Revue des Sciences Religieuses La prière cultuelle dans la Grèce ancienne Edoua
Revue des Sciences Religieuses La prière cultuelle dans la Grèce ancienne Edouard des Places Résumé Difficile à isoler de la poésie et de la philosophie, auxquelles appartiennent des formes de prière souvent voisines, sinon identiques, — comme l'hymne ou l'espèce la plus fréquente de celui-ci, le péan, — la prière cultuelle apparaît à l'état élémentaire dans le dithyrambe d'Elis à Dionysos et la « prière des Athéniens » que nous a conservée Marc-Aurèle. Viennent ensuite, du Ve s. av. J. C. au IIe de notre ère, l'hymne à la Mère des dieux, les péans à Asclépios (avec la « prière du matin » de ses prêtres), l'hymne des Curetés à Zeus Dictéen, les hymnes à Isis, ceux de Mésomède à la Nature et au Soleil. Citer ce document / Cite this document : des Places Edouard. La prière cultuelle dans la Grèce ancienne. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 33, fascicule 4, 1959. pp. 343-359; doi : 10.3406/rscir.1959.2234 http://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1959_num_33_4_2234 Document généré le 29/08/2017 LA PRIÈRE CULTUELLE DANS LA GRÈCE ANCIENNE II n'existe pas d'ouvrage d'ensemble sur « la prière dans la Grèce ancienne », et l'étude récente la plus complète reste sans doute celle de K. von Fritz, « Greek Prayers » (1), où l'on trouvera l'indication des principaux travaux antérieurs. La prière cultuelle devrait représenter, sinon à l'état pur, du moins le plus purement, ce qu'a pu être la prière des Grecs à une époque donnée ; mais il n'est pas toujours facile de l'isoler soit de la poésie, soit de la philosophie : sa forme la plus élevée, l'hymne, et l'espèce la plus fréquente de celui-ci, le péan, peuvent appartenir à des œuvres littéraires ; «'est le cas des Péans de Pindare ou de l'hymne d'Aris- tote à la Vertu, de l'hymne de Cléanthe à Zeus. D'autre part, s'il était signé avec certitude, tel péan anonyme relèverait de la littérature, alors que de nombreux hymnes ne sont que versifiés. La répartition des pièces ne va donc pas sans arbitraire (2). De même pour l'ordre chronologique. A se tenir aux documents dont la date peut être fixée, au moins approximativement, on constate que du (1) The Review of Religion, X, 1945-46, p. 5-39. (2) Sur les relations entre prière, charme magique, hymne et le culte en général, cf. Pr. Pfister, «Kultus» (Pauly-Wissowa-Kroll, R.-E., XI, 1922), c. 2155^2158 ; sur l'espèce «péan», qui «n'a jamais atteint, soit pour le fond, soit pour le rythme, un type déterminé et partage avec l'ensemble des chants cultuels l'invocation de la divinité et la demande d'être exaucé», cf. A. v. Blumenthal, « Paian » (ibid., XVHI, 1, 1942), c. 2360. 344 E. DES PLACES vie siècle av. J. C. au ne siècle de notre ère les épithètes et les formules ont peu varié ; les traditions ne se maintiennent nulle part mieux que dans le culte ; le même péan à Asclépios s'est chanté, presque immuable, pendant sept ou huit siècles. Nous partirons des formes élémentaires que sont le dithyrambe d'Élis à Dionysos et la « prière des Athéniens ». Viendront ensuite l'hymne à la Mère des dieux, les péans à Asclépios, l'hymne à Zeus Dictéen, les hymnes à Isis, ceux de Mésomède à la Nature et au Soleil. Enfin, un dernier hymne à Asclépios : la prière du matin. Le dithyrambe d'Élis à Dionysos Chez les philosophes grecs comme chez les poètes de l'âge classique, la prière contient plus d'un élément propre à la prière cultuelle ; de celle-ci l'épiclèse relève essentiellement. C'est à propos de cet appel au dieu que G. van der Leeuw cite et traduit un des plus anciens chants populaires grecs, le dithyrambe des prêtresses de Dionysos à Élis (3) : « Entre, ô divin Dionysos, dans le temple éléen, entre, accompagné des Grâces, dans le temple. Bondis avec ton pied bovin, Noble taureau, noble taureau». 'EI&sîv, -y^pto Atdvoas... "A£ie taûps, açts xaupe. Le commentaire de W. H. Halliday aux Questions grecques de Plutarque, n° 36, où le chant est cité, donne une idée des explications possibles ; aucune n'est certaine (4). Mais déjà ces vers rudimentaires laissent passer le souffle d'une aspiration ardente, et une moniale les comparait naguère au début de l'hymne de Tierce, Nunc sancte nobis Spiritus, « appel aussi impétueux que le chant cultuel des femmes d'Élis : leur évocation passionnée n'exprimait-elle pas inconsciemment, et bien avant sa venue, le désir nostalgique du Pneuma sacré . . . Initiée à un plus haut mystère, l'Ecclesia ne le cède en rien à ses sœurs et devancières païennes, en émotion religieuse, en intensité d'expérience sacrée » (5). (3) G. Van der Leeuw, La Religion dans son essence et ses manifestations, édition française . . . par J. Marty, Paris, 1955, p. 417. Texte de l'Anthologia lyrîca graeca, éd. E. Diehl, 112, fasc. 6, Leipzig, 1&42, p. 44 ; traduction d'A. Thérive (légèrement différente de celle de G. van der Leeuw), Anthologie non classique des anciens poètes grecs, Paris, 1934, p. 122. Of. Fr. Heiler, La Prière, Paris, 1931, p. 177 ; Fr. Schwenn, Gebet und Opfsr, Heidelberg, 1927, p. 8-17. (4) Oxford, 1928, p. 155-159. (5) Aemil. Lcehr, «L'Heure et l'hymne de Tierce» (in La Vie spirituelle, XCVI, janv.