1 / 81 Abd Ar-Razzâq Yahyâ., (Charles-André Gilis.) La Papauté contre l’islâm.

1 / 81 Abd Ar-Razzâq Yahyâ., (Charles-André Gilis.) La Papauté contre l’islâm. Nous entrons dans un temps où il deviendra particulièrement difficile de « distinguer l’ivraie du bon grain », d’effectuer réellement ce que les théologiens nomment le « discernement des esprits », en raison des manifestations désordonnées qui ne feront que s’intensifier, et se multiplier, et aussi en raison du défaut de véritable connaissance chez ceux dont la fonction normale devrait être de guider les autres, et qui aujourd’hui ne sont trop souvent que des « guides aveugles ». René Guénon, 1927. I. Une inquiétante volte-face. Le 30 décembre 1993, le Saint-Siège signait l’Accord fondamental dans lequel il reconnaissait l’État d’Israël. Cet acte solennel avait de quoi surprendre : depuis la création de l’État sioniste, les papes n’avaient cessé d’exiger l’établissement d’un statut garanti internationalement pour Jérusalem. Paul 6 avait pris soin, notamment lors de son pèlerinage de 1964 en Terre sainte, de maintenir une stricte neutralité dans le conflit qui opposait les juifs, et arabes, et à se poser en défenseur des trois religions monothéistes. L’adoption par la Knesset, en août 1980, d’une loi annexant Jérusalem, et la proclamant capitale officielle de l’État juif avait montré le peu de cas que les dirigeants sionistes faisaient des exigences vaticanes ; néanmoins Jean-Paul 2 lui-même, dans sa lettre apostolique Redemptionis Anno du 20 avril 1984, déclarait encore : « Les peuples, et les nations qui ont à Jérusalem des frères dans la foi, Chrétiens, Juifs, Musulmans, ont un motif spécial de faire tout leur possible pour préserver le caractère sacré, unique, irremplaçable de la Ville. Il faut trouver une manière concrète, et utile de sauvegarder de façon harmonieuse, et stable les intérêts divers, et les aspirations, de la protéger de manière adéquate, et efficace par un statut garanti internationalement. » L’expression « frères dans la foi » incluait notamment les fidèles des trois religions issues d’Abraham, tandis que les « intérêts divers » pris en compte étaient aussi ceux des musulmans. De surcroît, l’exigence d’un « statut garanti internationalement » impliquait que la papauté ne faisait pas confiance aux dirigeants sionistes pour assurer, et garantir l’harmonie souhaitée. Comment donc expliquer que, moins de dix ans après cette proclamation solennelle, le même Jean-Paul 2, par une volte-face qui jette une ombre funeste sur la fin de son pontificat, abandonnait tout sens de l’équité, et toute prudence, et s’en remettait, sans aucune garantie, au bon vouloir de ces mêmes dirigeants dont la légitimité était soudain reconnue ? Non seulement les droits de l’islâm, et des musulmans cessaient d’être défendus, mais aussi les intérêts des communautés chrétiennes, catholiques, et orthodoxes, du Moyen-Orient. Sans doute la papauté pensait-t-elle sauvegarder les siens ; mais c’était là naïveté pure car le seul point de l’Accord qui intéressait vraiment les juifs était la reconnaissance de leur État. Le ministre israélien des Affaires étrangères, M. Yossi Beilin, se montra astucieux diplomate en acceptant des concessions de pure forme, (un Accord fondamental plutôt que l’Accord de principe souhaité à Jérusalem, qui aurait subordonné toutes les garanties juridiques, et politiques désirées par le Vatican à la reconnaissance 2 / 81 préalable de l’État juif), et le Saint-Siège s’imagina que ses positions étaient sauvegardées. De la part d’une institution sacrée qui bénéficiait d’une expérience bi-millénaire on aurait pu s’attendre à moins de candeur. La reconnaissance devenait effective par la signature de l’Accord qui eut lieu le même jour, non au Vatican, mais à Jérusalem ; en revanche, les conventions juridiques, et financières qui devaient suivre furent remises à plus tard, et ne seront négociées qu’après une dizaine d’années. L’État hébreu se sentait en position de force, et tenait à montrer qu’il était désormais le maître du jeu diplomatique. Les précautions prises par le Vatican apparurent bien vite dérisoires, ce qui faisait partie des objectifs poursuivis : le sionisme utilise toujours la dérision pour réduire les prétentions éventuelles de ceux qui s’imagineraient avoir droit à une quelconque gratitude pour avoir reconnu un État illégitime au regard du Droit sacré : toute concession est interprétée comme un aveu de faiblesse, aussitôt exploité. La dérision fut utilisée ainsi contre Yasser Arafat à la fin de sa vie ; non pas en dépit du fait qu’il avait reconnu l’État litigieux, mais bien parce qu’il l’avait reconnu. À Jérusalem on ne se gêne plus pour dire qu’à Rome l’État juif « est devenu kachère ». Dans la même optique, il convient de rappeler la façon dont M. André