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1 Journée d’études CONFIGURATIONS POPULISTES (2) : REPRÉSENTATIONS, TRANSGRESSI

1 Journée d’études CONFIGURATIONS POPULISTES (2) : REPRÉSENTATIONS, TRANSGRESSIONS, MENACES Organisée par Magali Boumaza (Université Galatasaray SAGE Strasbourg), Valerio Coladonato (American University of Paris) et Lynda Dematteo (EHESS-CNRS) --- EHESS, 5 avril 2016, de 9h30 à 17h, salle du Conseil A, 190 avenue de France 75013 Paris --- DE LA DOMINATION DE L’AMOUR A L’AMOUR DE LA DOMINATION Le dispositif visuel du charisme à l’ère Berlusconi Communication prononcée par Francesca MARTINEZ TAGLIAVIA, New York University Introduction A la fin des années 2000, éclatent les scandales sexuels liés à l’ex-premier ministre italien Silvio Berlusconi avec les veline. Le terme de velina naît pour faire référence aux directives que le Ministère de la Culture Populaire fasciste envoyait aux bureaux de presse pour ordonner la censure des informations. Le terme est ensuite repris en 1989 dans l’émission télévisuelle Striscia la notizia, JT satirique transmis sur une chaîne faisant partie du groupe Mediaset, de propriété de Silvio Berlusconi, pour qualifier des jeunes femmes érotisées apportant sur le bureau des journalistes de fausses informations (fig.1). Antonio Ricci, l’auteur de l’émission, est un ex-Situationniste passé à l’autre camp, 2 en plein « nouvel esprit du capitalisme1 ». Le terme velina recouvrera ensuite, par extension, toute jeune femme exploitant sa capacité de séduction, voire entretenant des rapports sexuels avec un homme puissant, afin d’obtenir des avantages économiques. S’ouvre alors un grand débat et la critique anti-berlusconienne se déploie tout autour de la relation scandaleuse entre le Premier ministre et ses veline2. Pourtant, la difficulté de la critique de l’opinion publique italienne à produire une critique du « berlusconisme » tient à deux raisons principales. Premièrement, la critique personnalise et concentre dans la figure du chef toute l’autorité : Berlusconi est « Caïman », « Napoléon », « Psychonain », « Bandanaman », « Nain maléfique », « Cavalier Bellachioma » [Cavalier Beauxcheveux], « Berluscon de Berlusconi », « Il Cipria [La Poudre] », « Burlesquoni », « Chevalier masqué », « Votre Emissience3 », etc. Le nombre d’imitations de Berlusconi, de commentaires au sujet de sa figure et de son image est stupéfiant4. Deuxièmement, cette critique ignore globalement le fonctionnement du visuel à l’ère Berlusconi, tout en attribuant à l’indubitable maîtrise des images par le chef, la cause principale de son autorité5. Au déni ou au mépris 1 Antonio Ricci en effet affirme : « c’est dans un club qui s’appelait Instabile que j’ai commencé à faire du spectacle, du cabaret politique, de gauche bien sûr, c’étaient les années. Je faisais partie des Situationnistes, un groupe d’anarchoïdes qui était né dans un petit village au-dessus d’Albenga, qui s’appelait Cosio D’Arroscia. Avec les Situationnistes se sont formés aussi Freccero, Giusti, Ghezzi, Tatti Sanguineti, tous les malins de la télé. Notre livre culte était La Société du spectacle de Guy Debord ». Ici comme partout où cela n’est pas indiqué, je traduis. Cité par DELL’ARTI, Giorgio, blog « Cinquantamila giorni. La storia raccontata da Giorgio Dell’Arti », Corriere della Sera.it, s.d. [http://cinquantamila.corriere.it/storyTellerThread.php?threadId=RICCI+Antonio]. Consulté le 20 mai 2015. Le fait que Ricci serait un Situationniste est répété à plusieurs reprises dans la presse italienne, pour en fournir une image prestigieuse (car « intellectuelle »). Voir également BOLTANSKI, Luc & Ève CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 2011. 2 Après l’explosion des scandales sexuels de Silvio Berlusconi, le 13 février 2011 une grande manifestation est convoquée par des intellectuelles regroupées en collectif sous le nom « Se non ora quando ? » (Si pas maintenant, alors quand ?), qui ouvrira une grande réflexion collective sur les rapports entre représentation visuelle et représentation politique des femmes. Les deux textes de convocation à la manifestation sont de DE GREGORIO, Concita, « Dove siete donne ? Diciamo : ora basta », L’Unità, 19 ianvier 2011 ; et du groupe « Se non ora quando ? », le 30 janvier 2011. SE NON ORA QUANDO ?, site web du collectif. [www.senonoraquando.eu]. Consulté le 23 septembre 2015. 3 Voir CECCARELLI, Filippo, « Non solo Papi : i 30 soprannomi di Berlusconi », Repubblica Tv, 26 mars 2015. [http://video.repubblica.it/rubriche/reptv-news/reptv-news-ceccarelli-non-solo-papi-i-30-soprannomi-di- berlusconi/196046/195060]. Consulté le 23 mai 2015. 4 Pour ne nommer que quelques-uns des plus connus parmi les imitateurs professionnels de Silvio Berlusconi, Sabina et Corrado Guzzanti, célèbres enfants du journaliste (ex-membre du parti berlusconien) Paolo Guzzanti, acteurs comiques, Maurizio Crozza, célèbre anchorman et enfin le Premier ministre Matteo Renzi le 11 décembre 2013, se lance dans une imitation de Berlusconi pendant le programme d’approfondissement politique Ballarò. Voir FLORIS, Giovanni & Paolo RUFFINI, id., BELDÌ, Maurizio & Paolo FUSCO, réal., Ballarò, Rai 3, 10 décembre 2013. En ligne :[ http://video.corriere.it/renzi-imita-berlusconi-ballaro/9ada28ca-623c-11e3-a809-0fced5f7d9ac]. Consulté le 25 septembre 2015 ; ANONYME, « Renzi imita Berlusconi a Ballarò », Corriere della Sera.it, 11 décembre 2013. [http://video.corriere.it/renzi-imita-berlusconi-ballaro/9ada28ca-623c-11e3-a809-0fced5f7d9ac]. Consulté le 23 mai 2015. 