Saint-Junien, un bastion anarchiste en Haute-Vienne (1893-1923) par Christian D
Saint-Junien, un bastion anarchiste en Haute-Vienne (1893-1923) par Christian Dupuy Christian Dupuy nous livre ici un résumé de son passionnant ouvrage publié en 2003 et dont nous avons parlé dans la rubrique « Parutions » . Il a été impossible à l’auteur d’annoter précisément son article, mais toutes les références sont bien évidemment vérifiables dans son livre. Pelloutier.net Au tournant du XIXème et du XXème siècle, la petite cité industrielle de Saint-Junien, située dans le département de la Haute-Vienne à une trentaine de kilomètres du chef-lieu Limoges, voit émerger un mouvement ouvrier qui en très peu de temps occupe le devant de la scène sociale locale. Si les socialistes de la cité porcelainière tentent d’orchestrer les premiers pas de la résistance ouvrière saint-juniaude, très vite un courant anarchiste autochtone impose à celle-ci ses objectifs et ses méthodes. De 1901 à 1905, la ville vit au rythme des grèves très dures qui se succèdent dans les principales branches de l’industrie. Cette mainmise anarchiste n’est pas sans conséquence sur l’évolution postérieure de la vie politique à Saint-Junien. En 1920 une municipalité communiste s’installe pour de longues décennies. Loin de constituer un épiphénomène, l’apparition et l’affirmation de cette mouvance libertaire s’inscrit dans un processus national entamé depuis le début des années 1890 qui voit une grande majorité des partisans de la théorie anarchiste choisir de lutter dans le cadre des syndicats, désormais perçus par beaucoup comme l’instrument par excellence de la future révolution sociale. A l’aube du XXème siècle, impulsée par la Fédération des Bourses du Travail et son principal dirigeant Fernand Pelloutier pour qui le syndicat doit être « une école pratique d’anarchisme », cette conception domine le mouvement syndical ouvrier français — et contribue à l’unifier —, supplantant celle des partis socialistes qui subordonnent traditionnellement le syndicalisme au politique. La Confédération Générale du Travail (CGT) fondée en 1895 et désireuse de rassembler sur une base révolutionnaire toutes les organisations ouvrières du pays inscrit ainsi la nouvelle orientation dans la réalité. A partir de 1902, la CGT incite la jeunesse ouvrière française à s’organiser au sein de structures éducatives spécifiques. Il s’agit, précise La Voix du Peuple, organe officiel de la Confédération, de « semer la graine révolutionnaire qui, germant sur un terrain bien préparé, fournirait d’ici quelques années une génération qui serait prête à s’approprier tout ce qui lui appartient, c’est-à-dire tout ». C’est justement cette même année que se constitue à Saint-Junien un groupe de jeunes libertaires, dénommé Germinal, qui s’impose immédiatement comme le moteur du mouvement ouvrier local. S’il faut attendre l’année 1904 pour qu’une Jeunesse Syndicaliste réclame officiellement son affiliation auprès du syndicat « adulte » des Cuirs et Peaux de Saint-Junien, il ne fait pas de doute que dès son apparition, et malgré la présence en son sein d’un courant individualiste (nous y reviendrons), le groupe Germinal se veut un organisme de lutte spécifiquement anarcho-syndicaliste. Les autorités publiques de la cité dénombrent une centaine de militants libertaires. Le co-fondateur du groupe, Jean Bourgoin, évoque lui une soixantaine de « fidèles ». Quarante-neuf d’entre eux ont pu être identifié. Cette liste fait ressortir une triple homogénéité à caractère sociologique. Les militants sont jeunes : en 1904, 86% ont entre seize et vingt-six ans. Ils vivent et travaillent tous au sein de la ville. Enfin, une écrasante majorité exerce le métier d’ouvrier gantier. Cette dernière spécificité commande d’évoquer la brutale mutation que connaît le bassin industriel saint-juniaud au cours de la dernière décennie du XIXème siècle. L’orientation idéologique du mouvement ouvrier y trouve, nous semble-t-il, en partie son origine. Mutation et dualisme du paysage industriel Grâce à la fabrication du papier et surtout au travail des cuirs et peaux, Saint-Junien figure au second rang des centres industriels du haut-limousin dès le milieu du XIXème siècle. Malgré la récession économique européenne qui suit, industries papetière, mégissière et gantière connaissent une croissance continue mais toutefois modérée au regard de l’impulsion spectaculaire des années 1890 permise par la reprise économique générale. La seconde révolution industrielle bouleverse le monde artisanal de la papeterie et surtout de la mégisserie qui se mue en secteur à forte concentration de capitaux et de personnel. Deux patrons mégissiers avalent la plupart de leurs concurrents. L’usine fait son apparition à Saint-Junien et entraîne la prolétarisation de l’ouvrier mégissier. A l’inverse, malgré l’introduction de la machine à coudre et la prégnance d’un marché mondial du gant orienté vers une standardisation croissante, le mode de production de la ganterie demeure artisanal. Régie par une gestuelle pluriséculaire, l’étape essentielle du processus de fabrication, la coupe, réclame une main-d’œuvre très qualifiée. Acteurs