Science et idéologie . 4. Revenons à l’ article publié en 1975 par Ricoeur. Il
Science et idéologie . 4. Revenons à l’ article publié en 1975 par Ricoeur. Il y remarquait donc que la prétention de définir l’idéologie à partir d’un lieu non idéologique nommé science était récurrente. Selon cette définition, l’idéologie perdait sa valeur de médiatrice, et devenait une fausse conscience, opposée à une science non idéologique (Quel éloignement par rapport à la perspective fondatrice pour la nation française qui fut celle des Idéologues mentionnés dans le post antérieur !) . Le philosophe, se demandant si une telle science existait, considérait que tout dépendait du sens attribué au mot science. a)Si on lui donne un sens positiviste, ne sont à considérer comme scientifiques que «les résultats intellectuels qui, à la fois permettent une explication satisfaisante de phénomènes demeurés jusque-là inintelligibles (au niveau superficiel où l’on tente vainement d’en rendre compte) et résistent avec succès aux tentatives de falsification qu’on entreprend systématiquement et rigoureusement à leur endroit (vérification au sens poppérien de non- falsification) ». Pour Ricoeur, c’est l’union des deux critères qui est déterminante, le problème étant que cette coïncidence fait la plupart du temps défaut dans les sciences sociales « On a, ou bien des théories unifiantes, mais non vérifiées, ou bien des théories partielles bien vérifiées ». Chez les tenants des théories unifiantes, il est facile de repérer certaines impasses. Par exemple, ils vont dire que l’idéologie est un discours qui méconnaît ses motivations inconscientes, et voir dans le passage du plan des rationalités conscientes à ce qui se produirait dans la réalité le gage d’une démarche scientifique. Mais pour Ricoeur, cette certitude repose sur une illusion car « cette élimination de la subjectivité du côté des agents historiques ne garantit aucunement que le sociologue qui fait la science ait lui-même accédé à un discours sans sujet. C’est là que se joue ce que j’appelle le piège épistémologique. Par une confusion sémantique, qui est un véritable sophisme, l’explication par des structures et non par des subjectivités, est prise pour un discours qui ne serait tenu par aucun sujet spécifique. Quant aux théories partielles, leur caractère même fait qu’elle ne peuvent pas nous permettre d’accéder à une théorie générale La discussion n’est pas close pour autant car « on peut en effet objecter à l’argumentation antérieure qu’elle a imposé à la théorie sociale des critères qui ne lui conviennent pas et qu’elle est restée elle-même prisonnière d’une conception positiviste des sciences sociales. J’en suis bien d’accord. Et je suis prêt à chercher d’autres critères de scientificité pour la théorie sociale que la capacité explicative, jointe à l’épreuve de falsification b) On peut en effet adopter un critère non positiviste de définition de la science, une acception critique. La question qui se pose alors est celle-ci : la théorie sociale conçue comme critique peut-elle accéder à un statut entièrement non- idéologique, selon ses propres critères de l’idéologie? *Où peut donc s’ancrer une conscience radicale ? Dans une réflexion totale qui sera formulée soit en termes de projet, soit en termes de système. Si cette explication est formulée en termes de projet, « par nécessité ( c’est) une explication dans laquelle le théoricien s’implique lui-même, donc qui exige qu’il tire au clair sa propre situation et son propre projet en rapport à sa propre situation. C’est là qu’intervient la présupposition non dite de la réflexion totale. Si c’est une explication en termes de système, « l‘implication du savant par son instrument d’interprétation n’est pas moins inéluctable dans une telle explication si elle se veut totale. Le point critique de la théorie des systèmes, comme le montre Ladrière dans la suite de son essai, tient à la nécessité d’élaborer une théorie relative à l’évolution des systèmes. Or, « dans ce travail, note-t-il, on sera amené soit à s’inspirer de théories relatives aux systèmes physiques ou biologiques (par exemple en se servant d’un modèle cybernétique), soit à s’appuyer sur des théories de caractère philosophique (et donc non scientifique), par exemple sur une philosophie de type dialectique» (p. 42). Or sur l’une ou l’autre voie l’exigence de complétude répond à celle de réflexion totale dans le cas de l’explication en termes de projets. Ricoeur conclue donc que la théorie sociale ne peut s’arracher à la condition idéologique : elle ne peut pas réaliser une réflexion totale, elle ne peut pas non plus accéder à un point de vue à partir du quel elle pourrait exprimer la totalité et ainsi échapper à la médiationidéologique, cette même médiation à laquelle les autres membres du groupe social sont soumis. Il ne rejette pas pour autant l’idéologie et ne renonce pas non plus à élaborer une vision plus dialectique de la relation science/idéologie. Car il ne veut pas abandonner le bénéfice d’une tension qui ne peut se réduire ni à une antithèse de tout repos, ni à une confusion ruineuse des genres. Citant Karl Mannheim qui analyse comment on est « passés d’une science combattante à une science pacifique : la sociologie de la connaissance, fondée par Troeltsch, Max Weber, Max Scheler, il s’arrête à la différence établie par ce dernier entre utopie et idéologie. L’idéologie regarde vers le passé, elle est conservatrice alors que l’utopie regarderait vers le futur, elle est transformatrice, la différence entre les deux ne pouvant être totale car elle partagent la même non-congruence (par retard ou par avance) par rapport à un concept de réalité qui ne se révèle lui- même que dans la pratique effective.Pour Mannheim, il n’y a pas de sociologie non neutre, toute connaissance repose sur des présuppositions métaphysiques implicites ; cela ne veut pas dire pour autant qu’on soit condamné au relativisme. Toute questionnement repose sur des présuppositions, et une science sans présupposition ne questionnerait rien. Mais comment éviter le relativisme? Pour Mannheim, en donnant aux hommes un savoir historique total, qui lui permettra de comprendre dans ce continuum le sens de chacune de ses parties. Oui mais, dit Ricoeur : pour échapper au cynisme, pouvoir dire tel concept est acceptable ou non, le penseur devrait avoir achevé sa science. En effet, pour mesurer les distorsions à la réalité, il faudrait savoir la réalité sociale totale. Or c’est justement au terme du procès que se détermine le sens même du réel .Ou l’on comprend, remarque Ricoeur, que le marxiste se soit intéressé au problème de l’intelligentsia car quel groupe peut donc porter cette théorie ?Ainsi la théorie de l’idéologie repose elle-même sur l’utopie d’un « esprit totalement éclairé au point de vue sociologique ». Pour Ricoeur, la solution est dans l’herméneutique de ce qui conditionne la compréhension de caractère historique : -Tout savoir repose sur une appartenance que nous ne pourrons jamais complètement réfléchir - Il peut néanmoins se constituer dans une relative autonomie car la distanciation est le propre de la relation historicité - Parce que toute théorie est nécessairement incomplète, vu les conditions de sa production, que tout savoir est fondé sur un intérêt, seule l’histoire nous montrant s’il est du côté de l’idéologie ou de l’utopie, la critique des idéologies ne rompt jamais les liens avec son fond d’appartenance. -La tache est donc toujours à recommencer… Nous sommes donc toujours dans l’idéologie. Mais ce n’est pas un mal, car si nous visions la sortie pure et simple de l’idéologie, nous serions condamnés à un enregistrement de ce qui est déjà là. Claude. B. Rougier 2021 uploads/Philosophie/ science-et-ideologie-4.pdf
Documents similaires










-
37
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 16, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0251MB