Cahiers de la Méditerranée 77 | 2008 La célébration des mythes identitaires / L

Cahiers de la Méditerranée 77 | 2008 La célébration des mythes identitaires / Les Alpes- Maritimes Préséances et sang royal Le rite comme construction d’un mythe identitaire Fanny Cosandey Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/cdlm/4359 DOI : 10.4000/cdlm.4359 ISSN : 1773-0201 Éditeur Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2008 Pagination : 19-26 ISSN : 0395-9317 Ce document vous est offert par Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Référence électronique Fanny Cosandey, « Préséances et sang royal », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 77 | 2008, mis en ligne le 07 décembre 2009, consulté le 23 septembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/ cdlm/4359 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdlm.4359 Ce document a été généré automatiquement le 23 septembre 2021. © Tous droits réservés Préséances et sang royal Le rite comme construction d’un mythe identitaire Fanny Cosandey Introduction 1 Les affaires de préséances rejoignent à bien des égards les questions de mythe, rite et identité : du mythe parce qu’il s’agit d’une mise en ordre qui suppose une croyance commune, une adhésion collective à l’ordonnancement social et politique proposé par le rituel (règles générales, langage partagé, signes opérants) ; du rite parce que la préséance n’interfère qu’à l’intérieur d’un cérémonial dont l’aspect censément répétitif constitue le fondement même de sa justification ; de l’identité, enfin, parce que la place occupée dit l’individu dans le groupe (sa position hiérarchique, son pouvoir, ses fonctions) et détermine en cela son être social, mais dit aussi le groupe dans une perspective holiste dont il ne peut être fait abstraction. C’est bien « se représenter le monde et se représenter dans le monde », comme le proposent V. Piétri et M.-A. Barrachina dans leur appel à communication, qui est en jeu ici. 2 Pour autant, au regard du cas bien précis de la promotion du sang royal, le mythe n’est pas préexistant au cérémonial ; il est, au contraire, construit par ce dernier, dans une inversion des temporalités qui révèle les capacités de la monarchie à investir cet outil du politique. La primauté progressivement accordée aux enfants de France du seul fait de leur naissance est d’abord présentée en termes cérémoniels avant d’être affirmée par des actes royaux, le rituel contribuant à fonder le mythe d’une supériorité naturelle des rois de France que les discours et les pièces juridiques alimentent et étayent. Il est possible d’y voir en œuvre un fonctionnement tautologique selon lequel il est dit, et c’est parce qu’il est dit qu’il est. Dans la perspective où « faire voir, c’est faire croire » pour reprendre, en le galvaudant un peu, le beau titre donné par Hélène Duccini à propos des pamphlets et de la propagande sous Louis XIII1, offrir l’image de princes du sang au-dessus de tous, c’est annoncer la position d’exception de la tige royale. L’efficience du procédé est relevée encore par La Bruyère qui, dans un autre contexte, Préséances et sang royal Cahiers de la Méditerranée, 77 | 2008 1 remarque à propos des stratégies courtisanes : « il dira toujours qu’il marche après la maison régnante, et à force de le dire, il sera cru »2. 3 Le cérémonial s’avère alors le moteur d’une nouvelle configuration politique plutôt que la représentation d’un ordre bien établi. La nature même des questions de préséances permet ce retournement de perspective : la création d’un nouvel ordonnancement rend possible, et de ce fait pensable, des dispositions qui, la fois suivante, sont d’autant plus admises qu’elles se fondent sur un exemple passé. En jouant sur l’ambiguïté des précédents (dont la diversité d’interprétation alimente précisément les querelles), en procédant par touches successives qui modifient à peine, mais significativement pourtant, les places de chacun, la monarchie offre d’elle-même une autre organisation, comme autant de signes prodromiques d’un changement conceptuel de la nature royale3. L’œuvre de Catherine de Médicis et des derniers Valois 4 « Pour la diversité des temps et occasions particulieres [il y a] contrarieté en plusieurs endroits » nous dit Du Tillet dans son Recueil des rangs des grands de France dédié au roi Charles IX. Et il poursuit : car en l’un on voit les prelats preceder les princes du sang, en l’autre estre precedez non seulement par lesdits princes, mais par [certains] grands officiers. En l’un on voit lesdits princes avoir la precedence de tous, fors les Roys. En l’autre le rang estre baillé aux Ducs avant les Comtes, sans respecter le sang »4. Ces observations font explicitement référence à