Les élections présidentielles de 2002 en ont témoigné : le "populisme" occupe d
Les élections présidentielles de 2002 en ont témoigné : le "populisme" occupe désormais une place prédomi- nante dans les commentaires politiques pour désigner des phénomènes qui, à l'instar du Front National (FN), étaient jusqu'alors pensés comme relevant de l'extrême droite. Le terme paraît certes pouvoir décrire un phéno- mène politique qui bouscule le clivage droite-gauche, en empruntant à l'une et à l'autre de leurs traditions poli- tiques, tout en leur donnant une expression qui leur est étrangère : "solution autoritaire" via le pouvoir d'un lea- der et l'appel au "peuple", le tout s'accomplissant par- delà toutes les médiations établies et contre les représentants politiques en place. S'il est rappelé parfois que la mobilisation s'effectue sur des propositions natio- nalistes, xénophobes sinon racistes, "inentendues" depuis longtemps sous cette forme ("préférence natio- nale", "la France aux Français"), cette dimension tend à disparaître derrière la singularité des liens unissant le lea- der à ses adeptes. C'est cette caractéristique, réputée découler du "charisme" du chef, qui retient toutes les attentions et sert à rendre compte de l'engouement naïf ou subjugué des groupes populaires pour des thèses contraires aux idéaux démocratiques, les amenant à commettre l'impensable et l'irréparable : voter en faveur du FN et jouer contre la démocratie. On voudrait mon- trer ici combien cette conception des raisons du succès frontiste repose sur des illusions très mal fondées et avance des explications qui n'ont pour elles que l'appa- rence de la plausibilité scientifique. Non seulement elles Le peuple ennemi de la démocratie? Grand Lyon - Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération 5 3 Économie & Humanisme Le populisme en question Muséum d’histoire naturelle de Lyon Le populisme en question Nouvelles interrogations appauvrissent considérablement la compréhension de ce qu'est concrètement le FN, mais elles imposent une vision normative de la démocratie, empêchant d'entre- voir les sources empiriques de sa vulnérabilité ailleurs que dans le peuple lui-même : par exemple, dans les élites sociales et politiques ou dans la spécificité des pra- tiques du FN. La mobilisation en faveur du FN : un effet de propagande ? Ce serait donc le charisme de Jean-Marie Le Pen qui "ali- menterait" la séduction de ses thèses auprès de groupes populaires. Tout comme une cohérence est postulée entre les idées qu'affichent les dirigeants frontistes et les pratiques politiques qu'ils adoptent 2, l'émergence et la durabilité politique d'un tel mouvement sont recher- chées dans la cohérence des idées et des valeurs entre le "chef" et ses troupes populaires, plutôt comprises comme un effet de propagande ou de communication. D'une part, cela revient à accréditer ce que le FN, à tra- vers son leader, prétend être et représenter : "exprimer les mécontentements populaires". Sa prétention à porter les préoccupations populaires se voit ainsi ratifiée par d'autres que lui, à un moment où tout son problème est justement de faire oublier son passé extrémiste, de refu- ser l'étiquette d'extrême droite et de se faire admettre dans le jeu politique, que ce soit sous la figure de la crainte et de la menace étant de peu d'importance. L’exposé Annie Collovald1 1. Professeur en science politique, Université Paris X-Nanterre. Conférence donnée le 4 mars 2003. 2. Ce qui est déjà plus que problématique puisque, dès lors, les réalisations accomplies deviennent la conséquence logique d'un " programme" préexistant ou le résultat naturel des " intentions" préalables. Grand Lyon - Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération 5 4 Economie & Humanisme Le populisme en question Muséum d’Histoire Naturelle de Lyon D'autre part, comme le remarquait un historien du nazis- me, cette explication est "plausible seulement en appa- rence". Des travaux classiques de sociologie politique (ceux de Paul Lazarsfeld, par exemple) ont déjà réfuté une telle manière de comprendre les préférences poli- tiques, en montrant que si endoctrinement il y avait, il ne convainquait que les plus convaincus 3 ; mais des travaux d'historiens sur le nazisme (le régime où ce type d'analy- se semble le plus aller de soi) en ont souligné toutes les limites. Des crimes effroyables pouvaient être déterminés non par adhésion à l'idéologie nazie, mais par conformis- me au groupe et accomplis par des "hommes ordinaires" et non par des idéologues nazifiés4 . Des ralliements à Hitler pouvaient être motivés, certes, par des croyances, mais des croyances placées non pas dans la magie de son verbe et de ses thèses, mais dans des calculs politiques fondés sur son image d'"homme sans qualité " qui, à ce titre, laissait envisager qu'il pouvait être tenu et manipulé 5. De tels travaux prennent