Clio. Femmes, Genre, Histoire 1 | 1995 Résistances et Libérations France 1940-1
Clio. Femmes, Genre, Histoire 1 | 1995 Résistances et Libérations France 1940-1945 Les femmes politiques de 1944 à 1947 : quelle libération ? William GUÉRAICHE Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/clio/521 DOI : 10.4000/clio.521 ISSN : 1777-5299 Éditeur Belin Édition imprimée Date de publication : 1 avril 1995 ISSN : 1252-7017 Référence électronique William GUÉRAICHE, « Les femmes politiques de 1944 à 1947 : quelle libération ? », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 1 | 1995, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 23 avril 2022. URL : http:// journals.openedition.org/clio/521 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.521 Ce document a été généré automatiquement le 23 avril 2022. Tous droits réservés Les femmes politiques de 1944 à 1947 : quelle libération ? William GUÉRAICHE 1 Dans l'histoire politique française, le départ des troupes d'occupation en 1944 ouvre une parenthèse qui se ferme avec l'installation de la IVe République. 2 La « Libération » correspond à l'effondrement du régime de Vichy autant qu'à la prise du pouvoir par la Résistance. La France vit alors des heures d'enthousiasme pendant lesquelles l'espoir d'un avenir meilleur anime tout un chacun. Cette « Libération » concerne-t-elle les femmes à présent citoyennes ? 3 Il convient tout d'abord de ne pas tomber dans le piège de l'anachronisme. En effet, aujourd'hui, le concept de libération évoque un passé dont les échos résonnent encore à nos oreilles : la vague féministe des années 1970 n'a pas été avare dans l'emploi de ce terme. Or, il ne peut y avoir confusion entre une aspiration collective et/ou individuelle à l'intérieur d'un mouvement social et une période de l'histoire politique. Quand on se demande si les femmes ont eu une libération, force est de répondre qu'en tant que Françaises, elles ont été soustraites au joug de l'occupant ; en tant que groupe social, dans leur altérité, se sont-elles pour autant émancipées de la tutelle masculine ? Non, si l'on s'attache au droit civil qui est la réplique à l'identique de celui de l'avant-guerre. Mais cette affirmation n'est guère satisfaisante car elle occulte la dimension politique de la condition féminine. Ainsi, si « libération » il y a eu, c'est peut-être parce que le pouvoir a été plus équitablement partagé. 4 Les Françaises sont dorénavant électrices et éligibles ; leur participation aux affaires de la cité semble aller de soi. En y regardant de plus près, n'apparaît-il pas que cette première « prise de pouvoir » est conditionnée par les modalités d'obtention de ces droits ? Or, dans l'urgence de la situation, les problèmes de fond sont occultés et ne prennent forme qu'avec la remise en ordre du système politique héritier légitime de la IIIe République. 5 Le grand « malentendu » ? Les femmes politiques de 1944 à 1947 : quelle libération ? Clio. Femmes, Genre, Histoire, 1 | 1995 1 6 L'ordonnance du 21 avril 1944 sur l'organisation des pouvoirs publics à la Libération précise dans son article 17 que les Françaises disposent des mêmes droits civiques que les hommes. Ce passage presque anodin conclut deux siècles de revendications1. Or, sur la courte durée, qui est responsable de cette mesure ? 7 L'historiographie a retenu que la Résistance avait accordé les droits civiques aux femmes sans pour autant faire rejaillir la responsabilité de cet acte sur une structure ou une personne en particulier. Ainsi, le Conseil National de la Résistance, organe fédérateur des mouvements et réseaux, ne semble pas s'être prononcé sur ce point. En effet, dans les différentes chartes qui sont en quelque sorte le programme politique de la Résistance, aucune précision n'est faite à cet égard, hormis l'idée que « le suffrage universel » doit être rétabli (mais avec ou sans les femmes ?) et que le système politique doit être une « démocratie la plus large » possible. Cette imprécision d'après Pierre Meunier et Robert Chambeiron2, membres du Conseil, reposait sur la volonté de ne pas provoquer de pomme de discorde entre les radicaux et les hommes issus d'autres familles politiques. 