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HAL Id: halshs-01171619 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01171619 Submitted on 22 Mar 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Sextus Empiricus : les effets politiques de la suspension du jugement Stéphane Marchand To cite this version: Stéphane Marchand. Sextus Empiricus : les effets politiques de la suspension du jugement. Elenchos (Rivista di studi sul pensiero antico), 2015, XXXV (2), pp.311-342. halshs-01171619 - 1 - Sextus Empiricus : les effets politiques de la suspension du jugement1. Stéphane Marchand, Ens de Lyon, IHRIM (UMR 5037) Abstract The aim of this paper is to examine the political implications of Sextus Empiricus's neo-Pyrrhonism by considering two fundamental texts (PH I 23-24; AM XI 162-165). Both texts are usually interpreted as endorsing political conformism insofar as Sextus allegedly claims that one should follow the laws and customs of one's community. But it seems possible to interpret the reference to laws and customs merely as a description of what humans in fact do. What Sextus would therefore recommend is to abandon any theoretical approach to politics in favor of a pragmatic one. Keywords Skepticism ; Sextus Empiricus ; Politics ; Conformism, Everyday Life Introduction Il est à la fois difficile et intéressant d’interroger le pyrrhonisme ancien d’un point de vue politique. Difficile, parce que la question politique est rarement abordée par Sextus Empiricus2 ; intéressant, parce que le déplacement du scepticisme en politique produit un éclairage original pour comprendre le projet pyrrhonien3. Pourtant, la politique sceptique semble d’abord briller par son absence. Il s’agit d’ailleurs d’un point fréquemment dénoncé comme une limite ou une lacune propre au pyrrhonisme : ni « l’exposé général » des principes du scepticisme (livre I des Esquisses Pyrrhoniennes) ne contient de remarques sur la politique, ni « l’exposé spécial » où Sextus met en opposition les thèses dogmatiques les unes avec les autres ne discute des thèses politiques en tant que 1 Une version abrégée de cet article a été publiée dans la revue Éthique, politique, religions (2014 – 2, n°5 « Scepticismes en politique », p. 15-29). Je remercie Diego Machuca et Emidio Spinelli pour leurs nombreuses remarques et suggestions qui ont considérablement amélioré cet article. 2 Le terme πολιτική apparaît quatre fois chez Sextus, dans le contexte de la prétendue définition de l’homme par Platon comme « animal sans ailes, bipède, aux ongles larges, pouvant recevoir la science politique », voir e.g. Esquisses Pyrrhoniennes (désormais PH) II, 28 ; nous citons la traduction de P. Pellegrin, Sextus Empiricus. Esquisses pyrrhoniennes, Paris, Éd. du Seuil, 1997. Sur cette définition, cf. E. Spinelli, Questioni scettiche : letture introduttive al pirronismo antico, Roma, Lithos, 2005, p. 75. 3 Cet article se limitera à l’étude de la question dans la tradition néo-pyrrhonienne ; il est probable que les positions néo-académiciennes en la matière soient toutes différentes, du fait de leur liaison avec le platonisme ; cf. M. Bonazzi, « Plutarco, l’Academia e la politica », in P. Volpe Cacciatore et F. Ferrari (éds.), Plutarco e la cultura della sua età, Napoli, M. D’Auria, 2007, p. 267‑280. - 2 - telles4. Ainsi la voie pyrrhonienne peut-elle, de prime abord, apparaître liée à une forme de désengagement du politique, désengagement qui pourrait trouver une explication dans les trois raisons suivantes. La première raison est liée à la situation propre au discours sceptique : le scepticisme présenté par Sextus est une position essentiellement critique, destinée à contrer le dogmatisme de la philosophie hellénistique. Par définition sans thèse, le sceptique ne se risque que très rarement à décrire sa propre position, et n’a pas à décrire ce que pourrait être une politique sceptique. Il ne fait que suivre les thèses dogmatiques pour les critiquer. En outre, même lorsqu’il critique une théorie dogmatique précise, il ne s’intéresse pas aux détails de la théorie, mais se concentre sur les arguments les plus généraux et les plus fondamentaux. Car ce qui intéresse Sextus, c’est de pouvoir produire l’opposition des arguments à un niveau tel que tout l’édifice tout entier se trouve menacé : il lui faut donc attaquer la base de l’édifice, plutôt que ses conséquences5 ; pour cette raison les théories politiques n’interviennent dans l’œuvre de Sextus que comme des exemples périphériques6. Mais l’indifférence au politique n’est pas uniquement le produit d’une situation purement défensive. Elle est liée aussi au