Un topo sur les topos Alain Connes May 18, 2019 Abstract Je retrace1 quelques é
Un topo sur les topos Alain Connes May 18, 2019 Abstract Je retrace1 quelques étapes dans la démarche intellectuelle qui a conduit Alexan- dre Grothendieck, à partir d’une “emmerdante rédaction" qu’il devait faire sur l’algèbre homologique, à découvrir et mettre au point la notion de topos. Je cite de longs passages de “Récoltes et Semailles" qui éclairent la notion de topos. J’essaie d’expliquer en quel sens cette notion a une portée considérable grâce en particulier aux nuances qu’elle introduit entre le vrai et le faux. Je donne à la fin de mon exposé, et pour en assurer l’originalité, un exemple d’un paysage mathématique insolite, celui de la caractéristique 1, qui se dévoile naturellement en suivant cette “naïveté du petit enfant" que Grothendieck chérissait. Le point de départ est sa présentation des catégories additives décrite par Pierre Gabriel en 1962, ainsi que le besoin de ne jamais rajouter d’axiome artificiel. Le point d’arrivée est le “Site Arithmétique" qui joue un rôle essentiel dans nos travaux en collaboration avec C. Consani, et qui m’a convaincu de la pertinence du concept de topos. Contents 1 Introduction 1 2 Deuxième thèse 2 3 Le Tohoku 3 4 Tous les chevaux du roi 5 5 Topos 6 6 Nouveau paradigme 8 1Conférence du 7 novembre 2017, dans le cadre du séminaire “Lectures grothendieckiennes” de l’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide et Laurent Lafforgue pour ses critiques pertinentes d’une version préliminaire de ce texte et pour m’avoir signalé la référence [22]. 1 7 Une métaphore 11 8 Vérité dans un topos 12 8.1 À deux pas de la vérité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 8.2 La vérité chez les carquois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 9 Cribles 17 10 Points d’un topos 19 11 Éloge de la lenteur 22 12 Le monde de la caractéristique 1 24 13 Le site arithmétique 27 1 Introduction Pour me conformer à l’esprit de ce séminaire: “Grothendieck, avant tout" je vais es- sayer de m’effacer le plus possible devant lui2 et de retracer, de manière hypothétique bien entendu, le parcours qui l’a amené aux topos. Et surtout, je vais essayer de vous donner une métaphore éclairante pour ce que c’est qu’un topos, et vous expliquer ce qu’il y a d’extraordinaire dans cette découverte, d’un point de vue philosophique, au sens où donner un topos introduit des nuances considérables dans la notion de vérité. J’essaierai d’expliquer cela par des exemples, rien de tel qu’un bon exemple pour com- prendre de quoi il s’agit. Je vais vous donner un exemple d’un topos qui permet de formuler être à 3 pas de la vérité, ou à 5 pas de la vérité, etc. Mais l’essentiel sera de laisser la parole à Grothendieck. Il a donné cent heures de conférences à Buffalo en 1973, qui ont été enregistrées en audio. Au tout début (que nous écouterons), il explique comment il va faire son cours sur les topos. Il s’est exprimé sur les topos dans “Récoltes et semailles" [23], et son texte, que nous citerons abondamment en ce qui concerne les topos, donne, de manière non technique, de nombreuses clefs pour comprendre l’originalité et l’intérêt de cette découverte. Nous verrons, à la fin de cet exposé, un exemple où la méthode de pensée chère à Grothendieck, qui consiste à ne pas se satisfaire quand on rajoute une condition arti- ficielle pour se simplifier la vie, nous permettra d’accéder naturellement au “monde de la caractéristique 1". Nous décrirons brièvement ce monde et montrerons qu’il débouche en particulier sur le site arithmétique, un topos semi-annelé que nous avons rencontré dans nos travaux avec C. Consani, rencontre qui m’a converti au concept de topos. 2sauf dans les deux dernières sections 2 2 Deuxième thèse Figure 1: Thèse Grothendieck Figure 2: Détails première page La première image que je vous montre, c’est une image que je dois à Charles Alunni qui m’a envoyé un courriel un jour en me disant qu’il aurait bien voulu avoir la deuxième thèse de Grothendieck. À l’époque, quand on passait une thèse, quand j’ai passé ma thèse par exemple, on défendait toujours une deuxième thèse. Cette deuxième thèse n’était pas écrite. On devait la défendre oralement devant le jury, le sujet nous était im- posé et était par définition éloigné de notre sujet de thèse. Dans le cas de Grothendieck, il a fait sa thèse sur les produits tensoriels topologiques et les espaces nucléaires, avec ses contributions fondamentales à l’analyse fonctionnelle. Ce