Revue de l’histoire des religions 2 (2008) La mort et l'émotion. Attitudes anti
Revue de l’histoire des religions 2 (2008) La mort et l'émotion. Attitudes antiques ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Youri Volokhine Tristesse rituelle et lamentations funéraires en Egypte ancienne ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Youri Volokhine, « Tristesse rituelle et lamentations funéraires en Egypte ancienne », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 01 avril 2011, consulté le 11 octobre 2012. URL : http:// rhr.revues.org/6043 Éditeur : Armand Colin http://rhr.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://rhr.revues.org/6043 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. T ous droits réservés Revue de l’histoire des religions, 225 - 2/2008, p. 163 à 197 YOURI VOLOKHINE Université de Genève Tristesse rituelle et lamentations funéraires en Égypte ancienne Dans la culture de l’Égypte ancienne, les rites de deuil sont associés à un ensemble de manifestations émotionnelles exécutées en public. Ces émotions ritualisées impliquent non seulement l’ensemble des participants aux rites funéraires, mais encore plus particulièrement le groupe des « pleureuses ». Différentes manifestations d’affliction sont à observer : postures et paroles de tristesse, ou démonstrations bruyantes (pleurs et cris) et organisées. Plusieurs exemples concernant les cérémonies privées et aussi les rites de deuil collectif sont examinés ici. Le modèle de la réso- lution symbolique et rituelle de l’expérience du deuil fourni par le mythe osirien, ainsi que la déploration rituelle d’Osiris, est également discuté. Ritual expressions of sadness and weeping in ancient Egyptian mourning In ancient Egyptian culture, mourning rites are associated with public expressions of emotions. These ritualized emotional manifestations concern the participants of the funerary rites as a whole, but even more specifically the feminine group of “weepers”. Among this group, some distinctive expressions of affliction can be observed: attitudes of sadness supported by particular words, or noisy and clearly organized demonstrative weeps and screams. In the present article, a choice of examples chosen among private ceremonies are examined and put in contrast with collective mourning rites. The symbolic and ritual model proposed in this context by the Osirian myth, as well as the ritual lament of this god, shall also be taken into account. 164 YOURI VOLOKHINE Au terme de sa célèbre étude sur la « représentation collective de la mort », Robert Hertz décrivait le deuil comme étant « à l’origine la participation nécessaire des survivants à l’état mortuaire de leur parent ; il dure aussi longtemps que cet état lui-même »1. Cette « participation nécessaire », pertinemment soulignée par le jeune sociologue, est universellement au cœur de la ritualité de la mort. Une ritualité qui consiste en une « mise en scène » (autant qu’en une « mise en sens »). Pour Patrick Baudry, la ritualité funéraire – à l’instar de toute ritualité – pose d’emblée un écart avec « soi- même ». On « fait du rite », on théâtralise, c’est-à-dire que l’on adopte un comportement scénographié et prescrit. Dès lors, la question se pose de savoir si la ritualité funéraire n’est « essentiellement qu’une affaire de gestualité et de mots mis autour »2. Une théâtralité de la douleur, donc, à laquelle toute culture donne une coloration parti- culière. Cette ritualité de la mort implique partout un engagement physique de la communauté des participants, les « deuillants » : cris, pleurs, démonstrations gestuelles expansives ou au contraire postures d’abattement, tristesse contenue, muette, ou exprimée ; elle implique aussi des modèles, des mythes qui fondent l’expérience de la mort, de la perte, de la disparition et de sa résolution symbolique. Une « mise en sens » que je propose ici d’aborder dans le cadre de la culture de l’Égypte ancienne. ÉMOTIONS ÉGYPTIENNES En Égypte ancienne, le deuil se présente d’emblée comme un comportement socialement prescrit impliquant des états émotionnels. L’accès à la constituante émotionnelle de cette expérience pose – tout comme dans d’autres cultures disparues – différentes difficultés découlant en premier lieu de la nature lacunaire de la documentation. 1. Robert Hertz, « Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort », Année sociologique X, 1907, texte repris dans Sociologie religieuse et folklore, Paris, 1928. 