8 Qu'en est-il de de Gaulle lui-même ? Outre le fait qu'il ait été signataire de l'ordonnance du 21 avril 1944, quels sont les éléments qui inclinent à croire qu'il fut l'initiateur de cette mesure ? Le 23 juin 1942 dans une déclaration reprise par les journaux clandestins, le futur chef du Comité Français de Libération Nationale précise qu'au terme des hostilités : « tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée Nationale3 ». Cette prise de position est, en 1942, audacieuse mais elle n'est pas confirmée par d'autres déclarations, voire même exprimée lors de conversations privées. De part ce silence, l'historien en est réduit aux conjectures. S'agissait-il de dédain pour des questions d'intendance ou bien le général de Gaulle pensait-il avoir exprimé son avis, en laissant à d'autres le soin de régler les modalités de son exécution ? Aucun témoignage, aucune archive ne permet de trancher le débat. Dans ses Mémoires de guerre, quelques lignes laconiques sont consacrées à l'événement. Après avoir évoqué les débats parlementaires sur la réforme de l'État à Alger, il précise : en outre les droits de vote et d'éligibilité étaient attribués aux femmes. L'ordonnance du 21 avril 1944 en réalisant cette vaste réforme mettait un terme à des controverses qui duraient depuis cinquante ans.4 9 Néanmoins, considérant le pouvoir dont disposait Charles De Gaulle dans les milieux de la Résistance, on peut conclure sans crainte que s'il n'avait pas souhaité cette réforme, celle-ci serait restée lettre morte. 10 Affirmer tout de go que la Résistance a conféré les droits civiques aux femmes5 serait une formulation pour le moins contestable car les débats de l'Assemblée Consultative d'Alger (ACP), notamment, attestent de profonds désaccords entre les hommes - les résistants - sur ce sujet. En effet, l'unanimité est loin de se faire au sein de cette assemblée qui regroupe des hommes - et une femme, Marthe Simard représentante de la Résistance extérieure (Canada) - aux origines variées : des hommes politiques de la IIIe République et des résistants délégués des mouvements métropolitains ou des milieux de la France Libre. L'ACP entame ses travaux en décembre 1943 et la commission de réforme de l'État planche sur les institutions6. Entre le 23 décembre et le 24 mars 1944, cette dernière se réunit vingt-sept fois et la question des droits civiques des femmes est évoquée au moins dix fois7. 11 Une impression générale se dégage à la lecture des procès verbaux des réunions de cette commission : de façon tout à fait paradoxale, les arguments en faveur ou contre le Les femmes politiques de 1944 à 1947 : quelle libération ? Clio. Femmes, Genre, Histoire, 1 | 1995 2 vote des femmes ne puisent pas dans l'argumentaire parlementaire de l'entre-deux- guerres, comme si les délégués s'interdisaient toute référence antérieure à 1940. L'esprit d'innovation des constitutionnalistes est débordant. Mais les arguments de part et d'autre sont tout aussi spécieux qu'auparavant... La question du vote féminin est abordée sous l'angle de la représentativité et donc de la validité des scrutins aux premières élections alors qu'un million et demi d'hommes, prisonniers ou déportés ne pourront y prendre part. Vu de l'extérieur, tous les membres de la commission sont partisans de cette réforme, mais - car il y a un « mais »... - cet octroi s'avère impossible pour des raisons pratiques. Lors de la deuxième séance, les membres de la commission auditionnent des commissaires du gouvernement8 dont François de Menthon pour connaître la position du Comité Français de Libération Nationale (CFLN) sur cette question. Paul Giacobbi, président de la commission, interpelle le représentant du gouvernement : Pensez-vous qu'il soit très sage dans une période aussi troublée que celle que nous allons traverser de nous lancer ex abrupto dans cette aventure que constitue le suffrage des femmes ? 12 Paul Giacobbi demande, en outre, si le gouvernement estime que cette mesure est ou non indispensable. François de Menthon semble pris de court et répond que celle-ci est prévue dans le projet et s'empresse d'ajouter que le vote féminin permettra de « pallier à l'absence des prisonniers [sic] ». Le président de la commission en conclut donc que cette partie du projet ne revêt pas une importance capitale ! En fin juriste qu'il est, il noie la question centrale dans le dispositif du projet et s'interroge, presque innocemment, sur l'importance et surtout l'urgence de cette mesure. En fait, le vrai problème n'est pas abordé de front : les Françaises doivent-elles ou non devenir citoyennes ? Le CFLN semble favorable, mais justifie sa position à l'aide d'un argument que l'on pourrait qualifier de « circonstanciel ». En effet, que les prisonniers soient ou non rentrés n'a pas réellement d'incidence sur la capacité civique des Françaises... Paul Giacobbi repère cette faille et s'y engouffre. Son argumentation est ingénieuse et masque les mobiles de son opposition. En ce sens, le sénateur radical de la Corse renoue avec les pratiques parlementaires de l'avant-guerre. Avec succès ; en effet suite à cette interpellation, le ministre du général de Gaulle répond qu'effectivement « le uploads/Politique/ clio-521.pdf
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- Publié le Dec 08, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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