Nicolas Hulot Septembre 2011 Chers amis, La confiance que vous me portez et l’e

Nicolas Hulot Septembre 2011 Chers amis, La confiance que vous me portez et l’estime que j’ai pour chacune et chacun d’entre vous m’obligent à une expression sincère, confidentielle et presque intime. J’avais prévu une rencontre très prochaine avec l’ensemble des soutiens à ma candidature à la Primaire de l’écologie, tout au moins ceux qui le désiraient. Avec Jean-Paul Besset, Pascal Durand et Annabelle Jaeger, nous avons décidé d’y surseoir. Parce que vous faire vous déplacer, de loin pour nombre d’entre vous, sans pouvoir vous faire part de décisions concrètes, juste pour croiser nos doutes et notre dépit, nous semble un peu désinvolte et irrespectueux. A vous seuls je dois la vérité sur mon état d’esprit, laissant aux autres les commentaires construits sur l’ignorance ou le fantasme. Une fois passée la surprise de l’échec à la Primaire, une tristesse mêlée d’un sentiment de gâchis m’a progressivement envahi, me laissant, probablement comme certains d’entre vous, assez dépourvu sur la suite à envisager. Ni l’amertume ni le ressentiment ne font pas partie de mon arsenal affectif car je les sais contreproductifs et destructeurs. Cela n’empêche pas une analyse objective et intransigeante des événements qui ont ponctué cette Primaire. Un échec est une expérience salutaire si on en tire les leçons. Ma vie, banalement, s’est faite d’épreuves, de joies, de succès, d’échecs et je crois avoir toujours su assumer mes erreurs quand ma responsabilité était en cause. Ceux qui me connaissent savent que je suis mon pire critique, frôlant parfois l’insatisfaction chronique. Mais je n’ai pas pour autant le goût de l’humiliation gratuite. Dit autrement et crûment, je crois que ni moi, ni vous, ni encore moins l’équipe de campagne qui m’a si amicalement soutenu n’avons la moindre chose à nous reprocher. L’issue de cette Primaire était écrite. Un ou deux mois supplémentaires n’y auraient rien changé. C’est ma seule certitude. Non seulement la greffe n’a pas pris mais il y a eu rejet. Affirmer cela n’est pas faire injure à votre mobilisation et à votre soutien indéfectible. C’est encore moins les ignorer. S’il n’y avait pas eu ces 40% de voix, je ne serais pas aujourd’hui dans cette situation de doute, ma route serait claire. Mais pardonnez-moi de ne pas oublier cette impression d’être mis en examen que j’ai parfois ressentie pendant ces mois passionnants et éprouvants. L’impression d’être un corps étranger suspect, contraint de démontrer régulièrement sa bonne foi. Au terme de vingt ans d’engagement bénévole sans relâche, il y a de quoi être blessé. Dans un travail collectif, la confiance est la vertu première. Beaucoup m’ont exprimé leur méfiance, quelques-uns ont trahi ma confiance. La parole que l’on donne à une personne est aussi précieuse que celle qu’on livre à tous les Français. Si je fais référence à ce climat, ce n’est pas par rancœur mais parce que l’ignorer serait une faute pour l’avenir. Il est symptomatique et lourd d’enseignements. Je sais qu’en regard de la chaleur, de l’encouragement, du dévouement qui ont aussi convergé vers moi, tout cela peut paraître dérisoire. Mais derrière cette attitude majoritaire se dessine un état d’esprit qui conditionne une ligne politique avec laquelle je suis en profond désaccord. L’ouverture d’esprit préfigure l’ouverture politique. S’ouvrir n’est pas se renier, c’est offrir la possibilité à l’autre de partager à un moment donné des convictions sans le culpabiliser de ne pas l’avoir fait plus tôt. Nous devons être les artisans de la réconciliation nationale car elle est indissociable des choix de sociétés drastiques que nous avons à faire. Je crois d’abord en l’autonomie de l’écologie politique pour la bonne et unique raison que notre diagnostic est unique, que notre vision est unique et que les modalités pour sortir de la crise le sont tout autant. Partager des valeurs avec certains est certes essentiel mais ne suffit pas à construire ensemble une transition et ne justifie pas une aliénation par anticipation. A quoi bon mener campagne si, par avance, nous nous résignons à accepter quelques offrandes de situations au détriment de réformes structurelles et structurantes ? A quoi bon mener campagne si nous renonçons à croire en nous ? A quoi bon mener campagne si nous décidons à l’avance de nous soumettre et si nous désignons par avance ceux à qui nous nous soumettrons ? Au passage, je n’ai qu’un regret dans cette campagne, presque un reniement dont je suis peu fier. Lors de « l’affaire Borloo », à La Rochelle, j’aurais dû assumer et non pas me justifier comme si j’avais dit ou commis l’irréparable. Je ne veux pas