5 Font exception à cette insuffisance les analyses de GRIBALDO, Alessandra & Giovanna ZAPPERI, Lo schermo del potere. Femminismo e regime della visibilità, Milan, Ombre Corte, 2012. Dans les travaux de Marco Belpoliti, Vincenzo Susca, Federico Boni et Giuliana Parotto, un problème demeure : la figure de Berlusconi est généralement traitée en tant que telle, comme un objet à part, et ne se trouve jamais intégrée aux études générales consacrées à l’image contemporaine, à la représentation du corps humain, à l’histoire du pouvoir, de la dévotion, etc. En refusant d’en faire un objet d’étude comme les autres, les chercheurs entretiennent l’idée d’une image hors-norme, relevant plus du domaine du miracle que de l’histoire des 3 du visuel entendu dans la plupart des cas comme une « distraction » s’ajoute, dans les meilleurs travaux, une conception verticale et centralisée de l’autorité du chef et une conception de la velina comme pure « illusion » projetée par le chef sur l’esprit des foules, afin de les hypnotiser6. Cette théorie de l’image et la conception du pouvoir qui en découle, n’a fait jusqu’à présent l’objet d’aucune critique7. Dans cette brève intervention, je voudrais montrer l’efficacité du visuel dans la détermination, mais aussi dans l’analyse du politique, faisant collaborer les outils forgés par les études de la culture visuelle et les outils des sciences sociales. Ainsi, j’opèrerai quelques déplacements dans la manière courante de regarder au « charisme » de Berlusconi. Ces déplacements théoriques – au double sens de la pensée et du regard - correspondent en effet à des déplacements de point de vue, jetant une lumière sur des choses apparemment marginales, capables d’illuminer le fonctionnement d’un pouvoir central. Ces déplacements permettront d’abandonner le modèle d’iconographie politique centralisé, personnalisé et vertical adopté jusqu’à présent par la critique du charisme berlusconien. Par le modèle d’iconographie politique disséminée que je propose, je veux penser l’exercice contemporain du charisme à travers la dimension disséminée du visuel, à la lumière de la nature relationnelle du pouvoir charismatique et du rôle crucial de la culture visuelle populaire dans la construction contemporaine de l’autorité. Je vais développer mon argument par deux mouvements, montrant d’abord comment le berlusconisme s’est imposé dès les années soixante-dix grâce à la fondation d’un régime visuel sexualisé ; puis comment la sexualisation de la visualité a construit, en retour, le charisme-même de Berlusconi comme « chef ». hommes. Voir SUSCA, Vincenzo, À l’ombre de Berlusconi. Les médias, l’imaginaire et les catastrophes de la modernité, introduction d’Alberto Abruzzese, postfaces de Franco Ferrarotti et de Michel Maffesoli, traduit de l’italien par Isabelle Mansuy, Paris, L’Harmattan, 2006. Pour le « corps médial » de Berlusconi, voir BONI, Federico, Il superleader : fenomenologia mediatica di Silvio Berlusconi, Rome, Meltemi, 2008; Id., Il corpo mediale del leader : rituali del potere e sacralità del corpo nell’epoca della comunicazione globale, Rome, Meltemi, 2002. Voir en outreoooutre PAROTTO, Giuliana, Sacra officina. La simbolica religiosa di Silvio Berlusconi, Milan, Franco Angeli, 2007. 6 « Arme de distraction de masse », « stratégie de la distraction », « farce », « fantôme », « diversion », « mensonge », « illusion », autant de manières courantes de qualifier l’iconocratie berlusconienne. Voir par exemple, MARCELLI, Fabio, « Berlusconi : un’arma di distrazione di massa », Il Fatto Quotidiano, 14 décembre 2012. 7 De plus, cette véritable théorie de l’image que les meilleurs « berlusconologues » adoptent calque la théorie du commandement par les images que Gustave Le Bon en 1895 dans sa Psychologie des foules (livre de chevet de Hitler) suggère au chef pour commander. Cela démontre l’efficacité du mythe du “Grand illusionniste” inventé par Le Bon: une invention idéologique calquée sur le modèle de la projection cinématographique. Le chef, comme un savant projectionniste de cinéma, se tiendrait caché derrière la scène du public dans l’obscurité et manoeuvrerait, de cette position supérieure et en retrait, les imaginaires. Voir LE BON, Gustave, Psychologie des foules, Paris, Presses universitaires de France, 1963. Pour l’usage des métaphores visuelles et en particulier cinématographiques chez Gustave Le Bon, pour configurer l’exercice d’une domination visuelle, je me permets de renvoyer à mon article « “The Imagination of Crowds” : The efficacy of a false hypothesis », Re- Visiones, n° 3, 2013. Consultable en ligne à l’adresse : http://www.re-visiones.net/spip.php?article85. 4 La sexualisation de uploads/Politique/ de-la-domination-de-lamour-a-lamour-de-l.pdf