qui est amusant, c’est 3 qu’on peut penser que ce qui a fait bifurquer Grothendieck, premier pas sur le chemin qui éventuellement l’a amené à l’idée du topos, c’est sa deuxième thèse. En effet, la deuxième thèse de Grothendieck (c’est écrit sur la première page, voir figure 2) avait pour sujet la théorie des faisceaux. D’ailleurs sur cette page, si vous regardez bien, vous allez trouver qu’il s’est glissé une erreur. En effet il y a 3 examinateurs, il y a Henri Cartan, Laurent Schwartz et puis il y a un troisième examinateur qui s’appelle Georges Choquet! Intrigué j’ai cherché sur wikipedia pour voir s’il n’y avait pas un mathématicien appelé Georges Choquet. J’ai trouvé un ecclésiastique du nom de Georges Choquet, qui est mort pendant la deux- ième guerre mondiale. Il faut se rendre à l’évidence, c’est bien une erreur, et c’est bien Gustave Choquet, né le 1 mars 1915, qui était examinateur de Grothendieck, dont la thèse a été soutenue le 28 Février 1953. 3 Le Tohoku En 1955, Grothendieck s’intéressait bien sûr aux faisceaux, qui sont une découverte cruciale de Jean Leray, avec celle des suites spectrales. Les échanges de lettres [6] en- tre Jean-Pierre Serre et Grothendieck sont très instructifs et j’ai choisi un passage où l’on voit apparaître l’article fameux qu’on appelle familièrement “Le Tohoku". Cet article est paru dans un journal qui s’appelle le Tohoku Mathematical Journal mais l’article lui même en fait, on l’appelle Tohoku. Voici (Figure 3) un extrait d’une lettre de Grothendieck à J. P. Serre. Figure 3: Passage d’une lettre de A. Grothendieck à J. P. Serre. 4 (voir [6]) où il mentionne son article comme une emmerdante rédaction. Cet extrait donne d’ailleurs un aperçu de la méthode que Grothendieck utilise tout le temps quand il travaille. Il va au fond des choses et n’hésite jamais devant une tâche que n’importe quel mathématicien considérerait comme étant sans intérêt, rébarbative, n’allant rien lui rapporter. Dans le Tohoku, Grothendieck introduit les catégories abéliennes et développe leurs propriétés générales, puis il met au point l’algèbre homologique dans ce cadre3. Cet as- pect de son article est bien situé historiquement dans la ligne des travaux de S. MacLane (voir [27]) et par exemple du livre de Cartan-Eilenberg (voir [4]) sur l’algèbre ho- mologique. La raison pour laquelle je reconnais un signe avant-coureur des topos dans cet article, c’est à cause d’un exemple de catégorie abélienne que donne Grothendieck (voir §1.6 dans [21]). L’exemple de la catégorie abélienne des modules sur un anneau est le sujet du livre de Cartan-Eilenberg. L’exemple des faisceaux de groupes abéliens sur un espace topologique est central bien entendu ; là encore, pas de surprise puisque c’était pour unifier ces deux exemples qu’il avait fait son travail de généralisation. Mais il avait en tête un troisième exemple, c’est ce qu’il appelait les catégories de dia- grammes. Avant de s’intéresser à l’aspect additif, Grothendieck définit la catégorie des foncteurs d’une petite catégorie à valeurs dans une catégorie quelconque. Il s’intéresse en particulier à celle des groupes abéliens et aux diagrammes de groupes abéliens et montre qu’ils forment encore une catégorie abélienne. En fait on reconnait là les deux piliers de la notion de topos. Pourvu que l’on ait l’idée – que Grothendieck a eue – de ne pas se limiter aux faisceaux de groupes abéliens mais de passer aux faisceaux d’ensembles, on découvrira que la catégorie ˆ C des foncteurs4 d’une petite catégorie C vers la catégorie des ensembles est d’une richesse insoupçonnée. Il est trompeur de l’envisager comme discrète et pour s’en convaincre, il suffit de prendre l’exemple des ensembles simpliciaux, il s’agit bien là d’une catégorie de diagrammes mais qui est l’un des modèles pour la théorie de l’homotopie5! 4 Tous les chevaux du roi Écoutons la voix6 de Grothendieck au début de ses conférences à Buffalo en 1973: “A topos is just what could be considered being the main object of study of topology. And so the theory of topoi is, I mean, a generalization of classical general topology, it’s what I really like to consider. So as background it requires to have some familiarity with handling topolog- ical spaces and continuous maps, homeomorphisms and such things, and, on the uploads/Philosophie/ topos.pdf
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- Publié le Oct 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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