2. Patrick Baudry, La place des morts. Enjeux et rites, L’Harmattan, Paris, 2006, p. 32-33. TRISTESSE RITUELLE ET LAMENTATIONS FUNÉRAIRES 165 Nonobstant cette difficulté documentaire plusieurs études ont montré que certains points d’une « émotivité » égyptienne pouvaient être mis en lumière3. D’une façon générale, en ce qui concerne la question des émotions, il convient de s’interroger sur les possibles définitions égyptiennes d’une intériorité émotionnelle4, une approche qui passe notamment par la compréhension de la notion « d’intérieur-jb » (vocable traduit aussi par « cœur »), un organe qui constituait le « fors de l’homme »5 et qui pourrait être considéré comme le siège des émotions. D’autre part, il faut constater qu’en Égypte pharaonique l’expression des émotions est soumise à des règles spécialement contraignantes. Au sein d’une société du « regard mutuel »6 (compa- rable à cet égard à celle de la Grèce antique analysée par Jean-Pierre Vernant), l’Égyptien se définit d’abord par rapport à sa position sociale ; il en découle que l’expression des sentiments intimes ne trouve pas de place dans le genre dit « autobiographique », pourtant traditionnellement réservé à la présentation de l’individu7. En 3. Il n’existe pas de monographie générale sur les émotions et l’expression des sentiments en Égypte ancienne ; cf. Brigitte Altenmüller, s.v. « Gefühls- bewegungen », Lexikon der Ägyptologie II, Harrassowitz, Wiesbaden, 1977, col. 508-510. 4. Jan Assmann, s.v. «Persönlichkeitsbegriff und -bewusstsein», Lexikon des Ägyptologie IV, 1982, col. 963-978. 5. Concept clé dont la compréhension est déterminante pour aborder le thème des émotions, que celui du « coeur-jb », vocable désignant en égyptien le siège des émotions, l’homme intérieur : voir Jan Assmann, «Zur Geschichte des Herzen im Alten Ägypten», in Die Erfindung des Inneren Menschen, Studien zum Verstehen fremder Religionen 6, J. Assmann et T. Sundermeier éds., Gütersloh, 1993, p. 81-113 ; rappel de la bibliographie essentielle par H. Brunner, s.v. «Herz», Lexikon der Ägyptolgie II, 1977, col. 1158-1167 ; l’étude de Alexandre Piankoff, Le «cœur» dans les textes égyptiens depuis l’Ancien Empire jusqu’à la fin du Nouvel Empire, Geuthner, Paris, 1930 fournit des références utiles, mais est datée. Sur le statut physique du jb, cf. les lignes éclairantes de Thierry Bardinet, Les papyrus médicaux de l’Égypte pharaonique, Fayard, Paris, 1995, p. 68-80. 6. Baudoin Van de Walle, «Le sens et la vertu du regard dans la mentalité égyptienne», Mélanges offerts à Jean Vercoutter, Paris, 1985, p. 365-374. 7. Je signale ici quelques études générales sur le vocabulaire des textes autobiographiques dans lesquelles l’on trouvera de nombreuses expressions liées aux émotions : Jozef Janssen, De Traditioneele Egyptische Autobiografie voor het Nieuwe Rijk, 2 vol., Leiden, 1946 ; Denise M. Doxey, Egyptian non- royal epithets in the Middle Kingdom. A Social and Historical Analysis, Probleme 166 YOURI VOLOKHINE revanche, les Égyptiens ont soigneusement codifié les cadres narratifs et iconographiques dans lesquels s’expriment les émotions dites « de base » (colère, peur, surprise, dégoût, joie, tristesse), tout en ne connaissant aucun terme générique pour le concept « d’émotion ». Les scènes de guerre, par exemple, illustrent par le texte et l’image différentes configurations de la peur8, tandis que les textes littéraires présentent à maintes reprises des situations émotionnelles intenses9. On a pu mettre en relation des émotions telles que décrites par les textes et telles qu’attestées par l’iconographie10, ou s’intéresser, par exemple, au champ sémantique de verbes comme « rire » ou « pleurer »11. Une configuration intéressante, où sources textuelles et iconographiques se croisent, se rencontre tout particulièrement dans le cadre funéraire, au sein duquel la ritualisation des émotions s’exprime de plusieurs manières. On y observe l’existence de jeux liturgiques, exprimés dans les textes et les images, et de comporte- ments rituellement prescrits (paroles et gestes), donnant une forme 8. Jan Zandee, Death as an Enemy, according to Ancient Egyptian Concep- tions, Brill, Leiden, 1960. Voir la notice très riche de Jan Assmann, s.v. Furcht, Lexikon der Ägyptologie II, 1977, col. 359-367. Pas d’études systématiques sur le sujet, si ce n’est Y. Zaniolo de Vazquez-Presedo, Elemente des Schreckens im Alten Ägypten, Diss. Göttingen, 1958 (cité par Assmann). 9. Sur l’expression littéraire du sentiment amoureux : Bernard Mathieu, La poésie amoureuse de l’Égypte ancienne, Bibliothèque d’Étude de l’IFAO 115, Le Caire, 1996. 10. V. A. Donohue, « A gesture of uploads/Religion/ tristesse-rituelle-et-lamentations-funeraires-en-egypte-ancienne.pdf
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- Publié le Oct 07, 2022
- Catégorie Religion
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