-juin 1957, p. 71). LA PRIÈRE CULTUELLE DANS LA GRÈCE ANCIENNE 345 La prière des Athéniens. En sa prose rythmée, la « prière des Athéniens » apporte un autre exemple de chant cultuel élémentaire. « Prière des Athéniens : 'Arrose, arrose, cher Zeus, les champs des Athéniens et leurs plaines'. Ou il ne faut pas prier, ou il faut prier ainsi, avec simplicité et liberté» (Marc-Aurèle, I, 7). Marc-Aurèle mérite bien de la reconnaissance pour nous avoir transmis ce rare exemple d'une prière liturgique athénienne (6). La comparaison serait facile avec les rites agraires des Latins et des peuplades africaines : la pluie est un besoin universel, plus encore dans les pays chauds. Pour Rome, outre les indications de Norden, qui, dès VAntike Kunstprosa, cite la prière dont le père de famille accompagne ses Suovetaurilia pour la maison, les troupeaux, les récoltes (7), on trouvera des spécimens de prières antiques dans le recueil d'Appel (8). La «prière des Athéniens» peut se diviser en cola (9); l'assonance - t w v - 1 co v est celle de la formule d'Eleusis us x 6 s , dont Proclus décrit l'emploi : « Le mariage unit le ciel et la terre ; c'est à eux que les lois athéniennes consacrent les noces ; voilà pourquoi, aux mystères d'Eleusis, on regardait le ciel en criant us, puis la terre, xûs , reconnaissant ipar là qu'ils sont, tels un père et une mère, à l'origine de toute génération » (10). A. Tresp reproduit ce texte à propos du second de ses « Fragments d'auteurs grecs sur le culte », de Cleidémos (cité par Photius et Suidas): «"Tyjç 'Tou, êpithète de Dionysos, quand nous lui sacrifions au temps où le dieu répand la pluie » ; il faut en rapprocher le fr. 26, qu'Athénée (XIV 656 a) nous a gardé du II £ p t 9-uattbv de Philochore : « Dans leurs sacrifices en l'honneur des Saisons, les Athéniens ne rôtissent pas les viandes, ils les font bouillir, en suppliant les déesses d'écarter les chaleurs desséchantes et torrides, pour faire croître la végétation par la modération de la (6) Cf. Wilamowitz, Griechiscïies Lesébuch, I, 2, 6° éd., Berlin, 1926, p. 316, avec la correction xoô ireBîoo (la Plaine, partie arable de l'Attique) pour tc'ov tceBïcdv ; mais l'assonance -tW est en faveur du texte traditionnel; le commentaire (II, 2, 5e éd., Berlin, 1932, p. 196-197) rejette toute influence magique. (7) E. Norden, Die antike Kunstprosa, Leipzig, 1898, I, p. 156 sv. (8) Cf. G, Appel, De Romanorum precationibus (RGVV, VII, 2), Giessen, 1909, nos 40 (Enos Laseg juvate... Enos Marmar juvato...) et 49 (prière diu père de famille lors des Suovetaurilia, d'après Caton l'ancien, De agr., 141. (9) C. E. Norden, Die antike Kunstprosa, I, p. 46 ; Agnostos Theos, 1913, p. 156, n. 1. (10) Proclus, In Timaeum, 293 c (III, p. 176, 24 Diehl). 346 E. DES PLACES température et par les pluies de saison» (11). Tous ces textes s'éclairent grâce au passage où Proelus donne une classification des prières. « Nous distinguons différents genres de prières. D'abord d'après les genres et les espèces des dieux : la prière peut être démiurgique, cathartique, vivifiante. Démiurgique, comme pour la pluie et le vent, car leur apparition doit être rapportée aux dieux démiurges, auxquels, à Athènes, s'adresse la prière des prêtres chargés d'assoupir les vents (EuSdvsjiot); cathartique: on en a des formules écrites dans les temples, pour écarter les maladies contagieuses et toutes infections ; vivifiante : elle s'adresse alors, pour les fruits de la terre, aux meilleurs que nous (aux dieux nos maîtres), auteurs de la naissance des vivants» (12). Pour en finir avec les parallèles de la « prière des Athéniens », rappelons le fragment des Danaides d'Eschyle : « Le Ciel sacré sent le désir de pénétrer la Terre, un désir uploads/Religion/ priere-cultuelle-dans-la-grece-ancienne-pdf.pdf
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- Publié le Jul 21, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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