Revue d'histoire de l'Église de France Les conséquences sociales du jansénisme
Revue d'histoire de l'Église de France Les conséquences sociales du jansénisme Edmond Préclin Citer ce document / Cite this document : Préclin Edmond. Les conséquences sociales du jansénisme . In: Revue d'histoire de l'Église de France, tome 21, n°92, 1935. pp. 355-391; doi : https://doi.org/10.3406/rhef.1935.2750 https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1935_num_21_92_2750 Fichier pdf généré le 12/04/2018 LES CONSÉQUENCES SOCIALES DU JANSÉNISME I. Les Idées démocratiques sur l'église. — Les premiers rapports du Jansénisme et du Richérisme (1653-1675). — Jansénisme et Riché- risme (1675-1801). — Les idées richéristes depuis 1801 et le Blan- chardisme. II. La Liturgie, t — Les rites. - — Les ouvrages liturgiques. III. La Pratique religieuse. — Le recours aux Sacrements. — Difficultés d'étudier le sujet au point de vue local. IV. L'enseignement janséniste. — Les écoles jansénistes. — Leur pédagogie. — Leur influence. V. Le Jansénisme et les problèmes du temps. — Jansénisme et philosophie. — Jansénisme, morale et ordre social. — Jansénisme et prêt à intérêt. — Jansénisme et vie politique. Conclusion : Aspects variés du Jansénisme. Le Jansénisme n'est pas seulement une doctrine théologique sur la nature et les caractères de la Grâce. Lié à une morale sévère et rigoriste, professé surtout par des ecclésiastiques, il a exercé une incontestable influence sociale sous plusieurs formes. Très vite, les disciples de Saint-Cyran et d'Arnauld ou de Quesnel ont conçu l'Église comme une aristocratie de prêtres, représentants de fidèles qui jouaient un rôle quelque peu actif dans la communauté chrétienne. A leur tour, le presbytérianisme et le laïcisme se manifestent dans l'ordre même des cérémonies, puis dans le domaine de la pratique religieuse. Le Jansénisme déroule alors toute son influence sociale : dans la formation du chrétien, car il y a une pédagogie janséniste et une morale janséniste qui s'oppose à celle des adversaires de Port-Royal; dans la formation du citoyen, membre des communautés économique et politique. /. — LES IDÉES DÉMOCRATIQUES SUR L'ÉGLISE. Dans les Jansénistes du xvme siècle et la Constitution ci* vile du Clergé nous croyons avoir montré que les opposants aux Bulles d'Alexandre VII et de Clément XI se sont ralliés à une forme démocratique et presbytérienne du gallicanisme dont Edmond Richer fut le principal inspirateur et qui, ré- 356 REVUE D'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE FRANCE servant au eorps de l'Église la propriété du pouvoir des Clefs, attribuait au bas clergé une part au gouvernement de la communauté chrétienne, en même temps qu'elle étendait jusqu'aux fidèles une participation quasi sacerdotale aux cérémonies du culte. Mais ces idées hardies du richérisme, les Jansénistes les ont si peu forgées de toutes pièces, qu'ils les ont empruntées fidèlement à Richer et, avec quelque liberté, aux gallicans contemporains des conciles de Constance et de Bâle. Antérieur au Jansénisme, le richérisme lui survivra jusqu'en plein xixe siècle. Du moins de 1675 à 1755, les deux mouvements semblent se confondre. Et c'est seulement une fois révolue la crise des billets de confession que les idées démocratiques, presbytériennes ou laïcistes inspirent l'activité d'ecclésiastiques indifférents à la théologie de YAugusti- hus et à la morale de la Fréquente communion. Les premiers rapports du Jansénisme et du richérisme {1653-1675). — Jusqu'en 1653, Jansénisme et richérisme n'avaient aucun lien. Après cette date, ils se rapprochent. La Fronde vient de prendre fin et beaucoup de bons esprits, excédés des remuements des années précédentes, appellent de leurs vœux un renforcement de l'autorité dans l'Église et dans l'État. C'est le moment où le pape Alexandre VII condamne, le 31 mai 1653, les cinq Propositions de Jansénius. Certains adversaires de Port-Royal accusent les amis de feu Saint- Cyran d'être les complices du cardinal de Retz fugitif. Sans doute, les doctrines jansénistes qui insistent sur le petit nombre des élus ne peuvent logiquement conduire à un régime d'assemblées. Une réunion de fidèles compte plus de réprouvés que de saints ; un synode diocésain, un concile provincial comptent moins de prêtres et d'évêques édifiants ■que d'hommes sans vocation. Cependant, sous la pression des besoins pratiques, il faudra laisser de côté les néces- .sités logiques. Pour résister à la conjonction du pape et du Toi, les amis de Jansénius, de Saint-Cyran et d'Arnauld vont tout naturellement s'appuyer sur les évêques qui les défendent. Ils s'en tiennent alors au gallicanisme episcopal. Position qu'ils vont bientôt dépasser. Car les prélats favorables ne «ont qu'une petite minorité, alors que le bas-clergé constitue une considérable réserve de forces. Les prêtres et les curés qui étudient et qui pensent, lisent avec intérêt et sympathie