« Iconoclash » Au-delà de la guerres des images* "The shroud", un film de Alber
« Iconoclash » Au-delà de la guerres des images* "The shroud", un film de Alberto Giglio.** Un iconoclash type Cette image est tirée d'une vidéo. Que signifie-t-elle ? Des hooligans vêtus de rouge, armés de casques et de haches, fracassent la vitre blindée protégeant une précieuse œuvre d'art. Ils frappent furieusement le verre qui vole en éclats, tandis qu'en réponse à ce geste, de profonds cris d'horreur s'élèvent d'une foule qui, si furieuse soit-elle, reste en contrebas impuissante à empêcher le saccage. Encore un cas de vandalisme enregistré par quelque caméra de vidéosurveillance ? Non. De courageux pompiers italiens risquant leur vie, il y a quelques années, dans la cathédrale de Turin pour sauver le précieux Suaire d'un feu dévastateur qui * Traduit de l’anglais par Aude Tincelin. Paru en anglais sous le titre « What is Iconoclash ? or Is there a world beyond the image wars ? » in Bruno Latour and Peter Weibel Iconoclash, Beyond the Image-Wars in Science, Religion and Art, MIT Press, Cambridge, Mass (2002). Introduction au catalogue d’une vaste exposition internationale qui s’est tenue au ZKM de Karlsruhe en 2002, dirigée par Bruno Latour et Peter Weibel. ** VHS couleur, août 2000. Alberto di Giglio audiovisuel : viale Leonardo de Vinci, 83, 00145 Rome, Italie (tel : 039065434671, et e-mail : telo@pelagus.it) 84 Iconoclash-FR 2 provoque les cris d'horreur d'une foule affolée. Equipés d'uniformes rouges et de casques protecteurs, ils tentent de briser à la hache l'épais caisson de vitre blindée construit autour du vénérable Suaire pour le protéger —non pas du vandalisme cette fois-ci, mais de la folle passion des adorateurs et pèlerins qui n'auraient reculé devant rien pour le réduire en pièce et se procurer d'inestimables reliques. Etrange paradoxe : le caisson est si bien protégé des adorateurs qu'il ne peut être mis à l'abri du brasier, sans ce geste apparemment violent de bris de vitre… L'iconoclasme, c'est lorsque l'on sait ce que signifie le geste de destruction et quelles sont les motivations de ce qui apparaît clairement comme un projet de destruction ; l'iconoclash, ou l’iconocrise au contraire, c'est lorsque l'on ne sait pas, que l'on hésite, que l'on est troublé par une action dont il est impossible de savoir, sans indice supplémentaire, si elle est destructrice ou constructive. Cette exposition parle d'iconoclash, pas d'iconoclasme. Pourquoi les images engendrent-elles tant de passion ? « Freud a parfaitement raison d'insister sur le fait que nous avons affaire en Egypte à la première religion monothéiste qu'ait connu l'histoire de l'humanité. C'est ici que s'est opérée pour la première fois la distinction [faite par Akhénaton] qui a attiré sur elle la haine des exclus. C'est depuis lors que la haine existe dans le monde, et le seul moyen de la dépasser est de revenir à ses origines » 1. Aucune citation ne résume plus justement le but d'Iconoclash 2. Ce que nous proposons dans cette exposition et dans ce catalogue est une archéologie de la haine et du fanatisme 3. Pourquoi ? Parce que nous fouillons à la recherche des sources d'une distinction absolue – et non relative – entre le vrai et le faux, entre un monde pur, entièrement vidé de tout intermédiaire d'origine humaine et un monde répugnant composé de médiateurs d'origine humaine, impurs mais fascinants. « Si seulement, disent certains, nous pouvions faire sans les images. Combien supérieur, plus pur, plus rapide serait notre accès à Dieu, à la Nature, à la Vérité, à la Science ». Ce à quoi d'autres voix (les mêmes, parfois) répondent : « Hélas (ou heureusement), nous ne pouvons faire sans les images, sans les intermédiaires, les médiateurs de toutes sortes et de toutes formes, parce que c'est là notre seul accès à Dieu, à la Nature, à la Vérité et à la Science ». C'est ce dilemme que nous voulons documenter, comprendre, voire surmonter. Dans le puissant résumé que Marie- José Mondzain offre de la querelle byzantine de l'image : « La vérité est image, mais il n'y a pas d'image de la vérité » 4. Qu'est-il arrivé qui a fait des images (et par image nous entendons tout signe, 1 Jan Assmann, Moïse l'égyptien, Un essai d'histoire de la mémoire, Paris, Aubier, 2001, p. 283. 2 Commissaire de l’exposition, je n’ai naturellement pas d’autre privilège que de parler en premier en introduisant cette immense catalogue dont les voix sont parfaitement dissonantes. 3 Sur la généalogie des fanatiques et autres Schwärmer, voir le fascinant compte- rendu de Dominique Colas, Le Glaive et le fléau : généalogie du fanatisme et de la société civile, Paris, Grasset (1992), et Olivier Christin, Une révolution symbolique, Paris, Minuit, (1991). 4 Voir son chapitre dans ce catalogue, et Marie-José Mondzain, Image, icône, économie, Les sources byzantines de l'imaginaire contemporain, Paris, Le Seuil, 1996. 