1 L’acte du chef d’Etat tunisien entre légitimité et légalité : Une approche po

1 L’acte du chef d’Etat tunisien entre légitimité et légalité : Une approche post-positiviste Le 25 juillet 2021, la Tunisie a connu un évènement très important dans son histoire. Après la descente du peuple et les manifestations étendues dans tout le pays contre la crise que vivait la Tunisie sur tous les plans (politique, économique, sanitaire, social…), le chef d’Etat, Kais Saied, a annoncé qu’il s’est basé sur l’article 80 de la constitution pour pouvoir geler les compétences de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) et limoger le chef du gouvernement en rassemblant tous les pouvoirs, exécutif, législatif (par le recours à la technique du décret-loi) et même juridictionnel puisqu’il a pu s’ériger en tant que chef du ministère public pour pouvoir poursuivre les affaires cachées de corruption. Un évènement spectaculaire qui était salué par une majorité du peuple et des manifestations encourageant et consolidant les mesures prises sur la base de l’article 80 et l’état d’exception1. Ceci a engendré un clivage entre ceux qui ont accepté l’acte audacieux du président et ceux qui l’ont qualifié d’un coup d’état à l’image égyptienne de Abdel Fattah el-Sisi en 2013. Cet évènement a été prévu devant l’Assemblée Nationale Constituante tunisienne en discutant de cet article évoquée comme la base de l’acte. C’est le député Mohamed Saïdi qui a suggéré l’insertion des mécanismes clairs afin d’éviter le scénario égyptien et le coup d’état sur la légitimité électorale2 contestant l’attribution d’un énorme 1 L’état d’exception se définit comme étant « une situation dans laquelle, en invoquant l’existence de circonstances exceptionnelles particulièrement dramatiques et la nécessité d’y faire face […] on suspend provisoirement l’application des règles qui régissent ordinairement l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics et l’on en applique d’autres ». TROPER (M.), Le droit et la nécessité, Paris, P.U.F., Coll. « Léviathan », 2011, p. 99. 2 « في خصوص صالحيات رئيس الجمهورية في حالة خطر داهم مهدد لكيان الوطن وأمن البالد79 كما أقترح مزيد من التدقيق في الفصل واستقاللها بإضافة آليات واضحة لرئيس الجمهورية عند االنقالب على الشرعية االنتخابية والتي ال بد من تجريم هذه العملية في الدستور حتى ال 2 pouvoir à la présidence de la république pour ne pas mener, encore une fois, à la dictature présidentialiste. Les compétences de président de la république n’étaient pas une question facile à appréhender puisqu’elle suscité un grand débat entre les experts mais fini par un consensus que la présidence de la république doit avoir des compétences importantes puisque comme l’a écrit Georges Vedel « on ne dérange pas des milliers d’électeurs pour choisir un inaugurateur de chrysanthèmes »3. Dans ce cadre, le doyen Yadh ben Achour a proposé qu’il ne faut pas vider totalement la présidence de la république de son pouvoir, il faut plutôt lui attribuer un pouvoir d’action et un pouvoir d’arbitrage entre les institutions étatiques4. C’est dans cette logique que s’inscrit l’article 80 de la constitution de 2014 qui attribue au président de la république un pouvoir d’action et sur la base duquel Kais Saied a pu déclarer ses mesures exceptionnelles. L’article 80 de la constitution de 2014, calqué de l’article 16 de la constitution française5, ne constitue pas une nouveauté par rapport à la constitution de 1959 dans sa toute première version qui disposait dans l’article 32 qu’ « En cas de péril imminent menaçant les institutions de la République, la sécurité ou l'indépendance du pays et entravant le fonctionnement normal des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures exceptionnelles exigées par les circonstances. Ces mesures cessent d'avoir effet dès qu'auront pris fin les circonstances qui les ont نترك الب اب مفتوحا لتكرار سيناريو مصر ال قدر هللا .» Délibérations de l’Assemblée Nationale Constituante (En arabe), T. II, p. 1136. 3 VEDEL (G.), Institutions politiques du monde contemporain, Paris, Les cours de droit, 1973, p. 198. 4 AL BAWSALA, MAJLES MARSAD, Documents, La commission du pouvoir exécutif et législatif et les relations entre eux, Rapport final, 19 Février 2013, p. 20, disponible sur التقرير النهائي للجنة السلطة التشريعية و السلطة ( التنفيذية و العالقة بينهماmarsad.tn), consulté le 27/7/2021. 5 Sur l’article 16 de la constitution française. V. PLATON (S.), « Vider l'article 16 de son venin : les pleins pouvoirs sont-ils solubles dans l'état de droit contemporain ? », R.F.D.C., n° 2, 2008/5, pp. 97-116. V. aussi FAVOREU (L.) et al., Droit constitutionnel, 21e éd., Paris, Dalloz, 2019, pp. 734-735. 