-être pour rompre avec ce passé rigide que la langue adopte le mot «tech- nologie» pour évoquer une technique complexe et fascinante ; pour dire à quel point elle nous domine, nous insisterons sur sa nouveauté et lui offrirons le genre pluriel : les «nouvelles technologies». Le référentiel est là aussi l’industrie (on n’évoque jamais la technologie d’un chef d’orchestre ou d’une poétesse). Revanche de la technique ? Émancipation de la pensée américaine face au carcan de l’Europe d’antan ? Ou plutôt victoire de la foi sur la raison scientifique ? Une expression journalistique telle que «La Vallée du Silicium, cette Mecque de la technologie de pointe»4 condense bien les caractéristiques irrationnelles, magiques, religieuses, que les médias attribuent de plus en plus fréquemment à la technique ou aux nouvelles technologies. On retrouve le 2http://atilf.atilf.fr 3Source : toujours le TLFi. Pour retrouver l’URL qui donne la définition d’un mot, un détour par un site voisin s’impose : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/XXX pour le mot XXX. Ex. : http: //www.cnrtl.fr/lexicographie/technique pour le mot technique. 4L’Express, 29 mai 1981, p. 156, col. 3. Citation : entrée technologie du TLFi, Cf. note 3. 2 dualisme que soulignait déjà Simondon : la technique reste méprisable ou devient ad- mirable5 quand elle est technologie, mais n’est jamais imaginée sur un plan identique à celui des humains [1] : nulle passerelle entre ces derniers et ce qu’ils fabriquent6. 1.2 Idéologie et culture Ainsi l’ordre de la langue, parce qu’il transpire certaines «volontés de vérité» [2] du passé, escamote certains ponts entre pensée et technique. On comprend alors que l’ordinateur soit présenté comme un objet technique ba- nal, alors que toute personne ayant envie de comprendre un minimum cette machine se retrouve vite au contact de dizaines de scientifiques. Il y a tout d’abord un effet de la publicité qui profite de la doxa opposant technique et pensée : les ordinateurs ne se vendraient pas s’ils étaient accompagnés de la mention «Attention, écriture électro- nique ! Réservé aux génies et aux érudits». Et l’affirmation de cette neutralité de l’in- formatique va jusqu’à son occultation quand on évoque l’internet, cette «chose» [3] dont on dit qu’elle est à la fois matérielle et sociale, en oubliant qu’elle fonctionne avec des ordinateurs. La réclame marchande s’accorde avec les préjugés normatifs des académiciens de Louis XIV, et avec les représentations qui en découlent : par exemple, jusqu’aux années 1980, les élèves des Écoles normales supérieures qui se destinaient aux mathé- matiques se concevaient comme de purs penseurs, éventuellement assistés de crayons et de gomme, et méprisaient souverainement les ordinateurs. On retrouvera une atti- tude comparable au tournant du XXIe siècle chez nombre d’universitaires «littéraires», fiers de leur érudition, qui snoberont les informaticiens, leurs listes de nombres et leurs cartes7. Nous pouvons interpréter les réactions des uns et des autres comme celles d’héritiers potentiels : ils avaient compris comment la machine éducative française renvoyait graduellement vers les professions «techniques» ceux qui ne manifestaient pas très tôt d’aptitude pour la conceptualisation et pour un certain type de culture. Mais ils étaient aussi prisonniers des discours communs sur la technique. Ainsi les commerçants comme les universitaires voient-ils souvent l’ordinateur comme un objet technique aussi banal que la voiture ou le lave-linge. Une telle conver- gence des discours met en évidence une idéologie8. Reste à savoir jusqu’à quel point nos fabricants de représentations sont conscients des falsifications qu’ils opèrent. Quand nous abordons ces représentations relatives à la technique et à la pensée, puis à la science, nous subissons les effets d’une culture, qui s’incorpore dans un habitus —d’autant plus difficile à cerner que ceux-là même qui ont pour tâche de tracer les frontières entre ces trois catégories en sont partie prenante : ils renforcent leur légitimé en publicisant leurs approches théoriques ou leur érudition et n’ont aucun intérêt à s’assumer comme techniciens. 5Et menaçante, ou émancipatrice, les deux positions étant possibles pour une même personne, suivant les enjeux évoqués. 6Cette situation française est aussi répandue en d’autres pays européens (Allemagne, Italie...). 7Avec, en face, une minorité de chercheurs perspicaces qui sauront, en s’appuyant sur l’écriture électro- nique, acquérir des positions clé. 8Définition du TLFi : «Ensemble plus ou moins cohérent des idées, des croyances et des doctrines philo- sophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une classe et qui oriente l’action». 3 La culture, c’est avant tout l’ensemble des choses uploads/Science et Technologie/ ciph2006-guichard.pdf
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- Publié le Mar 04, 2021
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
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