1 Système pénal marocain Les lois pénales en vigueur au Maroc entretiennent off
1 Système pénal marocain Les lois pénales en vigueur au Maroc entretiennent officiellement avec le modèle libéral de politique criminelle une forte relation que manifestent notamment la proclamation du principe de légalité, le monopole étatique de la violence légitime, les mécanismes sensés assurer la protection des justiciables contre l’arbitraire, etc. Mais les lois pénales ne renseignent que sur l’apparence. Elles sont disqualifiées pour rendre compte d’une réalité qu’elles ont souvent du mal à réguler. 2Le sujet dépasse ce que les dispositifs répressifs laissent voir. Il dépasse même la matière pénale. Pour avoir des chances de l’aborder utilement, il est plus indiqué de s’interroger particulièrement sur l’origine et l’intensité des rapports que l’ordre juridique marocain dans son ensemble entretient avec l’idéologie libérale. Si l’on considère que ces rapports ne sont qu’un simple effet collatéral de la transposition au Maroc du droit d’origine française, la discussion autour de l’écart pris par le système pénal avec les fondamentaux du modèle de référence n’a pas de raison d’être engagée. En revanche, s’il est juste supposé que le contexte national ne fut pas neutre dans ce processus, alors devient-il légitime de prendre la mesure de l’effet que les vicissitudes politiques ont produit sur le système pénal et les involutions juridiques qu’elles ont pu inspirer au législateur. Les vicissitudes politiques 3Le choix du modèle libéral de politique criminelle doit, pour des raisons historiques, être rapporté à la préexistence d’un large consensus politique entre les diverses composantes du Mouvement national sur les fondamentaux de la Nation. D’où sa force incontestable. Par son contenu, cependant, un tel consensus qui n’a porté que sur le projet de société sans d’autres précisions n’est rien de plus qu’une somme de bonnes intentions incapables de résister aux fluctuations des rapports de force. Les bonnes intentions 4Le discours du Mouvement national en est farci. Il traduit une aspiration libérale exprimée pendant le Protectorat et qui a reçu un début de réalisation aux lendemains du retour à l’indépendance. 173 Particulièrement sous l’effet de ce que J. Berque a appelé, dans son livre Le Maghreb entre deux gu (...) 174 M. Mouaqit, « Liberté individuelle et système politique et social marocain », op. cit., p. 47 ; Add (...) 175 M. Mouaqit, « Liberté individuelle et système politique et social marocain », op. cit. 2 Système pénal marocain 176 R. Montagne, « La crise nationaliste au Maroc », Politique étrangère, n° 6, 1937, vol. II, p. 535-5 (...) 5L’aspiration libérale est exprimée dans les principaux documents élaborés à l’appui de la revendication des réformes, d’abord, et de l’indépendance, ensuite173. De la phase où il se contente d’exprimer son rejet de la « greffe artificielle par voie d’acculturation174 », le Mouvement national passe à une phase plus résolue où sont foncièrement associés « le projet d’une libération nationale (et) le projet d’édification d’un État moderne 175 ». Le plan des réformes du 1er décembre 1934 s’appuyait sur l’idée de liberté pour rappeler le Protectorat à son devoir176. Le Traité de 1912 l’engageait à respecter la souveraineté du Royaume et à introduire les réformes nécessaires. En réalité, c’est vers l’instauration d’une véritable administration directe du pays que convergeaient toutes les mesures prises par l’occupant. Il était alors progressivement apparu que la synthèse entre l’idée de liberté et les termes du Traité de protectorat conduisait à l’impasse. Comme son nom l’indique, le Plan de réformes ne remettait en cause que les pratiques du Protectorat et non sa présence. Il a fallu attendre le texte du Manifeste de l’indépendance du 11 janvier 1944 pour qu’au nom de la liberté, et d’elle seule, l’indépendance du Royaume soit revendiquée. 177 Après son retour d’exil, le roi prononce le 18 novembre 1955 un discours- programme où il trace les (...) 6D’un document à l’autre, l’évolution est considérable. Le contenu du consensus se détache de la pesanteur de la conjoncture pour proposer une vision ouverte sur l’avenir. À l’unisson, le recouvrement de l’indépendance est considéré comme le préalable nécessaire à l’édification d’un État moderne et démocratique. Les signataires du Manifeste proposent « de laisser à Sa Majesté le soin d’établir un régime démocratique […] garantissant les droits de tous les éléments et de toutes les classes de la société marocaine et définissant les devoirs de chacun ». Le sultan, qui avait béni l’esprit et la lettre du Manifeste, a repris ensuite à son compte les idées émancipatrices qu’il contenait. Il a confirmé son engagement dès son retour d’exil. Le consensus réalisé et maintenu autour de l’idée de liberté pendant la présence des puissances étrangères pouvait s’inscrire dans la durée et recevoir dans les meilleurs délais la concrétisation nécessaire. C’est dans la fidélité à cette idée que Mohammed V promet en 1955 de mettre en place « ungouvernement responsable et une représentation chargée de créer des institutions démocratiques émanant d’élections libres, basées sur le principe de séparation des pouvoirs dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle qui garantit aux Marocains de toutes confessions les droits du citoyen et l’exercice des libertés publiques et syndicales 177 ». 