INTRODUCTION « L’État et le pouvoir de l’État seront toujours un masque, ce qui

INTRODUCTION « L’État et le pouvoir de l’État seront toujours un masque, ce qui ne nous libérera pas du devoir de l’arracher, car le visage, lui, est le nôtre.» Pierre Vidal-Naquet1 La guerre secrète de l’Élysée L’Élysée s’est lancé dans une guerre contre les soldats du Front patriotique rwandais (FPR) en 1990. Un coup de téléphone du président Habyarimana à Jean-Christophe Mitterrand2 a suffi à embarquer notre pays le 4 octobre 1990, hors de tout contrôle parlementaire, dans l’opération Noroît. 15 ses anciennes colonies, dont les réseaux, les clients et la corruption forgent le concept de « Françafrique »27. Tout se passe comme si le million de morts du Rwanda n’avait jamais existé. Or le Rwanda a été le laboratoire de ce type d’intervention secrète. Le génocide des Tutsi, qui aurait dû mettre un terme à ces pratiques élyséennes, est resté un scandale étouffé. La prise de conscience est plus que jamais nécessaire et ce livre entend y contribuer. Tout lecteur est convié à participer à cette conscience émergeante. Seule la détermination de ceux que ces pratiques révoltent et qui, de plus en plus nombreux, veulent la vérité, pourra contraindre les autorités à rendre la justice. 1 – Cité par Pierre-Serge Heger, « Détentions et poursuites judiciaires en Suisse », in Jean-François Dupaquier (dir.), La justice internationale face au drame rwandais, Karthala, 1996, p.169. 2 – Le fils de François Mitterrand, Jean-Christophe, était alors responsable de la Cellule africaine de l’Élysée et lié avec le fils Habyarimana, Jean-Pierre. Un tableau du personnage et de la confusion entre ses activités privées et officielles est donné par Pascal Krop, Le génocide franco-africain. Faut-il juger les Mitterrand?, op. cit. 27 – Face cachée de l’iceberg des relations franco-africaines, système de négation des indépendances mis au point par Jacques Foccart. Ce concept, désormais incontournable, a été forgé par le combat de l’association Survie pour l’assainissement des relations franco-africaines et vulgarisé par les livres de François-Xavier Verschave. SURVIE – 57, avenue du Maine – 75014 Paris http://www.globenet.org/survie Sous couvert d’humanitaire (l’évacuation des ressortissants français), l’Élysée a ainsi engagé la France dans une guerre secrète au Rwanda qui s’est poursuivie jusqu’au génocide des Tutsi en 19943. Relayée par la coopération militaire, cette guerre a engagé deux compagnies de parachutistes et les paramilitaires du « service action » de la DGSE 4. Ces commandos ont ainsi stoppé à deux reprises, à l’aide de leurs hélicoptères de combat, les troupes du FPR aux portes de Kigali5. Les soldats du FPR comprennent de nombreux Banyar- wanda (population rwandophone) ougandais d’origine hutu, cependant le gros des troupes est composé des fils des exilés tutsi de 1959-1964, les plus anciens réfugiés d’Afrique. Ceux-ci s’exilèrent pour échapper aux massacres organisés par Kayibanda, président de la première République. Kayibanda est un Hutu du Sud qui organisera son pouvoir sur des principes ethniques. Le texte fondateur de son parti unique, le Parme- hutu (parti pour l’émancipation des masses hutu), définissait le Rwanda comme «le pays des Hutu»6. La manipulation de 16 17 l’ethnicité continuera avec son successeur, le général Habyari- mana, un Hutu du Nord, qui prendra le pouvoir en 1973 après un coup d’État sanglant. Le FPR est né du désir de ces exilés de rentrer au pays, de cesser de vivre en paria en Ouganda où ils étaient considérés comme des étrangers. Ce parti a pour caractéristiques son panafricanisme et le refus de l’idéologie ethniciste. Rejoint par des jeunes Tutsi du Burundi, du Zaïre et par les intellectuels qui ont fui les pogromes de 1973 au Rwanda, le FPR était financé par les enfants de ces réfugiés dont la réussite sociale en Europe et en Amérique du Nord n’avait pas supprimé la nostalgie du pays et le désir d’y revenir. En octobre 1980, le général-président Habyarimana refoule à la frontière 80000 réfugiés tutsi expulsés d’Ouganda par le régime de Milton Obote7. Devant le refus d’accorder ce droit au retour, le FPR, fort d’une expérience acquise dans la lutte aux côtés du président ougandais Yoweri Museveni, décidera dix ans plus tard, en octobre 1990, de rentrer par la force. Les accords d’Arusha qu’Habyarimana a dû signer sous la pression des Occidentaux et de ses pairs africains, le 4 août 1993, mettent fin au système du parti unique et éta- blissent le partage du pouvoir avec les partis de l’opposition et notamment avec l’opposition armée du FPR8. Celui-ci rejoint les partis démocratiques qui s’opposent à la logique ethnique 7 – C’est parce qu’ils sont persécutés par le régime de Milton Obote, plus tyrannique encore que celui d’Idi Amin Dada, que de nombreux jeunes réfugiés tutsi en Ouganda se sont engagés dans les rangs du National Resistance Movement, la rébellion de Yoweri Museveni en Ouganda. 