principe méthodologique du philosophe sceptique, le principe d’isosthénie selon lequel « à tout argument s’oppose un argument égal », car, dit Sextus, « c’est à partir de cela que nous cessons de dogmatiser » (PH I, 12). Si le projet sceptique est bien de mettre à distance une thèse ou une opinion en lui opposant une thèse contraire afin de produire la suspension de son adhésion, nous pouvons assez facilement concevoir la difficulté du philosophe sceptique à s’engager, du moins tant que nous présupposons, comme il est semble-t-il intuitif de le faire, que l’engagement politique se fonde sur des thèses et des convictions dogmatiquement ancrées en nous. Enfin, le but même du scepticisme semble nous éloigner du politique. Le scepticisme réalise en effet de manière paradigmatique le repli sur soi de la philosophie hellénistique décrit au XIXème siècle par Eduard Zeller7. Cette thèse semble convenir parfaitement aux pyrrhoniens dont le projet est défini par la volonté d’accéder à « la tranquillité en matière d’opinions et la modération des affects dans les choses qui s’imposent à nous » (PH I, 25 et 31). De fait, le philosophe sceptique se préoccupe avant tout de sa propre absence de souffrance et semble par là même n’être qu’un irréductible individualiste8. Tout au plus consent-il à éclairer ses semblables en leur communiquant son expérience sous la forme du récit de son expérience personnelle du scepticisme, parce qu’il est « bien né » (μεγαλοφυεῖς, PH I, 12) et « philanthrope » (PH III, 280) ; et encore le fait-il en rappelant la valeur uniquement subjective de cette expérience (PH I, 4). 4 Sur cette distinction entre discours général et spécial, cf. PH I, 5-6 et AM VII, 1. 5 Voir e.g. PH II, 84 pour la métaphore architecturale de la fondation. Sur le « fondationnalisme » de Sextus je me permet de renvoyer à mon article « Sextus Empiricus’ Style of Writing », in D. E. Machuca (éd.), New Essays on Ancient Pyrrhonism, Leiden; Boston, Brill, 2011, p. 113‑141, p. 130 sq. Voir aussi R. Bett, « A Sceptic Looks at Art (but not Very Closely): Sextus Empiricus on Music », International Journal for the Study of Skepticism, vol. 3, no 3, 2013, p. 155‑181, p. 160 sq. 6 Voir e.g. PH III, 205 qui met en opposition les République de Chrysippe, Zénon et Platon. Pour le lien avec le 10ème trope d’Énésidème, cf. E. Spinelli, « Neither Philosophy or politics? The Pyrrhonian Approach to Everyday life », in J. C. Laursen et G. Paganini (éds.), Skepticism and Politics in Early Modern Europe, Toronto, University of Toronto Press, à paraître. 7 E. Zeller, Die Philosophie der Griechen in ihrer geschichtlichen Entwicklung, vol. 3.1. Die Nachtaristotelische Philosophie, Erste Hälfte, 5e éd., Leipzig, R. Reisland, 1923, p. 12. 8 Cf. M. C. Nussbaum, « Scepticism and Equilibrium », in J. Sihvola (éd.), Ancient Scepticism and the Sceptical Tradition, Helsinki, Acta Philosophica Fennica, 2000, p. 171‑197, p. 173 et 194. Voir néanmoins la position de D. Machuca, « The Pyrrhonist’s ἀταραξία and φιλανθρωπία », Ancient Philosophy, vol. 26, 2006, p. 111‑139, p. 134 pour qui « Pyrrhonism is as such completely indifferent to both individualism and philanthropism since the Pyrrhonist’s non-Dogmatic adoption of one or the other of these positions rests upon fortuitous circumstances ». - 3 - Ces raisons amènent la plupart des lecteurs de Sextus à considérer que le scepticisme pyrrhonien est indifférent à la question politique9. Et c’est à partir de ces mêmes raisons que l’on critique les effets pervers du scepticisme en politique. Être indifférent aux thèses philosophiques, considérer qu’une thèse n’est pas plus vraie que fausse, ce serait se résoudre à suivre l’ordre établi puisqu’on ne peut pas, par soi-même, penser autre chose que ce qui a déjà été pensé. Le scepticisme mènerait au conformisme et à l’obéissance servile. Le projet de cet article est de revenir sur cette évaluation des effets politiques de la suspension du jugement propre au pyrrhonisme, en interrogeant précisément ces deux conséquences : le conformisme et l’obéissance du sceptique. I. Le conformisme pyrrhonien : principe normatif ou descriptif ? Il convient de commencer par citer le texte qui est au centre du problème du conformisme chez Sextus Empiricus, les Esquisses Pyrrhoniennes I, 23-24 : Donc, en nous attachant aux phénomènes nous vivons sans opinions selon l’observation de la uploads/Politique/ elenchos-sextus-empiricus-et-la-politique.pdf
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- Publié le Fev 19, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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