Gertrude Lowthian Bell, les années d’apprentissage 1905-1914. Itinéraires et vo
Gertrude Lowthian Bell, les années d’apprentissage 1905-1914. Itinéraires et voyages en Syrie, en Mésopotamie et en Arabie. Gertrude Lowthian Bell constitue l’une des figures les plus fascinantes de ce groupe d’amateurs doués qui au cours des dernières années du dix-neuvième siècle et des premières années du vingtième parcoururent les provinces arabes de l’empire ottoman, souvent soupçonnés d’espionner pour le compte du gouvernement britannique.1 Les pages qui suivent ont pour objet de retracer ce que furent les étapes les plus marquantes de son expérience au Proche-Orient dans les premières années du vingtième siècle. Au cours de la première décennie du vingtième siècle apparaît un groupe informel constitué de personnalités appartenant à l’élite sociale et universitaire britannique et dont les préoccupations personnelles et professionnelles vont se rejoindre autour du thème de l’exploration géographique des provinces asiatiques de l’Empire ottoman. Autour de la figure de William Ramsay, professeur à l’université d’Oxford, archéologue et spécialiste de l’histoire des premières Eglises chrétiennes, auteur, en 1890 d’un ouvrage intitulé The Geographical History of Asia Minor publié avec le concours de la Royal Geographical Society et de l’Asia Minor Exploration Fund vont s’intégrer un certain nombre d’individus, dont David George Hogarth et Gertrude Lowthian Bell. Né en 1862, Hogarth rejoignit l’équipe de Ramsay en 1887 et, en 1897, fut nommé directeur de l’Ecole anglaise d’Athènes. Délaissant quelque peu les études archéologiques pures, il publia en 1902 The Nearer East, ouvrage commandé par la maison d’édition Heinemann pour sa collection Regions of the World, dans lequel il décrit les systèmes géologiques, orographiques, hydrologique de l’Asie ottomane ainsi que son organisation sociale et politique. En 1904 paraît The Penetration of Arabia, compilation exhaustive des récits des voyageurs en Arabie, depuis les premiers temps jusqu à la fin du dix-neuvième siècle. En 1908, il prit la succession de Sir Arthur Evans à la tête de l’Ashmolean Museum à Oxford. Hogarth accompagnera G. Bell tout au long de sa carrière et sera à l’origine de son recrutement par le Bureau Arabe du Caire au début de la première guerre mondiale.2 1 On pourra consulter à ce sujet, Ygal Sheffy, British Intelligence and the Middle East, 1900-1918 : How Much Do we Know ? Intelligence and National Security, 2002, 17:1, 33-52. 2 Sur D.G. Hogarth, voir C.R.L.Fletcher, David George Hogarth, President, R.G.S. 1925-1927, The Geographical Journal, vol LXXI ,n°4, 1928. H.V.C. Winstone voit en lui l’intermédiaire entre les services du renseignement nouvellement réorganisés et le monde de l’érudition universitaire. Il fut de ceux qui accompagnèrent les premiers 1 1 Gertrude Bell fut une des premières femmes diplômées de l’Université ; férue d’archéologie et d’épigraphie, elle rencontre en 1899 D.G. Hogarth par le truchement de sa sœur Janet et William Ramsay en 1900, avec lequel elle collabore lors des compagnes de fouilles dirigées par ce dernier dans le nord de la Syrie et cosigne un ouvrage intitulé A Thousand and One Churches. Ce groupe informel est ainsi constitué de professionnels de l’archéologie et d’amateurs éclairés dont G. Bell est une figure centrale mais non unique, jouissant d’une fortune matérielle leur permettant de voyager sans que les soucis d’intendance viennent contrecarrer leurs projets et caractérisés par leur appartenance à une élite sociale souvent proche des cercles les plus élevés du pouvoir politique.3 Son biographe Elizabeth Burgoyne peut ainsi écrire que ses amis et les proches de sa famille constituent une part non négligeable du Who’s Who. Parmi ses relations elle cite Sir Edward Grey, collègue de son père Hugh au Conseil d’administration de la Northern Railway Company, Valentine Chirol, son fidèle correspondant avec lequel elle s’entretient des problèmes diplomatiques de l’heure, et qui après 28 années passées au Foreign Office est devenu directeur du service étranger du Times,4 Cecil Spring-Rice, ambassadeur, Sir Franck Lascelles, ambassadeur lui aussi, Lord Roberts, futur commandant en chef des armées britanniques. On peut citer aussi Mark Sykes, fils d’un riche propriétaire terrien du Yorkshire avec qui elle entretint des relations exécrables et qui négocia les accords Sykes-Picot.5 Les personnages évoqués au cours des lignes qui précèdent ont, de par leur origine sociale ou la légitimité conférée par le prestige académique, un rapport de proximité avec les mécanismes du processus de décision en matière politique et diplomatique. Il ne s’agit pas de suggérer qu’ils puissent se trouver investis de missions précises, mais le détail de leur pérégrinations, en raison de la précision des informations dont ils pouvaient disposer, tant pour ce qui concerne la géographie des régions visitées que l’évolution des opinions publiques et l’appréciation des situations politiques, en font les auxiliaires précieux du stratège, du militaire et du diplomate, ainsi que des reflets fidèles des préoccupations de l’heure. Gertrude Bell en Syrie : The Desert and the Sown. 6 pas de la carrière de T.E. Lawrence et apparaît comme le mentor et l’inspirateur de voyageurs britanniques au Proche-Orient dans les années qui précèdent la première guerre mondiale. 