les livres de Saint-Cyran et de Singlin. Le premier exalte la liaute dignité du sacerdoce qui, des prêtres appelés au service de Dieu par une vocation irrésistible, fait des pêcheurs d'âmes. Du second nous avons écrit dans notre ouvrage : < Singlin, indifférent aux conflits de préséance entre les LES CONSÉQUENCES SOCIALES DU JANSÉNISME 357 différents ordres du clergé, place très haut la dignité du bon prêtre. Comme le Christ qui « n'est devenu proprement prê> « tre et pontife qu'au jour de sa résurrection, l'ecclésiastique « qui a reçu le sacerdoce doit mourir au péché, renoncer à ses « affections naturelles les plus innocentes et, se dépassant « lui-même, attirer les âmes à Dieu par l'ardeur de sa prière, « les maintenir dans la voie du bien par l'exemple de ses « bonnes actions »1. Cette apologie du prêtre est d'autant plus la bienvenue qu'au xvne siècle la situation matérielle du bas clergé est souvent misérable. Si celle des curés bénéficiers est très variable, la portion congrue, fixée à 120 livres par Charles IX (16 avril 1571) et à 200 livres par Louis XIII (janvier 1629, 17 août 1632, 18 septembre 1634), est bien insuffisante pour satisfaire aux besoins pourtant fort réduits de milliers de curés de paroisse. Leur situation canonique est menacée de deux côtés : les prélats du xvne siècle, grâce aux assemblées du clergé devenues régulières, appliquent de plus en plus les décrets tri- dentins sur l'approbation et prennent une part de plus en plus active à la vie de la paroisse, au détriment du curé; les Ordres religieux, surtout les Jésuites, attirent dans leurs chapelles de couvents ou de collèges de nombreux fidèles qu'ils dispensent de l'assistance régulière à la messe de paroisse. Mais les guides des protestataires paraissent être les plus instruits, les plus aisés des représentants du bas clergé : les docteurs des Facultés de théologie, les gradués des Universités devenus chanoines d'églises cathédrales ou collégiales ou curés de paroisse des villes. Tout naturellement les curés parisiens, qui comptent beaucoup d'amis d'A. Arnauld et de Port- Royal, sont à l'avant-garde de ces ecclésiastiques militants. C'est ainsi qu'en 1656-1657, au lendemain des Provinciales, Rousse curé de Saint-Roch, Dupuy curé de Saint-Innocent écrivent à tous les curés de France2 pour leur demander une procuration en vue de dénoncer à l'Assemblée du clergé la morale des casuistes. L'Assemblée convoque pour les blâmer les deux curés parisiens et charge l'archevêque de Mâchonne d'adresser une Lettre aux prélats de France où l'on pouvait lire : « L'ordre des prêtres n'a en ses mains que lçp rames du vaisseau de l'Église... ils ne peuvent les manier que par le commandement des évêques entre les mains desquels Dieu a mis le gouvernail; et lorsqu'il s'agit de communica,- 1. E. Préclin, les Jansénistes du xvnf siècle (Paris, 1928), p. 14.."., 2. Il serait utile dans chaque diocèse de connaître le succès de cette démarche et de chercher à Paris les lettres de réponse. '. 358 REVUE D'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE FRANCE tion ecclésiastique d'un diocèse à un autre, il faut qu'elle se fasse par l'autorité des évêques3. » Aux prélats l'archevêque donne; ce conseil : « Nous ne doutons point que vous n'empé- chiez dans votre diocèse que vos curés défèrent à ces Lettres des curés de Paris, fassent aucune assemblée, et qu'ils entrent en aucune délibération sur cette matière que par votre autorité4. » Au cours des années suivantes, quand l'accord du pape, du roi et de la majorité des évêques de France impose la signature du Formulaire, les réactions des ecclésiastiques récalcitrants seraient intéressantes à déceler et à étudier dans les divers diocèses, surtout quand elles revêtent un caractère presbytérien. En 1667, A. Dechamps, publiant sous le voile de l'anonymat une brochure intitulée : la Société politique des Jansénistes et Vestat présent de la Sorbonne de Paris découverts par un docteur5, dénonce un relent de jansénisme dans le Livre de la Messe paroissiale d'Etienne Guerry6 tout favorable aux curés. C'est l'impression que laisse l'activité de certains prêtres de l'époque : étrangère en apparence au développement de la controverse janséniste, elle lui est liée en réalité, et leur presbytérianisme accuse la collusion qui s'établit entre le richérisme et les défenseurs de Port-Royal7. Quant à l'auteur de la Société politique des Jansénistes, il résume avec clairvoyance, les onze points de la doctrine du parti. Outre leur théologie augustinienne, leur morale rigoriste, il condamne la pratique de dire toutes les parties de la messe à voix distincte, le souci d'unir les prêtres contre les religieux, qui n'ont aucune place dans la hiérarchie et qui 3. 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Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 03, 2022
- Catégorie Religion
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