Au cours du XVe siècle, les ducs de Bourgogne, grâce à une politique d’alliance

Au cours du XVe siècle, les ducs de Bourgogne, grâce à une politique d’alliances matrimoniales, d’achats de territoires et de captation d’héritage, créèrent un vaste état uni de la Bourgogne au nord des Pays Bas. Les Pays Bas bourguignons jouèrent un grand rôle dans l’Occident médiéval tant au niveau politique grâce à l’importance de la famille des ducs de Bourgogne liée aux rois de France qu’au niveau économique grâce au développement dans cette région d’une urbanisation forte et précoce, d’un artisanat notamment avec la production des draps de laine à Bruges et d’un commerce florissant avec l’essor des foires du Brabant. Dans ce contexte politique et économique favorable, la cour, intéressée par la finalité politique de l’art, développa un mécénat fastueux permettant ainsi un essor de la production artistique et notamment de l’art gothique international. Les changements économiques eurent aussi des conséquences sur le domaine artistique profondément bouleversé. Un art nouveau, l’Ars Nova, fondé sur la sécularisation de l’art due au développement de commandes par les riches bourgeois apparaît alors. C’est dans ce contexte qu’Hans Memling (vers 1440-1494) a peint le Triptyque de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l’Evangéliste, aussi connu sous les noms de Retable des deux saints Jean ou Triptyque du mariage de sainte Catherine. Cette huile sur bois date des années 1474-1479 comme l’indique une inscription sur le chanfrein du cadre1. L’ensemble de l’œuvre, cadre d’origine inclus, mesure environ 193 centimètres sur 388 centimètres. Il s’agit d’une œuvre commandée par les quatre religieux dirigeant l’hôpital Saint Jean de Bruges pour orner le maître-autel de la nouvelle abside de l’église. Le retable des deux saints Jean est toujours conservé sous le numéro d’inventaire inv.o.sji.75.1 dans l’hôpital Saint Jean devenu le Musée Memling. En quoi le Triptyque de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l’Evangéliste est-il le reflet de la société brugeoise de la fin du XVe siècle ? Pourquoi l’iconographie correspond-elle au contexte de commande dans lequel il s’insère ? Comment Hans Memling développe-t-il un style lui permettant de représenter une société à la fois réelle et idéale ? Grâce à cette œuvre, quelle place peut-on assigner à Hans Memling dans l’art flamand de la fin du XVe siècle ? L’iconographie du retable est fortement liée au contexte dans lequel il a été produit. En effet, elle correspond aux pensées religieuses de l’époque. Avant de parler de l’iconographie, rappelons quelle est la situation religieuse à l’époque médiévale. A cette époque, les images et surtout celles du retable, ont une grande importance puisque dès 1230, le franciscain Saint Bonaventure justifie leur rôle selon trois raisons. Tout d’abord, l’image doit instruire les fidèles de la vie du Christ, de la Vierge et des saints ; elle doit aussi les émouvoir et leur faire mémoriser ce qu’ils ont vu. Ainsi, la fonction didactique de l’image est affirmée et son but est de rappeler aux fidèles la Rédemption. Aussi, dès le XIVe siècle, apparaissent les prémices de la Réforme notamment avec John Wycliffe et les lollards qui s’insurgent contre la décadence de l’Eglise. Avec leurs idées basées sur la prédestination et la consubstantiation, ils remettent en cause le mystère de l’Incarnation. Face au doute grandissant, l’Eglise développe toute une iconographie liée à ce thème. Ainsi, le contexte religieux du XVe siècle se répercute sur l’iconographie du retable puisqu’on y retrouve les mêmes idées. Premièrement, le thème de la Rédemption occupe une place importante dans le retable puisque les thèmes de l’Incarnation et de la fin des temps sont présents. La représentation de l’Incarnation occupe la place la plus importante dans un tableau, c’est à dire le centre de la composition. La Vierge, assise sur un trône d’or surmonté d’un dais de velours et de brocard, est couronnée par deux anges vêtus de bleu foncé. Elle tient sur ses genoux son fils, l’Enfant, qui 1 Inscription postérieure repeinte sur une originale : OPVS.IOHANNIS.ANNO.M.LXXIX.1479. 