économiques phares de cette industrie qui emploie mille quatre cents personnes en 1903, trois cent vingt-six gantiers conservent la tradition de l’ouvrier de métier à Saint-Junien. Sans doute traumatisée par le brutal changement des conditions de travail des mégissiers, cette élite ouvrière se porte naturellement à la tête du mouvement ouvrier local dès les premiers pas de celui-ci. Naissance du syndicalisme Corollaire de l’érection des usines en bordure de Vienne, le ressentiment ouvrier se cristallise et trouve son expression dans le syndicalisme. La fondation du syndicat des gantiers, le 10 décembre 1893, ouvre l’ère d’une résistance ouvrière. S’il se fond quelques mois plus tard au sein du syndicat des cuirs et peaux qu’il a contribué à créer, ses membres y demeurent les principaux animateurs. Ce sont quasi-exclusivement des gantiers qui négocient avec les patrons mégissiers à l’occasion d’une grève dans ce secteur en 1894. Les progrès en matière d’effectifs restent très minces : cent adhérents en 1894 ; quarante pour les cuirs et peaux en 1900 et cent la même année pour la chambre syndicale des gantiers qui a repris son autonomie. Il existe par ailleurs depuis 1894 un syndicat des ouvriers en bâtiment qui compte 45 membres en 1900. Le syndicat des ouvriers papetiers ne verra le jour que l’année suivante. La croissance sensible des ouvriers saint-juniauds syndiqués date de 1902, nous y reviendrons. Ce démarrage quantitatif poussif n’empêche toutefois pas le mouvement ouvrier local naissant de faire montre de dynamisme au point d’accueillir en 1895 le IIIème Congrès national des mégissiers et de se déclarer à l’issue de celui-ci pour l’indépendance syndicale et le principe de la grève générale chère à F. Pelloutier. Cette déclaration témoigne de la rapide pénétration du ferment révolutionnaire au sein du principal syndicat ouvrier de la cité. Si aucun document ne fait état de façon claire d’un activisme spécifiquement anarchiste au cours des ces ultimes années du XIXème siècle, un certain nombre d’indices accrédite la thèse de la présence de sympathisants, pour parler prudemment. En 1894, le journal conservateur, L’Abeille de Saint-Junien, dénonce comme anarchistes les fondateurs du syndicat des cuirs et peaux. Il semble toutefois qu’il ne cherche ainsi qu’à discréditer ceux-ci au moment où la vague des attentats anarchistes atteint son paroxysme à Paris. L’existence à Saint-Junien d’un Comité Socialiste Révolutionnaire est autrement révélateur. Perçus par F. Pelloutier comme les « pépinières de l’anarchisme », les groupes allemanistes comptent généralement en leur sein nombre de sympathisants libertaires. En mars 1894, le commissaire de police signale l’adhésion à ce club d’un limonadier anarchisant nouvellement débarqué de Paris. Lors des élections législatives de mai 1898 des feuilles résumant le discours abstentionniste prononcé par Sébastien Faure à Limoges l’année précédente circulent à Saint-Junien. Enfin, en 1899, après une série de meetings dans la cité porcelainière, la conférencière anarchiste parisienne Séraphine Pajaud se rend à Saint-Junien. Ce qui laisse raisonnablement envisager la présence au sein de la petite cité de sympathisants. Le voile se lève définitivement en 1901, date à partir de laquelle nous disposons du Registre des procès verbaux des séances et délibérations de la Chambre syndicale des ouvriers gantiers de Saint-Junien. Ce document offre dès lors une grande lisibilité sur la mainmise progressive des libertaires sur le groupement des gantiers et, partant, sur l’ensemble du mouvement syndical saint-juniaud.En mai 1901, Jacques Rougier, futur membre de Germinal, fait voter le déclenchement de la grève chez un patron gantier. Quelques mois plus tard, à son initiative, on nomme une commission chargée de propagande syndicale à domicile chez les non-syndiqués. En décembre de la même année, Rougier, jusque-là simple adhérent, est élu en compagnie de Pierre Chaillat (autre futur membre de Germinal) au bureau du syndicat. L’accroissement du rôle des militants libertaires est concomitant d’une conscience ouvrière grandissante qui s’exprime dans un mouvement revendicatif d’abord timide puis de forte ampleur qui affecte les principales industries de la ville entre 1901 et 1905. Le secteur de la mégisserie est le premier touché. De brefs conflits parsèment l’année 1901 jusqu’à ce qu’éclate, fin décembre, une grève qui paralyse trois mois durant l’activité de la plus importante fabrique mégissière de la ville (environ 300 grévistes). Le conflit se déroule dans un calme relatif sous la conduite modératrice des deux médiateurs officiels, le délégué de la Fédération des Cuirs et Peaux et le préfet de la Haute-Vienne. Excédés par l’enlisement des négociations et l’essoufflement du mouvement, des jeunes, gantiers pour la plupart, décident d’agir contre l’avis du comité de grève. uploads/Religion/ saint-junien-un-bastion-anarchiste-en-haute-vienne-1893-1923-christian-dupuy.pdf
Documents similaires










-
44
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 17, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
- Taille du fichier 0.2158MB