Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA Hors-série n°7 (2013)
Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA Hors-série n°7 (2013) Les nouveaux horizons de l'ecclésiologie : du discours clérical à la science du social ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Dominique Iogna-Prat Socialiser la foi. Une esquisse de parcours ecclésial ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Dominique Iogna-Prat, « Socialiser la foi. Une esquisse de parcours ecclésial », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-série n°7 | 2013, mis en ligne le 25 juillet 2013, consulté le 28 juin 2015. URL : http://cem.revues.org/13140 ; DOI : 10.4000/cem.13140 Éditeur : Centre d'études médiévales Saint-Germain d'Auxerre http://cem.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://cem.revues.org/13140 Document généré automatiquement le 28 juin 2015. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'édition papier. © T ous droits réservés Socialiser la foi. Une esquisse de parcours ecclésial 2 Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, Hors-série n°7 | 2013 Dominique Iogna-Prat Socialiser la foi. Une esquisse de parcours ecclésial À la mémoire d’Edmond Ortigues 1 L’ecclésiologie en quête de « nouveaux horizons » se doit d’intégrer les grands thèmes de la théologie sacramentelle dans le périmètre des sciences sociales 1. La présente étude voudrait contribuer à cette entreprise en abordant la question de la fides médiévale selon un angle d’attaque institutionnel. Mon « esquisse de parcours ecclésial » a pour objet de montrer non seulement comment la foi « socialise » dans un Occident latin où Église et société sont longtemps des termes co-extensifs, mais aussi comment un corps de croyances médiatisées peut « instituer ». Après de brefs rappels sur les origines pré-chrétiennes et chrétiennes du terme fides, je procèderai en trois temps, d’abord en traitant de la foi et de l’institution, puis de la foi de l’Église, enfin des tensions entre foi et croyance qui marquent le temps de sortie de la fides proprement médiévale. Foi et institution 2 Fides (foi) et foedus (pacte, accord, alliance) ont une origine indo-européenne commune, beidth, d’où provient également la pistis grecque (confiance). Au sens actif, la foi signifie que l’on fait confiance, au sens passif que l’on inspire confiance 2. Terme de relation, la fides romaine signifie la foi que le citoyen peut avoir en la cité, et la fiabilité morale et civique qu’il inspire. De façon complémentaire, le foedus traduit un engagement réciproque de confiance permettant de souder le corps civique, que fondent une même référence à un tiers instituant (les dieux), et une commune assurance de protection. En ce sens, fides et foedus sont des vertus « publiques », constitutives du « peuple » romain, sans qu’il soit besoin de postuler la moindre croyance : à Rome prévalent les rites, « dont le sens demeuraient implicite et qui n’imposaient pas d’autre croyance que l’observance 3 ». 3 La Bible et le monde juif ancien transmettent une autre conception de la fidélité. L’alliance de Dieu avec le peuple élu, qui est littéralement « son » peuple au possessif, est affaire de pacte (berith) et d’obligations résultant des engagements pris par les deux parties, dont l’Écriture fait mémoire. Dieu s’engage comme un suzerain le fait envers son vassal. À condition de respecter la lettre de l’engagement souscrit et d’être fidèle aux commandements divins, Israël se voit promettre la stabilité (aman) d’un « roc », promise à une dynastie royale, la maison de David (II Sam. 7, 16), ainsi que l’intelligence, qui, selon Isaïe (7, 9) va de pair avec la stabilité. 4 Héritier de ces deux formes de pacte – le pacte civique romain et le pacte théocentrique de l’Ancien Testament –, le christianisme introduit une « croyance religieuse dans les liens de fidélité à la parole donnée : fidélité de Dieu à sa parole, et fidélité du chrétien à sa profession de foi 4 ». La fides s’en trouve profondément transformée. Il ne s’agit plus d’être fidèle au Dieu de sa nation, ou d’adhérer par sa foi au pacte civique, mais de se défaire du « joug de la servitude » (la Loi) pour accéder à la « liberté de la foi », et d’entrer par conversion dans un cercle nouveau d’appartenance, la congrégation des disciples du Christ qu’est l’Ecclesia. La foi est ainsi une question de croyance et de témoignage, la chaîne