178 Sur la dissolution du Parti communiste marocain par la cour d’appel de Rabat qui motive son arrêt p (...) 3 Système pénal marocain 7La réalisation de l’aspiration libérale s’est traduite tout naturellement par le rejet effectif de certaines formes de gouvernement qui ne suscitaient pas l’engouement de l’élite politique et dont aucune ne pouvait être adoptée sans générer des conséquences indésirables à l’interne et à l’international. L’instauration d’un régime islamique fut écartée. D’ailleurs, elle n’avait été que timidement suggérée par le Manifeste de 1944 qui revendiquait la mise en place d’un régime de gouvernement similaire à celui « des pays musulmans d’Orient » et le bienfait « de libertés démocratiques conformes à notre religion ». La formule présentait en effet le risque de cantonner la monarchie dans la sphère du spirituel et risquait surtout d’inquiéter les pays voisins du Nord peu enclins à accepter l’établissement d’un régime califal à quelques kilomètres de leur frontière sud. À son tour, la formule de la démocratie populaire en vogue à l’époque dans les pays du Tiers-monde ne fut même pas envisagée. L’idéologie communiste était d’ailleurs ouvertement rejetée, voire même combattue. Curieusement, le réquisitoire élaboré à cette fin s’appuya particulièrement sur des considérations d’ordre religieux. Le communisme fut en quelque sorte délégitimé au nom de l’Islam sans opposition ni même contestation de la part d’acteurs politiques pourtant liés par le consensus autour de l’idée de liberté178. Avec le recul, leur acquiescement peut probablement s’expliquer par les menaces que l’instauration d’une démocratie populaire comportait. L’abolition éventuelle du pluripartisme risquait de scier la branche sur laquelle la majorité de l’élite politique avait confortablement pris place. 8La réalisation effective de l’aspiration libérale présentait d’ailleurs l’avantage de la facilité. Elle n’exigeait ni débats jugés inutiles, ni recherche aléatoire sur la tradition juridique. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Il suffisait pour cela de reconduire les dispositifs légués par le Protectorat ou, à la limite, de puiser à la source même et de transposer au Maroc les règles alors en vigueur en France. À cet effet, l’État pouvait compter immédiatement sur des ressources humaines qui n’avaient aucune prédisposition à se mobiliser pour un autre projet. Il s’agit principalement des conseillers techniques que la France avait mis à la disposition des autorités marocaines dans le cadre de la coopération bilatérale ou de ce qui s’appelait alors « l’indépendance dans l’interdépendance ». Derrière eux s’activait avec enthousiasme toute une génération de « juristes marocains » en herbe enthousiasmés par l’opportunité d’occuper les places avantageuses de magistrat, de fonctionnaire ou d’avocat libérées par les hommes du Protectorat. Ceux-là ne pouvaient qu’applaudir la reconduction du droit de l’État protecteur avec lequel ils pensaient avoir appris à se familiariser ou auquel ils étaient disposés à s’habituer avec le temps. L’histoire aura un jour à nous dire si, pour une partie au moins, ces recrutements à l’avenant et les promotions accordées aux heureux élus de l’époque, sous la contrainte de l’arabisation et de la marocanisation décidées dans la précipitation en 1965, ne sont pas à l’origine des difficultés que la justice marocaine peine encore aujourd’hui à surmonter. 4 Système pénal marocain 179 Et dont rend compte en 2006 le rapport de l’Instance équité et réconciliation. En effet, lorsque ce (...) 9C’est dans le même mouvement que fut reconduite la législation pénale léguée par la Protectorat avant que le Maroc ne se dote de ses propres codifications des règles de droit pénal et de procédure pénale fortement inspirées du modèle libéral de politique criminelle. De ce modèle, le système pénal marocain tire encore aujourd’hui la force qui l’aide à durer. En même temps, le rapport des forces politiques lui a inoculé dès le début les germes des déséquilibres, des reculs et des déficits dont son corps continue de porter les indélébiles marques179. Le rapport des forces 180 « 50 ans de développement humain et perspectives 2025 », rapport général, L’Avenir se construit et (...) 10Le consensus entre les forces politiques portait sur l’idée de la liberté uploads/Politique/ systeme-penal-marocain-les-vicissitudes-politiques.pdf
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- Publié le Apv 28, 2021
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