3 Yves Brillet, L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche-Orient dans la seconde moitié du dix- neuvième siècle et au début du vingtième siècle. Lille Thèses ISSN :0294-1767. 4 Chirol est le fidèle Domnul de la Correspondance de Gertrude Bell. 5 Elizabeth Burgoyne, Gertrude Bell : from her Personal Papers, 2 vols, (Londres: Ernest Benn, 1958-1951) 6 Gertrude Bell, The Desert and the Sown, (Londres: Heinemann, 1907). 2 2 Dans sa correspondance à sa famille, publiée en 1927 par Lady Florence Bell, ainsi que dans ses carnets, G. Bell consigne de façon détaillée les impressions des pays et des populations qu’elle rencontre, donnant ainsi une indication du cadre dans lequel va s’opérer son rapport à la région. L’étude de cette correspondance, qui forme le substrat des ouvrages qu’elle rédigera une fois revenue en Grande-Bretagne, témoigne de sa capacité d’observation de l’état de la société et de sa faculté d’analyse des rapports entre les différents groupes qui la composent.7 Au cours des premiers mois de l’année 1905, G. Bell entreprend un long périple qui la conduit de Beyrouth et Haïfa à Damas puis à Konia et finalement Constantinople en passant par les régions situées à l’est du Jourdain, lui donnant ainsi l’occasion d’observer et d’analyser les changements à l’œuvre dans les provinces ottomanes. La société est tout d’abord pensée en termes d’opposition des sources d’autorité, ottomane et indigène, ce qui révèle une opposition plus générale entre l’administration et la population qui n’est pas non plus appréhendée comme une entité homogène, mais comme un ensemble composé de groupements séparés, entretenant des rapports complexes de proximité, d’interdépendances et d’opposition. Parmi celles-ci, elle note celle existant entre le monde urbain et le monde des campagnes, soulignant par exemple les écarts en matière de prononciation et de vocabulaire. Elle constate de même la séparation conflictuelle entre le monde sédentaire et le domaine nomade structuré par l’appartenance et la loyauté tribale. The Desert and the Sown est ainsi le résultat d’observations faites sur le terrain et une réflexion sur les pratiques du gouvernement turc et ses dysfonctionnements, ainsi que sur la place qu’occupe, ou pourrait occuper la Grande-Bretagne dans cet univers. Dans une rapide esquisse de l’évolution des rapports turco-britanniques, elle considère que la Grande-Bretagne aurait pu, avec des perspectives de succès non négligeables, prendre en main l’administration de la Syrie, tout en constatant que, dans l’ensemble, elle n’a rien fait pour endiguer la baisse de son prestige. Reprenant les critiques formulées traditionnellement à l’encontre de la politique de la Grande-Bretagne, par un discours de la méthode où elle analyse les moyens et les effets, elle conclut que le déclin de l’influence britannique à Constantinople est dû à un manque de lisibilité et de cohérence.8 7 The Letters of Gertrude Bell, selected and edited by Lady Bell, 2 vol, (Londres : Ernest Bell, 1927) Cette édition, fruit du choix opéré par Lady Bell est maintenant enrichie par l’immense travail de mise en ligne de l’ensemble des carnets et de la correspondance effectué par l’université de Newcastle. Voir le site www.gerty.ncl.ac.uk 8 G. Bell, The Desert and the Sown, xii : “Reluctant to accept the responsibility of official interference, we have yet permitted the irresponsible protests, vehemently expressed, of a sentimentality that I make bold to qualify as ignorant, and our dealings with the Turks have thus presented an air of vacillation that they may be pardoned for considering perfidious or for regarding with animosity.” 3 3 Ces considérations sur les ambiguïtés de la politique britannique la conduisent à proposer une nouvelle approche de la relation entre la Turquie et la Grande-Bretagne. Posant le principe de l’ existence d’un capital de sympathie de la part des populations à son égard, rappelant que son statut de grande puissance asiatique et musulmane l’oblige à élaborer une doctrine ferme et constante dans le cadre de ses rapports avec le chef de l’Islam, il lui paraît possible, en menant une politique sincère et adroite, de voir restaurer la confiance dont l’Angleterre jouissait à Constantinople. The Desert and The Sown n’est pas que considération de politique générale. C’est aussi le récit d’un périple à travers la steppe syrienne et les régions situées à uploads/Politique/ gertrude-bell-les-annees-d-x27-apprentissage-dr-yves-brillet.pdf
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- Publié le Jui 24, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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