1 Audience solennelle du lundi 14 décembre 2009 Le principe de laïcité INTRODUC
1 Audience solennelle du lundi 14 décembre 2009 Le principe de laïcité INTRODUCTION Divers évènements récents ou « affaires », puisqu’elles ont été relayées par les médias, ont suscité, cinq ans après de la loi du 15 mars 2004 1 sur le port des signes religieux à l’école, de nouveaux débats sur le concept de laïcité. En février 2008 et en réaction aux prises de position du président de la République, plusieurs députés socialistes déposèrent une proposition de loi visant à promouvoir la laïcité dans la République. En 2008 également, dans une commune de l’Isère (La Verpillère) la piscine communale a été ouverte pendant un créneau horaire de deux heures à un public uniquement féminin, sous la surveillance de maîtres nageurs féminins, répondant ainsi à une demande communautaire de femmes de confession musulmane. D’autres équipements publics tels des gymnases ont également été réservés à certaines catégories de personnes ce qui ne manque pas de poser la question de l’égal accès aux services publics. Plus récemment, au printemps 2009 c’est le port de la Burqua (vêtement des Afghanes pachtounes) ou du Niquab (voile noir intégral porté en Arabie Saoudite) par quelques centaines de femmes qui a suscité une polémique sur le concept de laïcité. Une mission parlementaire a été mise en place le 23 juin 2009 afin de réfléchir, face à un phénomène certes marginal, sur l’opportunité de légiférer à nouveau pour interdire le port de signes religieux jugés à la fois contraires à l’ordre public (comme le serait tout vêtement occultant le visage) et considérés également comme contraire à la dignité de la femme. Dans la société française, où l’Islam est devenu, de manière récente, la seconde religion pratiquée, la laïcité fait donc à nouveau débat. Mais que recouvre cette notion ? x Etymologiquement, le terme laïcité provient du grec laikos (commun, du peuple), par opposition au terme klérikos (clerc), qui désigne les institutions religieuses. Si le substantif laïc était utilisé dès le moyen âge, pour désigner toute personne n’étant ni un clerc ni un religieux, le terme laïcité n’apparaît dans la langue française qu’à partir de la seconde moitié du XIX siècle, en 1871 pour être précis, à propos de l’enseignement public. La définition de la laïcité pose problème, tant le concept est univoque. Dans son acception française, et si l’on reprend la définition donnée par Ernest RENAN la laïcité c’est « l’état neutre entre les religions, tolérant pour tous les cultes et forçant l’église à lui obéir sur ce point capital. » 1 loi n°2004-228 du 15 mars 2004 encadrant en application du principe de laïcité le port de signes religieux ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics 2 Intraduisible dans de nombreuses langues le terme de laïcité, dans sa définition moderne, renvoie à une perte d’emprise de la religion sur la société ainsi que sur le pouvoir. Concept synonyme de sécularisation, la laïcité, souvent présentée à tort comme une exception française, s’est en réalité développée dans la plupart des démocraties occidentales, qui ont au cours de l’histoire organisé les rapports entre la (les) religions(s) et l’Etat. Dans un sens plus étroit, le concept de laïcité renvoie également à la modification des rapports entre les Eglises et le pouvoir politique tel qu’elle s’est effectuée en France à partir de la Révolution française. Evolution souvent conflictuelle qui implique le refus de tout assujettissement du pouvoir politique au religieux et réciproquement, mais qui n’interdit pas tout rapport entre les deux, l’Etat s’instituant comme le garant de la liberté religieuse et de l’exercice des cultes tout en restant neutre vis-à-vis des Eglises. La définition juridique de la laïcité est quant à elle plus aisée. Le professeur Jean RIVERO écrivait en 1949 2 que la laïcité ne peut s’entendre que dans un seul sens, celui de la neutralité religieuse de l’Etat. L’exposé des motifs de la constitution du 27 octobre 1946 affirme en effet pour justifier le caractère laïque de la République que « la laïcité de l’Etat se traduit par une séparation de l’Eglise et de l’Etat et le principe qu’il ne reconnaît ni ne protège aucun culte. » x Annonce de plan Les résurgences récentes de la thématique de la laïcité ou, si l’on est moins optimiste de la polémique sur la laïcité française, nous conduisent à nous interroger sur le concept même de laïcité, désormais composante intégrante de la société française, produit d’une histoire souvent conflictuelle. Nous examinerons également sa spécificité et ses points de rapprochement par rapport aux expériences étrangères. Au moment où il est envisagé de légiférer à nouveau nous examinerons la place prise par le principe de laïcité dans les services publics, et notamment à l’école, lieux privilégié de sa mise en pratique. Nous insisterons sur le rôle éminent du juge dans l’application concrète de ce principe. 