des « témoins » permettant d’instituer une tradition. C’est autant une affaire individuelle qu’un problème de reconnaissance réciproque entre personnes d’une même communauté. D’où la nécessité d’actes partagés dans les rites, qui disent l’adhésion de chacun et de tous à la parole de Dieu. Des « choses humaines » à la « société des hommes » 5 Aux origines chrétiennes, lorsque la congrégation des croyants n’en est encore qu’à un stade proto-institutionnel, Paul articule la « fidélité de Dieu » à la « société » ou « communion du Fils » (I Cor. 1,9). Il précise que cette communion est faite d’unité dans la diversité des charismes (I Cor. 12,7-11), chacun étant porteur d’une manifestation de l’Esprit, la foi parmi Socialiser la foi. Une esquisse de parcours ecclésial 3 Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, Hors-série n°7 | 2013 d’autres : parole de sagesse, science, don de guérir, miracles, prophétie, discernement des esprits, diversité des langues, don de les interpréter. Mais il classe les vertus constitutives de l’unité chrétienne en trois : foi, espérance et charité, tout en enseignant (I Cor. 13,13), que « la plus grande d’entre elles, c’est la charité ». Dans l’économie d’ensemble du premier christianisme, l’accent est ainsi mis d’emblée sur la caritas comme moteur de socialisation communielle. Sur cette base, toute la question est de faire la part de la construction institutionnelle encore à venir. Comme Yves Congar n’a cessé de le rappeler tout au long de son oeuvre, rien n’imposait a priori le passage de l’Église originellement conçue comme la congregatio fidelium au sens d’une fides simpliciter, d’une foi non historiquement, c’est-à- dire non « ecclésiastiquement » conditionnée, englobant tous les justes ab Abel, à l’institution ecclésiale advenue ensuite dans le monde latin, sous la forme d’une Ecclesia quae modo romana dicitur, historiquement conditionnée, visible et substantielle, sous la forme d’une véritable monarchie spirituelle 5. 6 C’est au titre de la congregatio fidelium comme rassemblement salutaire qu’Augustin (354-430), dans le De fide rerum quae non videntur, associe étroitement fides et caritas pour sortir l’humanité du chaos : « Si on enlève la foi des choses humaines, comment ne pas s’attendre à les voir perturbées, et à l’horrible confusion qui doit s’ensuivre ? Qui, en effet, peut être aimé d’un autre par une charité mutuelle, alors que cet amour même est invisible, si je ne dois pas croire ce que je ne vois pas ? Toute amitié disparaîtra parce qu’elle n’est qu’affaire d’amour mutuel. Qui pourra recevoir d’un autre, si rien n’est montré de son crédit ? En outre, avec la disparition de l’amitié, impossible de maintenir en esprit (in animo) les liens du mariage, de la parenté et de l’alliance, parce que c’est en eux que, pour l’essentiel, se trouve l’harmonie de l’amitié. De fait, le conjoint ne peut aimer la conjointe d’un amour réciproque, s’il ne croit pas être aimé, parce qu’il ne peut pas voir cet amour. De même, ne désireront pas avoir d’enfants ceux qui ne pensent pas être aimés en retour. Que dire alors des autres liens (necessitudines) aux frères, sœurs, beaux-frères et beaux-parents, que dire des consanguins et des affins, si la charité est incertaine, la volonté mise en doute, et si l’engagement mutuel des enfants et des parents n’est pas acquitté… 6 » 7 Il importe de noter qu’Augustin discute de la fides au plan des « choses humaines » afin de définir les « nécessités » qui font lien entre les hommes : le mariage, la parenté et l’alliance. Placée dans le champ sémantique de l’« amitié » et de la « charité », la fides est définie comme ce qui permet de croire à ce que l’on ne voit pas. Elle est un ressort de socialisation dans la mesure où ce qui unit demeure toujours invisible et quelque peu mystérieux. Être ensemble suppose une confiance active ; c’est une manière de « pari salutaire », sans lequel aucune société n’est possible 7. La foi est « autre » (fides aliena) ; la foi, c’est les autres. 8 L’enseignement d’Augustin est durablement reçu au uploads/Religion/ iogna-prat-socialiser-la-foi-cem-13140-hors-serie-n-7-socialiser-la-foi-une-esquisse-de-parcours-ecclesial.pdf
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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 25, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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