1 Note sur Husserl et Heidegger. La phénoménologie transcendantale et le «conce
1 Note sur Husserl et Heidegger. La phénoménologie transcendantale et le «concept unitaire de l’être en général» Denis Seron Recherches husserliennes, 13 (2000), p. 113-127. Deux thèmes principaux ont jusqu’ici focalisé l’attention des commentateurs soucieux de clarifier la nature du rapport unissant Heidegger à Husserl, à savoir la réappropriation de l’intuition catégoriale et la critique de l’idéalisme des Ideen I. Pourtant, certains textes de Heidegger indiquent assez nettement combien cette double approche, loin d’être exclusive, demande encore à être complétée et enrichie sur d’autres bases. Il en est ainsi de l’article «Mon chemin dans la phénoménologie», de 1963. Bien qu’elle occupe manifestement, dans cet article, une place centrale, la double problématique de l’intuition catégoriale et de l’ego absolu y semble aussi, sinon subordonnée, du moins étroitement liée à une question plus étendue et plus fondamentale, celle de la multiplicité des sens de l’être. C’est en ces termes que Heidegger y décrit comment, au début de son enseignement à Fribourg, il fut amené à voir dans la sixième Recherche logique de Husserl un moyen de surmonter les difficultés qu’il avait rencontrées dans ses propres recherches : «La différence dégagée ici entre l’intuition sensible et l’intuition catégoriale me révéla toute sa portée pour la détermination de la “signification multiple de l’étant”1.» Bref, c’est l’interprétation brentanienne d’Aristote — découverte par Heidegger, comme on sait, dès 1907 — qui a servi à Heidegger de fil conducteur pour sa première réappropriation de la phénoménologie husserlienne : «J’attendais des Recherches logiques de Husserl, écrit- il, une impulsion décisive dans le sens des questions suscitées par la dissertation de Brentano2.» Or, dans quelle mesure cette dernière affirmation révèle plus et autre chose qu’une curiosité biographique, cela ne pourra apparaître, croyons-nous, qu’une fois tiré au clair et rapporté à la phénoménologie husserlienne le projet d’«ontologie phénoménologique universelle» conçu par Heidegger dans les dernières lignes de Sein und Zeit. En d’autres termes, c’est maintenant sur la possibilité d’une interprétation du «sens de l’être en général» qu’il convient d’interroger, d’un point de vue programmatique ou architectonique, les positions de Husserl et de Heidegger. 1Die Sache des Denkens, Tübingen, 19883, p. 86. Nous traduisons les citations. 2 Ibid., p. 82. 2 Formellement parlant, la tradition philosophique appelle metaphysica generalis, ou encore ontologie, la détermination catégorielle de l’étant en tant qu’étant en général, c’est-à-dire sans distinction de région. Par ailleurs, on sait en quels termes Husserl souligne expressément, au § 5 des Prolégomènes, l’insuffisance du point de vue «métaphysique»3. La «fondation métaphysique» des sciences particulières, déclare-t-il, ne répond pas aux conditions requises pour une authentique doctrine de la science, pour une «science de la science». La raison en est que la métaphysique — la philosophie première d’Aristote — a d’abord trait à l’«effectivité réelle» (reale Wirklichkeit), et non «aux nombres, aux multiplicités et autres objets du même genre, qui sont pensés indépendamment de l’être ou du non-être réel comme simples suppôts de déterminations purement idéales». Pourtant, la signification et la véritable étendue de ce rejet vont d’autant moins de soi que le projet d’une ontologie ou d’une métaphysique de tout l’étant ne peut manifestement pas être tenu pour étranger à la phénoménologie husserlienne. Sans doute, la phénoménologie exclut par principe — en raison de la réduction phénoménologique elle-même — toute métaphysique, si ce dernier terme signifie autant que Realontologie. Elle demeure indifférente à la «présupposition métaphysique» que représente, de manière exemplaire, la thèse de l’existence ou de l’inexistence du monde extérieur4. Mais il ne semble pas que Husserl lui-même ait exclu pour autant la possibilité d’une métaphysique qui fût conforme à la méthode phénoménologique. Les dernières pages des Méditations cartésiennes sont on ne peut plus explicites à cet égard : «Je voudrais enfin attirer l’attention, pour éviter toute mécompréhension, sur le fait que, telle que nous l’avons déjà développée antérieurement, la phénoménologie exclut seulement la métaphysique naïve, opérant avec les absurdes choses en soi, mais non la métaphysique en général5.» En quel sens convient-il de comprendre ici le terme de métaphysique ? Doit-on supposer l’existence d’une «métaphysique» phénoménologique, et quelles conclusions faudrait-il alors en tirer quant au statut de la recherche phénoménologique à l’intérieur de l’édifice philosophique ? On s’emploiera ici à évaluer sous quelles modalités la phénoménologie husserlienne satisfait aux exigences d’une telle ontologie, mais aussi, d’un point de vue plus général, à envisager l’intégration possible de cette ontologie dans le contexte de l’ontologie fondamentale de Heidegger. D’un point de vue tout extérieur, il convient de rappeler que la phénoménologie, bien qu’opposée par principe à toute Realontologie, est avant toutes choses une ontologie, et que c’est à ce titre qu’elle a trouvé place dans le contexte philosophique contemporain, 3 Logische Untersuchungen, Proleg., Hua XVIII, pp. 26-27, [11]-[12]. 