2 Jean RIVERO la notion juridique de laïcité in Recueil Dalloz 1949 p 137 3 I - LA CONCEPTION FRANÇAISE DE LA LAÏCITE EST LE FRUIT D’UNE HISTOIRE PARTICULIERE [1.1 – Historique de la laïcité en France.] La laïcité s’est mise en place progressivement, par étapes, ou, pour reprendre l’expression de Jean BAUBEROT, par « seuil ».3 A) La Révolution française constitue le point de départ du mouvement de laïcisation de la société française Sous l’Ancien régime, Etat et Religion gallicane telle que conçue par Louis XIV sont totalement imbriqués. Le monarque de droit divin est le chef de l’Etat et le chef de l’Eglise. L’organisation de la société traditionnelle est fondée sur la primauté du spirituel par rapport au temporel, telle que le concevait SAINT AUGUSTIN dans « La cité de Dieu ». Le clergé constitue le 1er des trois ordres et sa puissance économique et son influence sur la vie de la société sont considérables : l’Eglise assure la tenue de l’état civil, elle contrôle l’enseignement, elle assure les soins hospitaliers, et le Blasphème est interdit (le chevalier de la Barre payera de sa vie la transgression de cet interdit en 1766) En remettant en cause cet ordre ancien multiséculaire, la Révolution de 1789 marque une rupture fondamentale et constitue le point de départ du processus de laïcisation de la société française. C’est avec la Révolution qu’apparaît, dans la suite logique du mouvement des Lumières, l’idée d’un Etat laïque, indépendant de toute religion ou Eglise et neutre vis-à-vis de tous les cultes. C’est CONDORCET4 le premier en 1792 qui énonce la justification de la laïcité en ces termes : « La Constitution, en reconnaissant le droit qu’a chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne permet pas d’admettre, dans l’instruction publique, un enseignement qui détruirait l’égalité des avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. Il était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute religion particulière et de n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux » La perte d’influence de la religion catholique et l’émancipation de la société vis-à-vis de la religion qui l’accompagne se traduisirent par l’adoption de plusieurs textes et plusieurs évènements: • La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 dans son article 10 proclame la liberté religieuse : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. ». Emancipation qui ne vaudra, dans un premier temps que pour les catholiques et protestants, les juifs en étant exclus. (jusqu’en 1791, date à laquelle ils furent émancipés, à l’initiative de l’abbé GREGOIRE) Dans son article 3 la DDHC « laïcise » la souveraineté en affirmant que celle-ci provient non plus d’un droit divin mais de la Nation. Le pouvoir est ainsi désacralisé. • Le 20 septembre 1792 l’Assemblée législative laïcise l’état civil et le mariage. Désormais, les registres ne sont plus tenus par les curés mais transférés aux mairies et tenus par des officiers d’état civil. Désormais pour tous les évènements qui jalonnent la vie 3 Jean BAUBEROT « Histoire de la laïcité en France » PUF Que sais-je n° 3571 4 CONDORCET Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique présenté à l’Assemblée nationale au nom du Comité d’Instruction publique les 20 et 21 avril 1792. 4 (naissance, mariage et décès) la législation civile devient la règle primant sur les règles religieuses. • Parallèlement au mouvement d’émancipation, l’Eglise reste sous le contrôle de l’Etat. D’abord avec la constitution civile du clergé (12 juillet 1790 : remodelages des diocèses et paroisses selon les circonscriptions administratives, élection des évêques, curés et vicaires) puis sous le régime concordataire imposé par Bonaparte en 1802. La religion catholique définie dans le concordat comme « la religion de la grande majorité des Français » n’est pas une religion d’Etat, mais, comme les autres cultes reconnus (protestant, judaïsme), elle est strictement contrôlée par lui. C’est la consécration, sous le Consulat, du pluralisme confessionnel. Ce « premier seuil » de laïcisation défini par Jean BAUBEROT se poursuit uploads/Religion/ exposesur-la-laicite.pdf
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- Publié le Nov 27, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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