8 – Les accords d’Arusha prévoient la fusion des forces armées des deux parties, l’effectif de la nouvelle armée nationale étant limité à 13 000 hommes dont 60 % proviennent des FAR (Forces armées rwandaises) et 40 % du FPR. Quant aux postes de commandement, ils sont attribués à parts égales (50 %-50 %) aux deux parties, le poste de chef d’état-major de l’armée revenant aux FAR. L’effectif de la gendarmerie est limité à 6 000 hommes, composé de 60 % des FAR et 40 % du FPR, avec les postes de commandement répartis équitablement (50 %-50 %) entre les deux parties, le poste de chef d’état-major de la gendarmerie revenant au FPR. 3 – Les soldats français quitteront officiellement le Rwanda en décembre 1993, mais quelques membres des unités spécialisées, notamment dans l’espionnage et les écoutes, resteront sur place. Un « officieux », Paul Barril, ex-gendarme de l’Élysée, sera également présent pendant cette période aux côtés des extrémistes hutu. 4 – Direction générale des services extérieurs, ex-SDECE (Service de docu- mentation extérieur et de contre-espionnage) qui a changé de nom en 1981, service secret autrefois très interconnecté avec les « réseaux Foccart » et qui a gardé cet héritage. La DGSE est toujours utilisée pour gérer les néocolonies par un système fondé sur la corruption généralisée. 5 – Ce que Robert Galley, ancien ministre de la Coopération, avouera à la Mission parlementaire : « Les premières attaques du FPR [...] ont été stoppées par les parachutistes français» (audition du 13 mai 1998). Mission parlementaire d’information sur le Rwanda (rapporteurs Pierre Brana et Bernard Cazeneuve), Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), Assemblée nationale, 1998. 6 – « Notes sur l’aspect social du problème racial indigène au Rwanda » connu sous le nom de Manifeste des Bahutu. F. Nkundabagenzi, Le Rwanda politique (1958-1960), CRISP , Bruxelles, 1961. et à la dictature du MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement)9. L’Élysée en revanche se posait en soutien inconditionnel des extrémistes hutu. Habyarimana, surnommé « l’invincible », était lui-même menacé par les extrémistes de son propre parti, par la famille de son épouse et ses proches (son akazu ou « maisonnée »), irréductiblement hostiles à tout partage du pouvoir10. Utilisant un double langage, l’Élysée travaillera en sous- main à l’échec des négociations d’Arusha11. Le ministre de la Coopération de l’époque, Marcel Debarge, appellera les Hutu de l’opposition à faire front commun contre le FPR, lors de son passage à Kigali le 28 février 199312. C’était en quelque sorte un appel à constituer un « front de race » contre les Tutsi. C’est l’acte de naissance du mouvement Hutu Power, qui rassemblera tous les partisans de l’intégrisme racial antitutsi des différents partis de l’opposition démocratique. J’aurai l’occasion d’y revenir. L’horreur indicible Le 6 avril 1994, Habyarimana rentre d’Arusha où il a une nouvelle fois promis d’appliquer les accords. Au moment d’atterrir, son avion, un Falcon 50 « cadeau » de François Mitterrand, est touché de plein fouet par une roquette et tombe dans les jardins même de la Présidence. Il n’y aura 18 19 aucun survivant13. Un quart d’heure après commencent les premiers assassinats ciblés conduits par la garde présiden- tielle sous le commandement de fait du colonel Bagosora14. Les maisons des personnalités de l’opposition démocratique hutu sont fouillées et la garde présidentielle procède à l’élimination par familles entières. À 21h15, les Interahamwe ont déjà installé des barrages et les Tutsi y sont systématiquement tués. Alors qu’ils étaient supposés avoir quitté le Rwanda en décembre 1993, de 40 à 70 soldats français sont encore présents15. Dès le lendemain de l’attentat « quatre soldats français montaient la garde devant le domicile de Habyarimana, tandis que les visiteurs étaient accueillis et raccompagnés par des membres de la garde présidentielle»16. Le Rwanda vient de sombrer dans une horreur longuement pensée et prémé- ditée 17. Les autorités rwandaises auront acheté pendant le seul mois de février 1994 plus de machettes que pendant 13 – Les auteurs de l’attentat font l’objet de controverses. Je fais une mise au point dans La Nuit rwandaise, op. cit. 14 – Théoneste Bagosora est diplômé de l’École des officiers de Kigali avec le grade de sous-lieutenant. En France, il a fait l’École de guerre et en est titulaire du « brevet d’études militaires supérieures ». Au Rwanda, il a successivement occupé les fonctions uploads/Politique/la-guerre-secrete-de-l-x27-elysee.pdf

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