des cérémonies encore récentes pour Du Tillet : Au sacre de Henri II par exemple, le cardinal de Guise, comme plus ancien pair, précède le duc de Montpensier5, pourtant prince du sang appartenant à la branche des Bourbons. La dignité féodale (c’est-à-dire l’ancienneté de pairie) prime ici sur le sang royal. Plus récemment encore, aux Etats d’Orléans (13 décembre 1560 - 31 janvier 1561), les cardinaux ont la droite sur les princes du sang, et c’est alors à la dignité ecclésiastique que revient l’honneur d’être devant la qualité princière. Dès les Etats suivant, pourtant, la configuration politique revêt un nouvel aspect. Transférés à Saint-Germain en Laye, en Août 1561, ils accordent cette fois la faveur au sang royal. C’est au cardinal de Bourbon de prendre l’initiative en se plaçant au dessus de son frère, le prince de Condé, « en qualité de prince aîné et non de cardinal »6. Il semble que la dispute oppose en fait le clan des Guise à celui des Bourbons. Les lorrains, en perte d’influence après la mort de François II, préfèrent se retirer que de céder le pas. D’après Nicolas Neufville de Villeroy, dans un mémoire daté de 1605, il est alors décidé qu’aux assemblées d’Etat, les princes du sang occuperaient désormais la première place7. Si cette affaire relève d’une lutte d’influence et résulte en grande partie de la disgrâce des Guise8, elle participe d’un mouvement plus général en faveur des héritiers de la couronne. Préparant le sacre de Charles IX, Catherine de Médicis, régente du royaume, veut faire servir le duc d’Orléans, frère du roi, comme premier pair, alors même que ce jeune prince n’a pas encore été investi de sa pairie. Par lettres en date du 7 mai 1561, la reine mère et le roi demande au parlement des informations sur ce fait9. Et à la cérémonie, la semaine suivante, le plus ancien pair fut représenté par le duc d’Orléans, lequel occupe de la sorte la première place10. «Les auteurs du temps disent que la Reine Mere fut louée de la conduite qu'elle avoit tenue en faisant servir l'un de ses fils de premier Pair, pour prouver que les Princes du sang n'ont pas besoin d'être Pairs pour jouir des prerogatives qui sont attachées à la Pairie qui n'est qu'un simple titre de Préséances et sang royal Cahiers de la Méditerranée, 77 | 2008 2 Dignité dont les Privileges sont au dessous de ceux des Princes du sang »11. Encore fallait-il le montrer. 5 Le fait, ici, précède le droit, et les appréciations portées à posteriori montrent bien que la préséance anticipe et ainsi fabrique, plutôt qu’elle ne révèle une donnée politique promise à un bel avenir. En agissant de la sorte, Catherine de Médicis modifie doublement les règles du cérémonial car non seulement elle relègue la pairie derrière le sang royal, mais elle repousse aussi la dignité royale revêtue par Antoine de Navarre en vertu d’un principe de proximité au trône de France12. Elle ne fait pour cela que jouer sur le mode de la représentation, le jeune prince prenant lieu et place d’un pair plus ancien. 6 Dès les premiers temps de sa régence, la reine mère porte une attention soutenue aux questions cérémonielles. Habile dans le maniement du rituel, elle cherche à renforcer l’appareil dynastique en soulignant la qualité d’un sang royal qui contribue, aussi, à sa propre légitimité. Mais le resserrement de la famille royale autour de la personne du roi (les princes, héritiers potentiels, apparaissent, physiquement, au plus près du monarque dans toutes les cérémonies qui mettent en scène la monarchie) sert aussi une politique visant à affermir les principes du droit public français dont le chancelier Michel de l’Hospital est, aux côtés de la reine mère, un des maîtres d’œuvre13. Ainsi en est-il de la déclaration de majorité royale lors du lit de justice tenu à Rouen le 17 aout 1563. S’il est vrai, comme l’affirme S. Hanley, que ce lit de majorité « inaugur[e] un nouvel ordre cérémoniel »14, il exprime aussi spectaculairement la prééminence des princes du sang. La mise en image de l’évènement15, en elle-même une innovation, donne un aperçu clair de l’ordre des rangs, les princes du sang étant aisément identifiables, aux hauts sièges, à la droite du roi. Or ce même lit de justice doit être entendu comme un commentaire de la continuité politique, servit par les discours de Michel de l’Hospital16. C’est finalement dans une cérémonie qui concerne directement la succession royale que les princes du sang, rangés selon le degré de proximité à la couronne, sont donnés à voir, uploads/Religion/ fanny-cosandey-preseances-et-sang-royal-cahiers-de-la-mediterranee.pdf

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  • Publié le Oct 11, 2022
  • Catégorie Religion
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