Misère de la sociobiologie PATRICK TORT PASCAL ACOT JEAN-PIERRE GASC JACQUES GE

Misère de la sociobiologie PATRICK TORT PASCAL ACOT JEAN-PIERRE GASC JACQUES GERVET JEAN-MICHEL GOUX GEORGES GUILLE-ESCURET ANDRÉ LANGANEY Presses Universitaires de France 1985 Sommaire Couverture Présentation Page de titre Dédicace Avant-propos SOCIOBIOLOGIE : DIX PROPOSITIONS FONDAMENTALES PREMIÈRE PARTIE - Erreurs et contradictions de la sociobiologie contemporaine La bestialité est-elle naturelle ? De l’agression prédatrice à la compétition agressive Les mâles langurs infanticides Le discours sur les « primitifs » et le silence sur les « civilisés » Génétique et sociologie Génétique et sociobiologie Introduction La génétique à toutes les sauces De l’abeille à l’homme Déterminisme ou décision making Le double front idéologique de la sociobiologie Quels sont en effet les présupposés de base de la sociobiologie ? Du « glissement de sens » dans le discours scientifique Points de nomenclature Le système sociobiologique comme complexe discursif Analyse de propositions sociobiologiques Science, idéologie et philosophie NOTES BIBLIOGRAPHIE La culture contre le gène : une alternative piégée L’individualisme et l’universalisme : l’éthologie « cannibalisée » Sociobiologies, sociophysiques et sociomathématiques... Le concept dérapant : culture Syncrétisme et synthèse NOTES DEUXIÈME PARTIE - Darwinisme et marxisme aujourd’hui DÉBAT Darwin contre la sociobiologie RÉSURGENCE DE LA BARBARIE 1. Darwin et la sélection naturelle 2. Le pseudo-darwinisme social et sa contradiction RÈGNE ANIMAL ET SOCIÉTÉ CIVILE Le darwinisme social de Darwin Darwin ne savait pas définir l’homme NOTES DARWIN CONTRE LA SOCIOBIOLOGIE 1. Les énoncés ou la logique ? 2. Marx avec Darwin, mais pas n’importe comment NOTES Darwin dans l’histoire NOTES La descendance de l’homme et la sélection textuelle - Réponse à Pascal Acot Modèles biologiques et idéologies sociales dans l’histoire des sociétés libérales - ENTRETIEN AVEC PATRICK TORT AUTOUR DE SON LIVRE La pensée hiérarchique et l’évolution (Aubier) Notes Copyright d’origine Achevé de numériser Avant-propos Briser la capacité de retour d’un lieu commun de l’idéologie est un travail plus difficile que celui qui consiste à se prêter en temps opportun au jeu périodique de sa relance. La sociobiologie de l’homme, dont le présent livre s’est donné pour tâche de mettre en lumière les erreurs constitutives, est l’un de ces lieux communs qui depuis plus d’un siècle s’alimentent d’une référence stratégiquement identique, et identiquement fausse, aux sciences biologiques. Son intention principale est d’accréditer l’idée selon laquelle certaines hiérarchies et certains déterminismes profonds relevant de composantes innées et du jeu sélectif ont un prolongement homogène et nécessaire dans l’organisation des sociétés humaines et dans les pratiques comportementales des individus qui les forment. En d’autres termes, le social ne serait dans cette conception que l’effet d’un programme biologique, le résultat d’une dictée génétique, une configuration dépendante, dans sa structure, son devenir et ses fins, de déterminismes relevant d’une loi naturelle qu’il serait, en conséquence, fautif de contrarier. D’où la recommandation, « au nom de la nature », du maintien concerté de relations inégalitaires entre les individus et entre les groupes. Tout cela, bien sûr, n’est pas neuf, et il n’y a guère aujourd’hui, dans l’univers des modes intellectuelles, que la « nouvelle droite », fille attardée de Gobineau et de Spencer — et fille ingrate, car inapte par nécessaire cécité historique à se reconnaître de tels ascendants — qui puisse encore prétendre avec un semblant de sérieux à une telle « nouveauté ». L’ouvrage qui réunit ici des spécialistes des différentes disciplines concernées démontre que l’idée centrale de l’actuelle sociobiologie — ainsi nommée depuis une dizaine d’années à la suite des travaux de Wilson aux Etats-Unis — n’est argumentable sur aucun des terrains scientifiques sur lesquels elle prétend s’appuyer. Il veut être en outre le geste préparatoire d’une explication aussi large que possible des mécanismes qui gouvernent la réitération de ce type d’idéologies para-scientifiques qui, depuis le pseudo-« darwinisme social » né dans l’Angleterre victorienne jusqu’aux reviviscences contemporaines de droites nationalistes et racistes en Europe, constituent, avec un degré variable d’élaboration discursive, l’âme empoisonnée des époques de crise. Les noms et la réputation scientifique des auteurs de ce livre, qu’une préoccupation commune a fait se retrouver pour la plupart autour du séminaire que j’anime au Collège international de Philosophie, me dispensent ici de l’hommage que pourtant je souhaiterais leur rendre. Qu’il suffise donc de saluer la rigueur de leur engagement du côté de l’intégrité de leur science — et contre toute atteinte qui lui serait portée —, engagement aujourd’hui assez paradoxalement difficile pour qu’il apparaisse, à travers sa simple volonté de vérité, comme une authentique Résistance. Patrick TORT Professeur au Collège international de Philosophie SOCIOBIOLOGIE : DIX PROPOSITIONS FONDAMENTALES 1. Si nous définissons l’altruisme toute action qui, dans le cours régulier des choses, profite aux autres au lieu de profiter à celui qui l’accomplit, alors, depuis le commencement de la vie, l’altruisme n’a pas été moins essentiel que l’égoïsme. Bien que primitivement il dépende de l’égoïsme, secondairement l’égoïsme dépend de lui (Herbert Spencer, Les bases de la morale évolutionniste, 1880). 