à contre-pied les explications ordinaires du "populisme" sur le "charisme" et sur les conditions d'acceptabilité de thèses extrémistes. Tout d'abord, les raisons du succès du FN ne se trouvent pas dans le FN, mais dans la configuration politique dans laquelle il est inscrit. Contre cette forme de dépolitisation de l'analyse, qui consiste à isoler le FN du reste du jeu politique pour ne se focaliser que sur les seules relations entre le chef et ses troupes, c'est l'ensemble de la concur- rence entre les élites politiques qu'il convient d'examiner, pour repérer les transformations opérées entre hier et aujourd'hui dans ce qu'il est acceptable ou non de dire et de faire en politique. " les retraductions multiples des thèmes comme la sécurité et l'immigration n'ont pas manqué de contribuer à la légitimation des thèses lepénistes " Sous cet angle, les réappropriations et retraductions mul- tiples des thèmes comme la sécurité et l'immigration, qu'ont accomplies depuis une quinzaine d'années les partis de droite et de gauche, n'ont pas manqué de contribuer à la légitimation plus ou moins involontaire des thèses lepénistes en les posant en seuls problèmes centraux auxquels est affronté désormais l'ordre démo- cratique. Ensuite, ces travaux montrent qu'il n'y a pas de disposition sociale à l'autoritarisme ou de détermination sociale à une orientation idéologique. C'est pourtant ce que mettent en avant les analyses électorales qui trou- vent les causes du succès du FN dans le ralliement de groupes populaires aux thèses de J.-M. Le Pen. Les défauts autoritaires du populaire La récurrence des rappels, depuis 1995, que le FN est le premier parti ouvrier témoigne de cette inclination à expliquer la vigueur électorale du FN par sa nature ou son essence sociale. Plusieurs remarques s'imposent ici. Il est certes tout à fait plausible (et même certain) que don- nent leur voix au FN des membres des classes populaires (même élargies aux employés et aux chômeurs dont il faut cependant indiquer, pour ces derniers, que leur caté- gorie de regroupement est purement administrative et qu'elle ne renseigne en rien sur leur appartenance socia- le). Mais invoquer sans cesse le "populaire" conduit à le mettre là où il n'est pas forcément. Insister, comme les électoralistes s'y emploient, sur le fait que 30 % des membres des groupes populaires sont électeurs du FN, taux-record supposé atteint lors des pré- sidentielles de 1995, revient à prendre une minorité pour le tout de l'électorat frontiste (puisque, à suivre leurs chiffres, 70 % n'appartiennent pas aux classes populaires) et à homogénéiser un électorat qui, comme tout électo- rat, est composite socialement. Il convient d'ailleurs de rappeler que ce chiffre résulte de sondages sortie des urnes " et non d'une réalité effective démontrée à partir de l'examen des bureaux de vote : sur cette base, le chiffre a été revu considérablement à la baisse (21 %). " si le taux de pénétration du FN dans la catégorie “ouvriers” est de 30 %, alors 70 % d'entre eux ont été sensibles à d'autres partis " En outre, ce " peuple mis en oriflamme " est la part res- tante des diverses tactiques de dissimulation à l'œuvre parmi les professions indépendantes et les catégories intermédiaires ou supérieures, dès que leur est demandé d'indiquer leurs préférences partisanes ; a fortiori pour un FN unanimement présenté comme socialement et politi- quement indigne (rappelons que 30 % des personnes sol- licitées refusent aujourd'hui de répondre à des sondages). Enfin, dernier oubli plus que malencontreux : si l'on veut bien admettre que le taux de pénétration du FN dans la catégorie sociale "ouvriers" est de 30 %, alors cela signifie que 70 % d'entre eux ont été sensibles à d'autres partis que le FN et que, parmi l'ensemble des membres des classes populaires en mesure de voter, ces chiffres "importants" n'en concernent qu'une maigre par- tie, la plupart ayant préféré l'abstention. C'est ainsi l'abs- tention qui est "le premier parti ouvrier" et non le FN : c'est la relégation politique ou l'indifférence à l'égard de la politique qui structurent le rapport des défavorisés à la politique et non l'acquiescement à une protestation auto- ritaire. Reste que l'insistance des électoralistes "force" ainsi le FN à entrer dans les catégories populaires et, l'y ayant fait entrer, confère une reconnaissance populaire à des idées, voire des idéaux, qu'ils ont eux-mêmes posés comme exemplaires de la marque frontiste (ordre, sécurité, ethno- centrisme) ; ils transforment alors en "demandes popu- laires" les thèses autoritaires promues par J.-M. Le Pen, avec une certitude d'autant plus grande que ces thèses, retravaillées en "lutte contre l'immigration uploads/Politique/ textes-collovald.pdf
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- Publié le Mai 29, 2022
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