4 Logische Untersuchungen, Hua XIX/1, Introd., § 7. 5 Cartesianische Meditationen, Hua I, p. 182. 3 par exemple dans son opposition au néokantisme. Hermann Cohen — pour ne citer que cet exemple — ne s’y est pas trompé, qui assimile la phénoménologie à «une ontologie, en tant que première partie de la métaphysique»6. Et, de fait, la phénoménologie n’est pas une «logique formelle». Elle n’est pas une analytique du «je pense», mais elle ambitionne au contraire de déterminer l’ego au moyen de lois d’essence, autrement dit d’a priori matériels et synthétiques. La réduction phénoménologique par laquelle elle s’institue comme phénoménologie, faut-il le dire, ne met nullement entre parenthèses l’être du constituant, l’être de la «subjectivité absolue» telle qu’elle se donne phénoménalement dans la conscience interne du temps. Aussi la réappropriation, dans les Ideen I, du terme d’ontologie, ne fait-elle guère qu’entériner un état de fait depuis longtemps acquis. Par sa méthode et les objectifs qui lui sont propres, la phénoménologie est et doit être une ontologie matérielle de la région conscience. Mais la question reste de savoir s’il existe pour autant, chez Husserl, quelque chose de comparable à une ontologie supra-régionale (ou du moins omni-régionale) de l’étant en général, s’il y a, en d’autres termes, un au-delà de la phénoménologie prise, au sens strict, comme science eidétique de l’ego pur. Pour répondre à cette question, une première voie semble résider dans le concept d’ontologie formelle tel qu’il est développé dans les Ideen I. «La logique pure a pour sphère thématique des formations idéales7.» Par définition, la logique formelle (morphologie pure des significations, logique de la conséquence, logique de la vérité) porte sur des essences, sur des jugements ou, d’une manière plus générale, sur des significations. Elle a pour fonction de déterminer, au moyen d’«a priori formels» (analytiques), des idéalités. Toutefois, cette simple constatation se révèle d’ores et déjà insuffisante et unilatérale. Bien plutôt, il semble que le point de vue de la logique formelle, qui est celui du «quelque chose en général», nécessite encore l’extension des déterminations analytiques formelles à l’étant en général sans distinction de région, c’est-à-dire leur transposition ontologique. Outre que les idéalités sont elles-mêmes des objectivités à part entière, en l’occurrence des objectivités catégoriales, la logique la plus formelle doit encore déterminer toute objectivité, pour autant que celle-ci peut être pensée et conçue ; en ce sens, pourrait-on dire, elle est déjà ontologique8. «Toute loi logico-formelle, déclare Husserl, peut être tournée de manière équivalente en une loi ontologico-formelle. On juge maintenant sur des états de choses et non des jugements, sur des objets et non des termes de jugement (par exemple des 6 H. Cohen, System der Philosophie. Erster Teil : Logik der reinen Erkenntnis, Berlin, 2e éd. augm., 1914, p. 56. 7 Formale und transzendentale Logik, Hua XVII, p. 265, [228]. 8 V. A de Muralt, L’idée de la phénoménologie. L’exemplarisme husserlien, Paris, 1958, p. 187 sqq. 4 significations nominales). Il n’est plus question de la vérité ou de la validité de propositions judicatives, mais de la consistance des états de choses, de l’être des objets, etc.9.» Husserl a indiqué en termes clairs de quelle nature était l’articulation entre l’ontologie formelle et les ontologies matérielles. Partant de l’analogie entre les régions matérielles et la «région formelle» des idéalités, il s’en expliquait comme suit : «Ce qu’on nomme la “région formelle” n’est donc pas quelque chose de coordonné aux régions matérielles (aux régions pures et simples), et elle n’est pas une région au sens propre, mais la forme vide de la région en général ; elle n’a pas à côté de soi toutes les régions avec toutes leurs particularisations d’essence matérielles, mais bien plutôt (et fût-ce seulement formaliter), elle les a sous soi. Or, cette subordination du matériel sous le formel s’exprime dans le fait que l’ontologie formelle inclut en même temps en elle les formes de toutes les ontologies possibles en général (c’est-à-dire de toutes les ontologies “authentiques”, “matérielles”), et qu’elle prescrit aux ontologies matérielles une constitution formelle qui leur est commune à elles toutes10.» Le rapport unissant les ontologies matérielles à l’ontologie formelle est d’abord un rapport de subordination (Unterordnung)11. Comme tel, il prescrit ensuite l’inclusion des ontologies matérielles dans l’ontologie formelle. Toutes les sciences eidétiques sont soumises, avec leurs eidè et les lois d’essence qui s’y rapportent, à des déterminations plus élevées qui touchent à la forme des uploads/Philosophie/ seron2000-husserl-heidegger-pdf.pdf
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- Publié le Fev 13, 2021
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