L’altermondialisation (septembre 2006) Les travaux du CETRI de ces dernières an

L’altermondialisation (septembre 2006) Les travaux du CETRI de ces dernières années ont eu pour ambition d’aider à comprendre pourquoi et comment les multiples failles du modèle néolibéral de développement se sont traduites par un accroissement des mobilisations sociales aux quatre coins de l’Amérique latine de l’Asie et de l’Afrique. Ils ont également visé à mettre en évidence la capacité grandissante des acteurs sociaux du Sud à envisager la dimension mondiale des problèmes auxquels ils font face - en faisant le lien entre ces problèmes locaux concrets et des décisions prises à des milliers de lieues, dans l’ambiance feutrée des enceintes internationales ou dans le secret des bureaux des « experts du développement » -, et à construire des coalitions par-delà les frontières nationales afin de peser sur les rapports de force et les institutions qui comptent dans la phase actuelle de la mondialisation. Bref, à s’engager dans une démarche « altermondialiste »… L’altermondialisme : une convergence de luttes du Nord et du Sud L’altermondialisme est la convergence d’un ensemble fortement hétérogène de mouvements sociaux, d’ONG, de syndicats, de think tanks, d’églises, etc. en désaccord, plus ou moins profond, avec la gestion néolibérale du processus de mondialisation et à la recherche de nouvelles manières - plus démocratiques, solidaires et écologiques – d’envisager l’inévitable « vivre-ensemble mondial ». L’altermondialisme tire une grande partie de sa richesse en ce qu’il s’efforce de décloisonner des luttes se jouant sur des thèmes et dans des lieux géographiques afin qu’elles se renforcent mutuellement. Bien avant les manifestations spectaculaires de Seattle (1999) et de Gênes (2001), restées gravées dans la mémoire du public européen et nord-américain comme les « hauts faits » du mouvement altermondialiste, les luttes du Sud ont profondément marqué l’émergence de cette dynamique de convergence. En 1986 déjà, des milliers de paysans de la Via Campesina, d’Amérique latine pour la plupart, marchaient sur la ville de Punta del Este (Uruguay) où se tenait le dernier cycle de négociations du GATT. Quelques années plus tard, la radicalité pluraliste et démocratique véhiculée par l’insurrection zapatiste du Chiapas (1994) a servi de référence mobilisatrice pour des dizaines de milliers de militants altermondialistes à travers le monde et les « Rencontres intergalactiques contre le néolibéralisme et pour l’humanité » qui s’ensuivirent (1996 et 1997) sont considérés par d’aucuns comme les moments fondateurs de l’altermondialisme. D’un point de vue dynamique, l’altermondialisation peut être considérée comme la rencontre des campagnes internationales qui se sont développées à la fin des années 90 et qui ont amené des réseaux d’ONG, de mouvements sociaux et de syndicats des cinq continents à augmenter graduellement la fréquence et l’intensité de leurs collaborations en vue de répondre collectivement aux défis posés par la mondialisation néolibérale. Certaines de ces campagnes méritent d’être citées pour leur rôle de catalyseur dans la formation de cette internationale d’un nouveau type: la campagne contre l’AMI (Accord multilatéral d’investissement) en 1998, la campagne contre la dette du Tiers-Monde (voir encadré n°1) et la campagne contre la spéculation financière avec la création d’Attac suite à la crise asiatique de 1997-1998. Encadré n°1 : la campagne internationale pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde Si les premières manifestations sociales et gouvernementales d’opposition au remboursement de la dette remontent aux années 80 (avec la campagne « Ca suffat comme ci » de 1989 en France), la campagne internationale a pris un nouvel élan à la fin des années 1990, avec le lancement de la campagne Jubilé 2000 (avec le soutien de l'Eglise catholique et des Eglises réformées). En mai 1998, lors du G8, à Birmingham, 70 000 Britanniques manifestent pour l'annulation de la dette des pays pauvres à l'appel de Jubilé 2000 Grande-Bretagne. Cette demande a fait l’objet de la plus grande pétition de l’histoire de l’humanité, déposée en juin 1999 au G7 de Cologne, aujourd’hui passée à 24 millions de signatures. La même année, à Johannesburg, la campagne Jubilé Sud est officiellement fondée. Son siège est aux Philippines et elle regroupe des organisations de tous les continents du Sud (Asie, Afrique, Amérique latine ), coordonnées par pays et par continents. D'autres réseaux se créent dans plusieurs pays du Nord, notamment en France Belgique, avec le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde, qui essaimera au Nord (France, Suisse) et au Sud (notamment en Afrique de l'Ouest et centrale ainsi qu'au Maghreb). Ces réseaux se rencontrent lors de séminaires communs, de conférences internationales ou de manifestations, notamment lors des sommets du G7 et des Assemblées générales des Institutions financières internationales Source : Toussaint et Zacharie (2002), « La dette extérieure, mécanisme d’extraction des richesses », in Amin Samir et Houtart François, Mondialisation des résistances. L’Etat des luttes 2002, Paris, L’Harmattan. En janvier 2001, le premier Forum social mondial est organisé à Porto Alegre (Brésil), en contrepoint au Forum économique mondial tenu à Davos (Suisse) au même moment. Le Forum social mondial incarne une nouvelle étape dans le cheminement altermondialiste : il vise à mettre l’accent sur l’affirmation suivant laquelle « un autre monde est possible » en offrant à la galaxie de réseaux et d’organisations « antimondialisation » un espace de rencontre et d’échange résolument tourné vers la recherche d’alternatives à l’hégémonie mondiale du néolibéralisme (voir encadré n°2). C’est dans ce nouveau climat militant que le label « antimondialisation » cède progressivement la place à celui « d’altermondialisation », exprimant plus fidèlement la préoccupation de la majorité des militants de dépasser la posture dénonciatrice de la mondialisation économique en vue de se concentrer sur l’élaboration de propositions alternatives à celles-ci. Le succès du processus du Forum social mondial va rapidement dépasser toutes les espérances - les participants, au nombre de 20.000 en 2001, sont 50.000 en 2002, 100.000 en 2003, 130.000 en 2004… – ainsi que les frontières : des forums continentaux ont lieu en Europe (dès 2002), en Afrique (dès 2002) et en Asie (dès 2003). Parallèlement, la stratégie d’ « essaimage » des forums sociaux voulue par les organisateurs se traduit par la floraison de centaines de forums nationaux et locaux aux quatre coins du monde. Ceux-ci favorisent une participation plus large, notamment sur le plan social, une contextualisation des débats tenus à l’échelle mondiale et une valorisation des alternatives économiques et politiques « locales » à la mondialisation. Encadré n°2 : le 4ème principe de la charte du Forum social mondial Les alternatives proposées au Forum Social Mondial s’opposent à un processus de mondialisation capitaliste commandé par les grandes entreprises multinationales et les gouvernements et institutions internationales au service de leurs intérêts. Elles visent à faire prévaloir, comme nouvelle étape de l’histoire du monde, une mondialisation solidaire qui respecte les droits universels de l’homme, ceux de tous les citoyens et citoyennes de toutes les nations, et l’environnement, étape soutenue par des systèmes et institutions internationaux démocratiques au service de la justice sociale, de l’égalité et de la souveraineté des peuples. Si la participation des sociétés civiles du Sud à la dynamique altermondialiste a ses côtés problématiques – dans beaucoup de pays, en particulier en Afrique et dans le monde arabe, elle reste l’apanage d’une élite militante diplômée qui se distingue davantage par sa proximité avec les bailleurs de fond (les ONG du Nord) que par son enracinement populaire - elle est considérée par la majorité des militants comme un défi de première importance. En effet, l’altermondialisme est le creuset d’une lecture critique, globale et systématique du modèle de développement imposé au Sud depuis une vingtaine d’années - à savoir un modèle orienté vers la croissance économique accélérée à travers l’intégration à marche forcée au marché mondial. Nous l’avons vu dans les chapitres précédents, c’est l’application aveugle et indiscriminée d’ajustements structurels ayant cet objectif qui a ébranlé les fondements économiques, culturels et environnementaux des groupes sociaux les plus vulnérables: communautés rurales, couches populaires urbaines, fonctionnaires, femmes, travailleurs salariés, chômeurs, retraités, étudiants, peuples autochtones, etc. La participation des acteurs du Sud à l’altermondialisme leur permet d’une part de contribuer à la production de ces discours et campagnes « pour une autre mondialisation » dont l’influence médiatique et politique va grandissant sur la scène internationale, d’autre part de donner davantage de poids à leurs revendications sur les scènes nationales, en les articulant à un mouvement qui bénéficie d’une légitimité internationale. La voie altermondialiste est donc une stratégie qui minimise les effets de la double domination politique dont ces mouvements sont victimes - en tant que groupes dominés au sein de pays eux-mêmes dominés dans les relations internationales. Deux caractéristiques centrales de l’altermondialisme Un mode d’organisation novateur La capacité de l’altermondialisme à drainer des publics aussi diversifiés – des écologistes aux syndicalistes, des mouvements indigènes aux militants tiers-mondistes – tient pour une bonne part dans le fait qu’il renouvelle les modes d’organisation de l’action collective. En effet, cette convergence ne tend pas à fondre l’ensemble des participants dans une même grande organisation ou dans un seul grand mouvement - objectif traditionnel des rassemblements politiques - car elle se fait sur le mode du consensus et du réseau, qui permet de rassembler un maximum de monde uploads/Politique/ fiche-altermondialisation.pdf

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