1 serre dans sa main gauche une pomme. Jésus est ainsi clairement identifié comme le nouvel Adam chargé de racheter le péché des hommes. Saint Jean-Baptiste le désigne également comme l’agneau véritable qui sera sacrifié et prouve de ce fait son incarnation. La représentation de la vision de l’Apocalypse de saint Jean l’Evangéliste sur le volet latéral droit complète aussi cette idée de représentation du thème de la Rédemption. Associer l’Enfant à la Vision de la fin des temps montre aux fidèles comment le Christ à racheter la faute des hommes et a conduit à la victoire de Dieu sur terre. Ainsi, la fonction didactique de ce retable est respectée car il rappelle au fidèle ce qu’est la Rédemption. Le deuxième thème religieux important qui est figuré dans ce retable est celui de l’Eucharistie. A première vue, le panneau central du retable semble être destiné à la représentation d’une sacra conversazione puisque la Vierge et l’Enfant sont entourés de saints reconnaissables à leurs attributs. Ainsi à droite, on reconnaît sainte Barbe accompagnée de sa tour et saint Jean l’Evangéliste qui porte sa coupe empoisonnée. A gauche, on distingue sainte Catherine grâce à la roue et à l’épée de son martyr, et saint Jean-Baptiste vêtu comme un ermite et accompagné d’un agneau. Cependant certains détails montrent qu’il s’agit en fin de compte d’une communion des saints et d’une vision de l’Eucharistie. En effet, l’attitude des deux saints, Jean l’Evangéliste bénissant une coupe ressemblant fort à un calice et Jean-Baptiste désignant l’Enfant comme l’agneau véritable, rappelle les gestes d’un prêtre lors de la communion. Les deux anges agenouillés de part et d’autre de la Vierge, l’un tenant un livre et l’autre jouant de la musique sur un orgue portatif, sont assimilés à des acolytes ; ce qui est renforcé par leur costume : une aube blanche recouverte d’une chasuble. Le thème de l’Eucharistie est aussi prouvé par la présence dans la tour de sainte Barbe, qui ressemble à une monstrance, de l’hostie. Enfin, le cadre architectural composé de colonnes et de piliers quadrangulaires donne l’impression que la scène se situe dans le chœur d’une église. Dans cet optique, la Vierge constitue l’autel sacré sur lequel est sacrifié le Christ. Cela prouve aux fidèles la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie et dément l’abnégation des réformés. Là aussi le retable remplit sa fonction didactique. L’iconographie est aussi liée au contexte de commande dans lequel le retable s’insère. En effet, le thème majeur, dans le sens de celui qui occupe le plus de place sur le retable, est consacré aux saints patrons de l’église de l’hôpital Saint Jean de Bruges. Rappelons qu’en général l’iconographie du retable ornant le maître-autel est consacrée aux saints patrons de l’édifice et en l’occurrence dans notre cas, il s’agit de saint Jean-Baptiste et saint Jean l’Evangéliste. Les deux saints sont mis en valeur par leur position debout sur le panneau central et par la place accordée à la représentation d’épisodes de leur vie se déroulant à l’arrière-plan du panneau central et sur les volets latéraux. Saint Jean-Baptiste, reconnaissable à son costume d’ermite, occupe le côté gauche. Les épisodes de sa vie commencent sur les chapiteaux sculptés représentant l’annonce de sa naissance par un ange à Zacharie et sa naissance. Le reste de sa vie se déroule de façon chronologique en zigzag à partir du fond de l’arrière plan sur les deux panneaux. Au fond du panneau central, Jean prie dans le désert (ici symbolisé par la forêt) et prêche. Puis sur le volet droit il répond aux questions des prêtres et des Lévites, baptise le Christ dans le Jourdain et désigne l’Agnus Dei dans le ciel. Sur le panneau central, Jean est arrêté par Hérode et est emmené vers la tour de prison située sur le volet latéral. Sur ce même volet, on reconnaît les scènes de la danse de Salomé dans un palis et la décollation du saint au premier plan. Enfin, à droite du panneau central, la dépouille du saint est déterrée et brûlée sur ordre de Julien l’Apostolat et sa tête, qui selon la légende a été épargnée, est cachée dans l’ouverture de la muraille. Le principe est le même pour la vie de saint Jean l’Evangéliste mais l’ordre chronologique n’est pas respecté. Sur le côté droit du panneau central on peut reconnaître les épisodes majeurs de la vie du saint. Les chapiteaux représentent la résurrection de Drusienne et l’épisode de la coupe empoisonnée. A l’arrière-plan, on peut reconnaître le martyre de l’huile bouillante, Jean embarquant pour l’exil et baptisant Craton dans une église. Contrairement à l’autre saint, le volet droit est entièrement consacré à une seule scène : la vision de l’Apocalypse. Saint Jean exilé sur l’île de Patmos, symbolisé par le rocher, rédige dans un livre la vision qu’il a 2 de l’Apocalypse. Cette vision est très détaillée car elle suit à la lettre le texte biblique mais nous détaillerons ce point dans une autre partie. Aussi, l’iconographie rappelle le contexte de commande car elle est liée à la destination du retable, c'est-à-dire le maître autel de l’église d’un hôpital. L’hôpital Saint Jean de Bruges est un hôtel-dieu destiné à accueillir les malades, uploads/Religion/ hans-memling-tryptique-des-deux-saints-jean.pdf

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  • Publié le Mai 31, 2021
  • Catégorie Religion
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