84 Iconoclash-FR 3 œuvre d'art, inscription ou peinture servant de médiation pour accéder à autre chose) l'objet de tant de passion ? Au point que leur destruction, leur effacement, leur dégradation ont pu être considérés comme la pierre de touche ultime du bien- fondé d'une foi, d'une science, d'une perspicacité critique, d'une créativité artistique ? Au point où être iconoclaste a pu apparaître, dans les cercles intellectuels, comme le plus haut mérite, comme la plus grande piété ? Comment se fait-il, d’autre part, que ces destructeurs d'images, ces « théoclastes », iconoclastes, « idéoclastes » aient en retour généré une si fabuleuse quantité d'images nouvelles, d'icônes ranimées, de médiateurs revigorés : un plus grand flux médiatique, des idées plus puissantes, des idoles plus fortes ? Comme si défigurer un objet générait immédiatement de nouvelles figures, comme si la défiguration et la « refiguration » étaient nécessairement contemporaines (voir Belting, Powers —toutes les références entre parenthèse désignent les chapitres du catalogue listés en appendice) 5. Même après avoir été endommagée par les Gardes Rouge durant la Révolution Culturelle, la minuscule tête de Bouddha que Pema Konchok offre à notre méditation en vient à prendre un visage nouveau, sarcastique, servile et douloureux... (Voir Konchok.) Et que se passe-t-il qui puisse expliquer qu'après chaque iconocrise, on prenne un soin infini à réassembler les statues détruites, à sauver les fragments et protéger les débris ? Comme s'il était toujours nécessaire de s'excuser pour la destruction de tant de beauté, pour toute cette horreur ; comme si l'on était soudainement incertain du rôle et de la raison de la destruction qui avait semblé jusque-là si urgente, si indispensable ; comme si le destructeur comprenait soudainement que quelque chose d'autre avait été détruit par erreur, quelque chose pour lequel on attendait désormais l'expiation. Le musée n'est-il pas le temple, où s'accomplissent les sacrifices en repentir pour tant de destruction, comme si tout à coup l'on voulait arrêter de détruire et que l'on commençait le culte illimité de la conservation, de la protection et de la réparation ? C'est ce que cette exposition tente de faire : ce capharnaüm d'objets hétérogènes, assemblés, cassés, réparés, rafistolés, redécrits offrent aux visiteurs une méditation sur un ensemble de questions : Pourquoi les images ont-elles attiré tant de haine ? Pourquoi reviennent-elles toujours, quelle que soit la force avec laquelle on cherche à s'en débarrasser ? Pourquoi les marteaux des iconoclastes ont-ils tendance à toujours semblé frapper à côté, détruisant quelque chose d'autre qui s'avère, après coup, d'une extrême importance ? 5 Plusieurs siècles après avoir brûlé des livres et détruit des statues d'une église catholique, Farel, l'iconoclaste de Neuchâtel, fut lui-même honoré par une statue érigée devant l'église désormais dépouillée. Voir l'image et le texte de Léchot dans ce même catalogue. Les exemples les plus frappants de substitution d'une idole par une icône (ou, selon le point de vue, d'une idole par une autre) sont décrits par Serge Gruzinski, La Colonisation de l'imaginaire, Sociétés indigènes et occidentalisation dans le Mexique espagnol, XVI° - XVIII° siècles, Paris, Gallimard, (1988), quand, durant la conquête espagnole du Mexique, les prêtres demandèrent à d'autres prêtres de surveiller les statues de la Vierge Marie à l'endroit même où les « idoles » gisaient fracassées au sol. 84 Iconoclash-FR 4 Comment est-il possible d'aller au-delà de ce cycle de fascination, de répulsion, de destruction, d'expiation engendré par le culte de l'image interdite ? Une exposition sur l'iconoclasme Contrairement à beaucoup d'autres entreprises similaires, il ne s'agit pas d'une exposition iconoclaste, mais sur l'iconoclasme 6. Elle s'efforce de suspendre la soif de destruction des images ; elle exige que nous nous arrêtions un instant, que nous laissions de côté le marteau. Elle prie pour qu'un ange vienne interrompre notre bras sacrificiel armé du couteau sacrificiel, prêt à couper la gorge de l'agneau sacrificiel. Elle tente de retourner, d'envelopper, de sceller le culte de la destruction des images ; de lui donner un foyer, un emplacement, un espace muséal, un lieu de méditation et de surprise. Plutôt qu'un iconoclasme entendu comme méta-langage, régnant en maître sur tous les autres langages, c'est le culte de l'iconoclasme lui-même qui est, à son tour, interrogé et évalué. De ressource, l'iconoclasme se fait topique. Selon les termes proposés par uploads/Religion/ latour-bruno-iconoclash-au-dela-de-la-guerre-des-images.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 17, 2022
- Catégorie Religion
- Langue French
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