Chouraqui présente la réception au Vatican des divers chefs du mouvement sioniste qui, depuis sa création, demandèrent à être reçus par les papes ; cela donne : « Pie 10 devant Herzl », « Mgr de Gaspari devant Sokolov », « Paul 6 devant Abba Eban, Golda Meir ou Moshé Dayan. » En ce cas, la dérision a pour but d’indiquer où se trouve l’autorité spirituelle véritable. Pire encore : le chapitre sur la visite de Théodore Herzl à Pie 10 s’intitule : Un pape devant un prophète. On ne pourrait suggérer plus clairement le caractère pseudo messianique de l’entreprise sioniste. La papauté savait donc parfaitement à quoi elle devait s’attendre en s’engageant dans l’engrenage infernal de la reconnaissance de l’État juif, et aurait dû comprendre qu’il s’agissait, pour les dirigeants sionistes, de tout autre chose que d’un simple accord diplomatique. À propos des circonstances qui menèrent à sa conclusion, rappelons que celle-ci intervint trois mois après la signature des Accords d’Oslo qui eut lieu le 13 septembre 1993, dans les jardins de la Maison-Blanche. Il y eut donc simultanément deux négociations parallèles : l’une, secrète, avec l’Organisation pour la Libération de la Palestine ; l’autre, publique, avec le Vatican. Les Accords d’Oslo fournirent un moyen de pression qui fut utilisé contre le Saint-Siège. Selon M. Beilin : « Il fallait profiter du bon climat qui régnait dans le monde après leur signature pour rétablir de pleines relations diplomatiques, (entre Israël, et le Vatican), et il fallait le faire immédiatement ». En d’autres termes : si même les Palestiniens reconnaissent l’État d’Israël, comment l’Église catholique pourrait-elle encore justifier son refus ? Le Saint-Siège ne vit pas où était le piège, et ne comprit pas que la reconnaissance de l’État juif avait une portée qui dépassait de loin la question des rapports entre deux communautés : elle engageait une question de principe qui, aux yeux des sionistes, était la seule qui importait vraiment ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dès le départ, ils avaient voulu un « accord de principe » plutôt qu’un « accord fondamental » ; la concession qu’ils avalent faite sur ce point avait été purement tactique. Incapable d’évaluer, pour des raisons que nous expliquerons plus loin, la nature réelle des enjeux, la papauté, censée agir selon les critères d’une sagesse millénaire, se fit rouler dans la même farine que celle qui avait servi pour amadouer, puis pour neutraliser les dirigeants palestiniens. La plus haute autorité spirituelle de l’Occident cédait devant les forces obscures qui manipulent le monde moderne. Si la reconnaissance de l’État juif, irrégulière au regard de la Tradition universelle, et aussi du judaïsme orthodoxe, devenait un tabou, au sens le plus « fétichiste », et le plus idolâtrique du terme, le devoir sacré de l’Église catholique était de s’y opposer ; et voici qu’elle se laissait entraîner à son tour, au point de sacrifier les questions de principe à des considérations tactiques, et 3 / 81 contingentes. Ce n’est pas seulement de l’étonnement que suscitait l’Accord fondamental, mais surtout de l’inquiétude : comment le représentant de Jésus Christ sur la terre en était-il arrivé là ? Lorsqu’on compare l’attitude de Jean-Paul 2, non plus à celle de Paul 6 qui fut aussi la sienne au début de son pontificat, mais avec celle du pape qui fut le témoin des débuts du sionisme, le contraste est saisissant : il s’agit de Pie 10 que Théodore Herzl rencontra le 25 janvier 1904, moins de six mois avant sa mort. La veille, il avait été reçu par le roi Victor Emmanuel 3, et le 22 par le redoutable diplomate qu’était le cardinal Merry del Val, secrétaire d’État au Vatican. Deux points méritent d’être soulignés. Le plus important est que le pape, et le cardinal exprimèrent tous deux un point de vue purement théologique, où la diplomatie n’avait aucune part. Pie 10 dira: « Les juifs n’ont pas reconnu Notre-Seigneur, par conséquent nous ne pouvons pas reconnaître le peuple juif » ; et Merry del Val, de manière plus explicite : Tant que les juifs nieront la divinité du Christ, nous ne pourrons certainement pas cheminer avec eux. Non possumus. Non que nous leur souhaitions le moindre mal. Au contraire, l’Église les a toujours protégés. Ce sont pour nous des témoins nécessaires de ce qui s’est passé pendant les jours où le Seigneur a visité la terre. Mais ils persistent à nier la divinité du Christ. Comment donc, à moins de renier nous-mêmes nos plus hauts principes, pourrions-nous accepter qu’ils prennent possession de la Terre sainte uploads/Religion/ charles-andre-gilis-la-papaute-contre-l-x27-islam.pdf

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  • Publié le Aoû 12, 2022
  • Catégorie Religion
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