chasser de ma mémoire mon arrivée au centre des Congrès, conspué par l’équipe d’Eva avec des mots que je préfère ignorer. Qu’avais-je dit la veille qui méritait un tel opprobre ? Simplement que l’éventualité d’une association avec Jean-Louis Borloo avait été évoquée entre lui et moi et que je n’avais pas donné suite. La belle affaire ! Et mes discussions avec DSK, avec Rocard, avec Besancenot, ou bien avec Chirac et le président actuel, tout cela est-il banni dès lors que l’on fait un choix politique ? Doit-on désormais vivre et discuter en vase clos ? Ce ne sera jamais ma conception de la politique. Parler n’est pas se compromettre ni abdiquer ses convictions. C’est aussi chercher à comprendre ou à convaincre. Seul compte que sa conscience demeure. Dialoguer avec ses adversaires, c’est aussi mesurer l’espace qui nous sépare et, peut-être, trouver le chemin que pourraient emprunter ceux qui voudraient nous rejoindre. Pour moi, l’écologie est un tout, pas simplement un programme politique et partisan. Elle se fonde sur des valeurs, principalement de solidarité, mais aussi de respect et notamment de respect de la différence. On appelle cela la tolérance et j’avoue que, parfois, dans cette Primaire, je l’ai cherchée, trouvant quelquefois de la tolérance avec l intolérance... Peut-être que je sacralise à outrance l’écologie. Je ne peux me résoudre à la réduire à une offre politique supplémentaire, comme une niche que l’on occupe à défaut d’une autre. Je l’ai dit à Lyon, sans être entendu, dans une brève intervention lors de la création d’EELV. L’écologie doit être la troisième dimension de la politique. Elle porte en elle ni plus ni moins que l’espoir de l’humanité, l’avenir du vivant. Elle ne peut souffrir des affres de la petite politique. Elle condamne à grandir, elle nous oblige à changer, à nous changer d’abord. Je crains que certains n’y soient pas prêts. L’enjeu n’est pas une vulgaire affaire d’appareil ou un simple combat idéologique. L’écologie et ceux qui la portent doivent incarner sans relâche les valeurs qui lui sont associées, sous peine d’être perçus comme les simples exploitants d’un territoire politique à des fins purement partisanes. Je n’ai pas toujours senti cette volonté s’exprimer. Comment mener nos concitoyens vers le changement profond auquel nous sommes confrontés si nous n’offrons pas un univers accueillant, hospitalier et indulgent ? Comment leur rendre le changement évident si l’on rejette les vertus de la pédagogie ? Comment leur faire croire en leur salut si nous-mêmes semblons anéantis ? Dans le bruit de fond médiatique d’où n’émerge parfois que l’insignifiant, comment essayer de réintroduire du sens ? Comment conduire chacun et tous à redéfinir les fins ? Comment collectivement reconsidérer le rôle de l’économie et du travail, la notion de progrès et de vivre-ensemble ? C’est tout cela, qui peut paraître hors-sol ou secondaire, que nous devons pourtant inlassablement remettre au cœur du débat public. Simplement parce que nous sommes les seuls à savoir intiment que là est l’essentiel. Si j’ai décidé au printemps d’être candidat, on m’accordera que ce n’était pas pour satisfaire une ambition narcissique. Si j’ai renoncé à ce moment-là à tout ce que j’avais construit depuis vingt ans, c’est que, pour la première fois, je pensais que cet engagement pouvait faire sens. Je n’ai ni la prétention ni la naïveté de m’imaginer en homme providentiel et de me doter soudainement de l’expérience, des qualités et des compétences des vieux routiers de la politique. Je connais mieux que quiconque l’étendue de mes lacunes. Je mesure chaque jour l’intelligence de nombre de mes interlocuteurs politiques ou économiques. Mais je m’effraie à chaque instant de leur tragique ignorance des enjeux écologiques, qui demeurent chez eux une préoccupation optionnelle. Je pensais, à ce carrefour de crises, être le plus à même de rappeler ou de convaincre le plus grand nombre que l’enjeu écologique conditionne tous les enjeux de solidarité actuels ou à venir. Dès lors, je pensais être en mesure de rendre pertinentes et envisageables les mesures radicales et profondes de la mutation écologique. Je pensais avoir ce petit plus qui me permettait d’être audible et crédible, fruit d’un dialogue et d’un travail tissés avec les Françaises et les Français depuis plus de vingt ans. Comme me l’a dit un jeune des quartiers Nord de Marseille, « toi, on va t’écouter car on sait une chose : si tu es venu en politique, tu n’as rien à y gagner. » Ce crédit de confiance, même limité, était pour moi une pierre précieuse inestimable qu’il fallait nourrir uploads/Politique/ lettre-de-nicolas-hulot.pdf

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