3 engendrées. Le Président de la République adresse un message concernant ces mesures à l'Assemblée nationale »6. Cette version de la constitution de 1959 attribue un pouvoir d’appréciation très étendu au chef d’Etat qui, seul, va décider primo, de l’existence du péril, et secundo, des mesures appropriées. C’est avec la loi constitutionnelle n° 76-37 du 8 avril 1976 que la consultation du Premier Ministre et du président de l’Assemblée Nationale était exigée sans oublier les répercutions qui sont l’interdiction de dissoudre l’assemblée et l’interdiction de présenter une motion de censure contre le Gouvernement. Il convient de mentionner, dans ce cadre, que la loi constitutionnelle n° 81-47 du 9 juin 19817 a remplacé la notion de l’Assemblée Nationale par Chambre des Députés et la loi constitutionnelle n° 2002-51 du 1er juin 2002 a prévu la consultation d’un troisième organe qu’est la chambre des conseillers dans le cadre du recours à un bicaméralisme. Désormais, le chef d’Etat est lié dans la prise des mesures à la consultation de du premier ministre, la chambre des députés et la chambre des conseillers. Dans la constitution de la deuxième république, l’article 80 prévoit la consultation du Chef du Gouvernement et du Président de l’Assemblée des représentants du peuple voire l’information du président de la cour constitutionnelle. Cette dernière peut être saisie par le président de l’ARP ou par trente de ses membres après 30 jours de la prise des mesures8 pour statuer sur le maintien de l'état d'exception et ce dans un délai de 15 jours. En recourant à l’article 80, Kais Saied déclare ses mesures exceptionnelles et audacieuses mais il est légitime de savoir est-ce que cet acte est en conformité totale avec la constitution ? La réponse à cette question n’est pas aussi facile puisqu’elle dépend de l’ongle que prendra l’observateur. D’un point de vue légaliste pur, l’acte de Kais Saied est 6 Art. 32 de la constitution tunisienne du 1er juin 1959 (Première version). 7 La loi constitutionnelle n° 81-47 du 9 juin 1981, modifiant certains articles de la Constitution et remplaçant l'appellation « Assemblée nationale » par « Chambre des Députés ». 8 Il convient de dire que dans le projet d’article n° 52 du projet de constitution qui date du 13 Août 2012 se contente de prévoir la saisine de la cour constitutionnelle par le président de l’ARP seulement. 4 légalement faible puisqu’il a transgressé l’article 80 surtout dans son deuxième paragraphe mais on ne peut pas s’arrêter ici sans vérifier les circonstances politiques et sociologiques qui touchent à la formation du droit constitutionnel. Ce droit n’est pas figé dans une coquille purement légaliste, il fait appel à la politique et à des données a priori au-delà du droit dans son sens positiviste classique. C’est d’un point de vue post-positiviste qu’on affirmera que l’acte de Kais Saied était légalement faible (I), certes, mais légitimement accueilli dans une logique d’un nécessaire dépassement du légalisme pour atteindre un but légitime (II). I. Un acte légalement faible : La transgression partielle de l’article 80 de la constitution de 2014 Le chef d’Etat tunisien semble se fonder sur le principe de l’article 80 et le pouvoir d’appréciation qu’il lui attribue. De prime abord, cela constitue un recours légal sur la base d’un article constitutionnel (A) mais qui s’est vu contrarié par la substance des mesures qui vont à l’encontre des interdictions contenues dans l’article (B). A) Le départ basé sur les conditions de l’article 80 de la constitution L’article 80 prévoit deux conditions cumulatives qui sont premièrement l’existence d’un péril imminent9 et deuxièmement qui entrave le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Le péril imminent n’est pas spécifié dans cet article, il se contente de prévoir des exemples de menaces telle que l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays. S’agit-il d’une liste exhaustive ou limitative ? Logiquement, il s’agit d’une liste exhaustive puisque le péril imminent peut bien toucher une autre sphère. Il s’agit aussi d’une liste alternative dans le sens où l’existence d’une seule menace peut conduire automatiquement à l’état d’exception et 9 « Faits ou circonstances constituant une menace grave et immédiate pour l’intégrité, la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics tels une guerre civile, une invasion étrangère, une grève générale, un acte terroriste, une catastrophe naturelle ou toute autre circonstance grave rendant impossible l’exercice régulier des pouvoirs de l’Etat ». BEN ACHOUR (R.) (dir.), Dictionnaire des termes et expressions de la constitution tunisienne de 2014, Tunis, Université de Carthage, 2017, p. 267. 5 la prise des mesures convenables, comme l’a bien déclaré le rapporteur général de la constitution de 2014 dans les travaux préparatoires « Ici, toutes ces uploads/Politique/ l-acte-du-chef-d-etat-tunisien-entre-leg.pdf

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