2. Nourrir les incapables aux dépens des capables, c’est [...] une réserve de misères amassée à dessein pour les générations futures. [...] On a le droit de se demander si la sotte philanthropie qui ne pense qu’à adoucir les maux du moment et persiste à ne pas voir les maux indirects ne produit pas au total une plus grande somme de misère que l’égoïsme extrême (Herbert Spencer, Introduction à la science sociale, 1873, cité par P. Tort, 1983). 3. Nous sommes des machines à survie — des robots aveuglément programmés pour transporter et préserver les molécules égoïstes dénommées gènes (Richard Dawkins, Le gène égoïste, cité par P. Thuillier, 1983). 4. Le comportement humain [...] est la technique détournée grâce à laquelle le matériel génétique a été et sera conservé intact. La morale n’a pas d’autre fonction ultime démontrable (Edward O. Wilson, L’humaine nature, cité par P. Thuillier, 1983). 5. Les deux piliers de la saine morale et de la sociologie sont constitués par l’égoïsme et l’altruisme en équilibre exact. Cela est vrai de l’homme comme de tous les autres animaux sociaux (Ernst Haeckel, Les énigmes de l’ Univers, 1899). 6. Notre compréhension de la biologie humaine sera absolument cruciale pour nos trajets culturels, car elle désignera la direction de ces trajets mêmes (Michaël Ruse, Sociobiology : Sense or nonsense ?). 7. Tôt ou tard, les sciences politiques, le droit, l’économie, la philosophie, la psychiatrie et l’anthropologie seront sans exception des branches de la sociobiologie (Robert Trivers, cité par P. Thuillier, 1983). 8. L ’accent mis sur le caractère naturel de la dominance dans le monde des mammifères amène tout naturellement à une justification de la stratification sociale. Cela suggère en effet que, même indépendamment des éventuelles inégalités génétiques, l’organisation sociale biologiquement normale est hiérarchisée (Yves Christen, L’heure de la sociobiologie). 9. La biologie a prouvé que les hommes sont naturellement inégaux (Le même, dans Le Figaro- Magazine). 10. LES NEUF PROPOSITIONS QUI PRÉCÈDENT SONT FAUSSES OU INDÉMONTRABLES. La bestialité est-elle naturelle ? GEORGES GUILLE-ESCURET Laboratoire d’écologie humaine Equipe 221 du CNRS, Aix-en-Provence Parmi les Pensées d’un biologiste que Jean Rostand publia en 1954, on peut lire cette phrase : « Je suis plus enclin à trouver la bête dans l’homme qu’à chercher l’homme dans la bête »1. Il y a là un résumé assez fidèle d’une tendance qui n’a cessé de se développer depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, et qui consiste, selon la formule de Pierre-Paul Grassé, à placer « l’homme en accusation »2 devant un tribunal de zoologistes ; « l’homme, cet être unique »3, à qui Julian Huxley s’acharnait encore à trouver quelque mérite dans son zoo de Londres en proie aux bombardements de 1941, est devenu, sous la plume désabusée de Rostand, « un singe dénaturé » mais « soluble dans la nature », et, tout compte fait, « un miracle sans intérêt »4. Dans ce registre, on ne compte plus désormais les biologistes, parmi les plus prestigieux, qui depuis trente ans se sont appesantis sur les violences, cruautés et tueries des hommes, dans un discours qu’ils croyaient devoir échafauder à partir de leur science. On ne compte pas non plus les occasions où l’on a pu voir divers aspects du Politique soumis « scientifiquement » au jugement moralisateur de la Nature ; ni les conclusions où il apparaît qu’en dernier ressort la seule excuse de l’Homme, c’est d’avoir eu une enfance malheureuse. On comprend aisément que cette « enfance animale », qui poursuit la nature humaine de ses effets terrifiants, devait, dans un contexte idéologique aussi encourageant, se constituer comme objet spécifique de recherche. Et si, en théorie, le projet des multiples sociobiologies de l’homme qui reviennent en force depuis un quart de siècle est de décrire l’animalité psychique et sociale de notre espèce, pratiquement, on note une nette orientation vers l’examen de sa bestialité. Une bestialité non plus conçue comme la régression pathologique de l’humain vers la bête, ni même comme l’émergence sporadique d’un « fond » animal latent, mais bien comme une composante normale, stable, de l’individu et de la société. Les sociobiologistes ont sans nul doute profité là d’un discours largement dominant qui s’étonne inlassablement du maintien uploads/Philosophie/ tort-1985.pdf

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